Pourquoi faut-il faire plus attention?
Peer-review

Amylose: la lanterne rouge du diagnostic

Case reports
Édition
2024/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2024.1300901528
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2024;24(01):19-22

Affiliations
a Abteilung für Innere Medizin, Departement Medizin, GZO Spital Wetzikon
b Abteilung für Pathologie und Zytologie, Universitätsspital Zürich
c Abteilung für Kardiologie und Rhythmologie, Departement Medizin, GZO Spital Wetzikon
d Abteilung für Onkologie und Hämatologie, Departement Medizin, GZO Spital Wetzikon

Publié le 21.12.2023

Anamnèse et statut

Le patient âgé de 57 ans présentant un abus de nicotine de longue date, une bronchopneumopathie chronique obstructive, une dérivation gastrique de Roux-en-Y réalisée en 2015, une coronaropathie et un diabète sucré de type 2, nous a été adressé par le médecin de famille pour l’examen d’une ascite et d’une anémie en septembre 2021. Il a rapporté avoir vécu les quatre dernières années en Thaïlande. Son état général s’est détérioré depuis un an et il a perdu 6 kg durant cette période. En Thaïlande, un examen endoscopique a permis de constater un ulcère anastomotique après dérivation gastrique, qui a été traité de manière conservatrice par des transfusions sanguines, du fer et des inhibiteurs de la pompe à protons. Les dernières semaines, il avait toutefois remarqué une sensation de réplétion et des douleurs diffuses dans l’abdomen inférieur ainsi qu’une augmentation de la circonférence abdominale.
Le tableau clinique présentait un patient afébrile dans un état général et nutritionnel réduit. L’examen de la cavité buccale a révélé une langue rougie et fissurée. L’abdomen était gonflé en présence d’une nette ascite. La région inférieure droite de l’abdomen était douloureuse à la pression, sans tension de défense. L’auscultation pulmonaire a mis en évidence un bruit respiratoire obstructif.

Commentaire

À l’exception du diagnostic de l’anémie, il n’y a eu aucune autre consultation en Thaïlande. Les dossiers médicaux étaient par conséquents très fragmentés et la documentation la plus complète à notre disposition était celle de la dérivation gastrique de 2015.

Résultats et diagnostic

La ponction initiale de l’ascite a indiqué un nombre de cellules de 170/μL et un gradient sérum-ascite en albumine de 19, correspondant à un transsudat. L’analyse bactériologique n’a mis en évidence aucun agent pathogène et la cytologie aucune cellule maligne.
La tomodensitométrie du thorax et de l’abdomen réalisée ensuite (fig. 1) a révélé une ascite dans les quatre quadrants, une hépatomégalie (22,8 cm) et une splénomégalie (12,5 cm), toutefois sans masse ni hémorragie. L’échographie abdominale n’a fourni aucune indication de cirrhose hépatique et les veines du foie et la veine porte présentaient une perfusion normale. La bilirubine et l’ALAT affichaient des valeurs normales. Le taux de γGT était légèrement accru à raison de 101 U/l. La sérologie a permis d’exclure les hépatites A-E, un VIH et une schistosomiase. Les cultures sanguines sont restées négatives.
Figure 1: TDM thorax/abdomen (A) coupe axiale, B) coupe frontale, une ascite prononcée ainsi qu’une hépatomégalie et splénomégalie sont visibles.
L’hémogramme a révélé une anémie (Hb 74 g/l) et une thrombocytose (thrombocytes 724 G/l) en présence d’une valeur normale de leucocytes. Le dépistage de maladies auto-immunes, y compris ANA, ANCA, AMA, SMA (anticorps anti-muscle lisse) et LKM (anticorps anti-microsomes du foie et du rein), n’a indiqué aucune anomalie. L’échocardiographie était également normale.
L’analyse biochimique a révélé une sévère insuffisance rénale avec un DFG de 15 ml/min/1,7 m2, dont l’examen approfondi a contribué à l’établissement du diagnostic: l’analyse urinaire a mis en évidence une protéinurie de 1,8 g/24h avec une part d’albumine de 64%. L’échographie a montré une échogénicité accrue des deux reins avec disparition de la différenciation corticomédullaire.

Commentaire

Notre supposition initiale selon laquelle la pathologie sous-jacente était liée à l’hémorragie anastomotique et aux mesures thérapeutiques réalisées ensuite en Thaïlande nous a conduits à considérer la détérioration de l’état général en lien avec l’anémie et à exclure les hépatites et le VIH dues aux transfusions sanguines. Nous avons ensuite recherché d’autres causes de l’ascite (insuffisance cardiaque, cirrhose hépatique). Après un dépistage négatif de maladies auto-immunes, les diagnostics différentiels envisageables incluaient une cirrhose en présence de stéatose hépatique non alcoolique à la suite d’une chirurgie bariatrique, un syndrome de Budd-Chiari et une amylose systémique. Nous avons d’abord discuté d’une néphropathie diabétique comme cause de l’insuffisance rénale.
L’électrophorèse des protéines sériques a finalement montré un gradient M de 11 g/l et une paraprotéine monoclonale de type IgG/lambda a été mise en évidence à l’immunofixation. Nous avons réalisé une ponction de la moelle osseuse, dans laquelle 9% de cellules plasmatiques ont été détectées, permettant d’exclure un myélome multiple.
Nous avons ensuite réalisé une biopsie rectale et transféré le patient à l’Hôpital universitaire de Zurich pour une biopsie hépatique transjugulaire et une mesure de la pression hépatique. Une hypertension portale de grade élevé y a été observée (gradient de pression portale de 24 mmHg). La biopsie hépatique a révélé des dépôts amyloïdes intra-sinusoïdaux et une atrophie des trabécules des cellules hépatiques (fig. 2). La biopsie rectale profonde a également mis en évidence une substance amyloïde. Un typage histologique de la substance amyloïde a confirmé le diagnostic d’une amylose AL.

Commentaire

Les amyloses sont un groupe de maladies hétérogènes caractérisées par un dépôt de fibrilles issues de protéines anormalement repliées dans divers organes [1]. La maladie est considérée comme rare, mais pourrait souvent rester indétectée en raison de ses symptômes généralement non spécifiques. Une étude-autopsie de patients non sélectionnés âgés de plus de 74 ans a mis en évidence une amylose cardiaque dans 43% des cœurs examinés, avec une part égale d’amyloses AL et ATTR [2].
L’amylose AL survient en conséquence d’une dégénérescence des cellules plasmatiques avec production de chaînes légères monoclonales [1]. La forme héréditaire de l’amylose ATTR (hATTR) est causée par un défaut du gène de la transthyrétine. L’amylose ATTR de type sauvage (wtATTR) présente un repliement anormal de la transthyrétine. Selon la mutation, l’amylose hATTR se manifeste à partir de 30 ans, l’amylose wtATTR ne survient généralement qu’à un âge avancé et plus souvent chez les hommes [3].
Les premiers symptômes de l’amylose sont souvent non spécifiques, car tous les organes peuvent être touchés, même le cerveau. Tandis qu’en cas d’amylose AL, la plupart des patients présentent une atteinte du cœur et des reins (tab. 1), l’amylose ATTR est caractérisée par une atteinte cardiaque (wtATTR) et une polyneuropathie (hATTR) [1,3].
Les symptômes cliniques suivants doivent faire penser à une amylose [1]:
  • Insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection ventriculaire gauche maintenue (HFpEF2)
  • Albuminurie > 0,5 g/24h
  • Neuropathie périphérique ou autonome non diabétique
  • Syndrome du canal carpien bilatéral
  • Hépatomégalie, diarrhée ou perte de poids de genèse indéterminée
  • Hématomes péri-orbitaires ou macroglossie
En cas de suspicion d’une amylose, il convient en premier lieu de rechercher une gammapathie monoclonale (électrophorèse sérique, chaînes légères libres et immunofixation dans le sérum et l’urine). Une clonalité est prouvée par immunofixation positive ou par un nombre accru de chaînes légères libres lorsqu’en plus, le quotient des chaînes légères libres est déplacé vers le nombre accru de chaînes légères libres. En cas d’évidence d’une gammapathie monoclonale, une biopsie du tissu adipeux et une biopsie de la moelle osseuse sont recommandées pour classifier l’amyloïde et exclure un myélome multiple. En l’absence d’évidence de gammapathie monoclonale, une scintigraphie au 99mTc-DPD/PYP/HMDP doit être réalisée si la suspicion persiste afin d’exclure une amylose ATTR ou encore, dans certains cas, une biopsie myocardique [1].
Figure 2 A–D: Résultat histopathologique de la biopsie hépatique. A) et B) Dépôts amyloïdes marqués, entrainant une atrophie des lames hépatiques (coloration H&E, la barre de l’échelle correspond à 200 μm et 100 μm). C) Immunohistochimie avec évidence positive de chaînes légères lambda (la barre de l’échelle correspond à 100 μm). D) La coloration au rouge congo spécifique fait ressortir le vert pomme typique en présence de biréfringence à la lumière polarisée (la barre de l’échelle correspond à 200 μm).

Évolution et traitement

La suite du traitement a eu lieu en coopération avec le réseau de l’amylose de l’Hôpital universitaire de Zurich. L’insuffisance rénale progressive a nécessité de débuter une hémodialyse. En raison des dommages prononcés des organes cibles, une greffe autologue de cellules souches était impossible. Le patient a donc été traité par bortézomib, cyclophosphamide, dexaméthasone et daratumumab similairement à l’étude ANDROMEDA [4], sous lesquels la paraprotéine a régressée.

Commentaire

Le traitement de l’amylose AL est constitué d’un traitement d’induction par cyclophosphamide, bortézomib, dexaméthasone et daratumumab, puis d’une greffe autologue de cellules souches. Pour les patients auxquels une greffe de cellules souches ne peut pas être proposées, le traitement standard actuel par bortézomib, cyclophosphamide et dexaméthasone a pu être significativement amélioré dans l’étude ANDROMEDA par l’addition de daratumumab administré par voie sous-cutanée: cela a fait passer le taux de rémissions complètes de 18,1% à 53,3% [4]. Le daratumumab a été autorisé pour le traitement de l’amylose AL en août 2020.
Pour le traitement de l’amylose ATTR, le tafamidis, le patisiran et l’inotersen ont été autorisés dans diverses indications au cours des dernières années [5].
Le traitement de soutien sert à améliorer la qualité de vie et doit avoir lieu de manière interdisciplinaire. Cela peut souvent être difficile car les médicaments classiques contre l’insuffisance cardiaque sont notamment contre-indiqués en cas d’amylose cardiaque. Les bêtabloquants peuvent réduire le débit cardiaque en raison du volume systolique fixe et les inhibiteurs de l’ECA ainsi que les antagonistes calciques peuvent entraîner des hypotensions symptomatiques. Un bilan liquidien stable est prioritaire. Ainsi, la restriction de liquide et de sel ainsi que les diurétiques de l’anse occupent le premier plan. Les médicaments néphrotoxiques doivent être évités [1, 6].

Conclusion

L’amylose reste un diagnostic d’exclusion même si les données issues des études-autopsies ont montré que les deux formes les plus courantes d’amylose, les amyloses AL et ATTR, étaient largement plus fréquentes que supposé jusqu’à présent [2]. La plupart des patientes et patients atteints d’amylose décèdent de complications organiques, généralement dues à une atteinte cardiaque [1, 6]. Lorsqu’une amylose est détectée à temps, les nouveaux traitements peuvent améliorer considérablement le pronostic des patientes et patients concernés.

Take-Home Message

  • Il convient d’envisager une amylose lorsqu’une patiente ou un patient présente une albuminurie >0,5 g/24h, une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection ventriculaire gauche maintenue (HFpEF), une polyneuropathie non diabétique, un syndrome du canal carpien bilatéral, une hépatomégalie d’origine indéterminée ou une détérioration inexpliquée de l’état général.
  • En présence de suspicion, il convient de réaliser un examen diagnostic incluant électrophorèse sérique, chaînes légères libres, immunofixation dans le sérum et l’urine.
  • En cas de résultat normal, il convient d’envisager aussi le diagnostic différentiel d’une amylose ATTR, qui peut être diagnostiquée au moyen d’une scintigraphie osseuse.
Dr. med. Irene Fontanella
Notfallstation, Stadtspital Triemli
Birmensdorferstrasse 497
CH-8063 Zürich
1 Schwotzer R, Flammer AJ, Gerull S, Pabst T, Arosio P, Averaimo M, et al. Expert recommendation from the Swiss Amyloidosis Network (SAN) for systemic AL-amyloidosis. Swiss Med Wkly. 2020 Dec;150(49):w20364.
2 Porcari A, Bussani R, Merlo M, Varrà GG, Pagura L, Rozze D, et al. Incidence and Characterization of Concealed Cardiac Amyloidosis Among Unselected Elderly Patients Undergoing Post-mortem Examination. Front Cardiovasc Med. 2021 Nov;8:749523.
3 Garcia-Pavia P, Rapezzi C, Adler Y, Arad M, Basso C, Brucato A, et al. Diagnosis and treatment of cardiac amyloidosis: a position statement of the ESC Working Group on Myocardial and Pericardial Diseases. Eur Heart J. 2021 Apr;42(16):1554–68.
4 Kastritis E, Palladini G, Minnema MC, Wechalekar AD, Jaccard A, Lee HC, et al.; ANDROMEDA Trial Investigators. Daratumumab-Based Treatment for Immunoglobulin Light-Chain Amyloidosis. N Engl J Med. 2021 Jul;385(1):46–58.
5 Condoluci A, Théaudin M, Schwotzer R, Pazhenkottil AP, Arosio P, Averaimo M, et al. Management of transthyretin amyloidosis. Swiss Med Wkly. 2021 Oct;151(41-42):w30053.
6 Cibeira MT, Ortiz-Pérez JT, Quintana LF, Fernádez de Larrea C, Tovar N, Bladé J. Supportive care in AL amyloidosis. Acta Haematol. 2020;143(4):335–42.
Remerciements
Les autrices et auteurs remercient le service de radiologie du GZO Wetzikon pour la mise à disposition des images tomodensitométriques et leur interprétation.
Ethics Statement
Un consentement éclairé écrit est disponible pour la publication.
Conflict of Interest Statement
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.

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