Résultats de l’enquête SCOHPICA

Bien-être et intention de rester des médecins internistes généralistes et des assistantes médicales

Au quotidien
Édition
2023/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.1299484459
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(12):379-381

Affiliations
a Chargée de recherche, Unisanté, Lausanne
b Professeure et médecin-cheffe, Unisanté, Lausanne
c Responsable de groupe de recherche, CHUV, Lausanne
d Professeure, Institut et Haute Ecole La Source (HES-SO)

Publié le 06.12.2023

Les projections montrent que les besoins en médecine de premier recours ne pourront être couverts à l’horizon 2030, même avec l’appui de médecins venus de l’étranger [1]. Une situation due au nombre insuffisant de médecins praticiens et médecins internistes généralistes formés en Suisse, aux départs à la retraite et aux sorties précoces de la profession. Selon l’Observatoire suisse de la santé, il n’existe que peu de chiffres sur les sorties précoces de la profession, notamment sur les raisons d’un changement de profession ou de l’arrêt de l’activité professionnelle pour des questions de santé. La pénurie de médecins de premier recours a par ailleurs un fort impact sur les médecins en activité, en accroissant leur charge de travail et en augmentant le risque d’épuisement physique et psychologique, engendrant des départs précoces et diminuant l’attractivité de la profession, créant ainsi un cercle vicieux. L’enquête nationale SCOHPICA s’intéresse justement tout autant au bien-être des professionnel·les de la santé qu’à leur trajectoire et leurs besoins. Elle vise en effet à suivre dans les temps les professionnel·les de la santé pratiquant en Suisse, dont les médecins internistes généralistes et les assistantes médicales; quelques résultats de ce projet sont présentés ci-dessous.

Le projet SCOHPICA en quelques mots

La cohorte suisse de professionnel·les de la santé et des proches aidants (SCOHPICA – Swiss COhort of Health Professionals and Informal CAregivers) est actuellement menée par une équipe interdisciplinaire d’Unisanté, de l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source et du CHUV à Lausanne. Son objectif principal est de fournir aux acteurs de la santé et aux décideurs des données précises et régulièrement actualisées sur la situation des divers groupes professionnels travaillant en contact avec les patient·es en Suisse. Cela permettra de les aider dans la planification des effectifs et la conception de politiques publiques et de gestion visant à garantir des conditions de travail optimales.
Les professionnel·les de la santé participant au projet SCOHPICA sont invité·es à répondre à un questionnaire annuel qui évalue différentes thématiques telles que la charge de travail, le niveau d’épuisement, la reconnaissance, les ressources disponibles, ainsi que des détails sur leur parcours et leur situation socioprofessionnelle. Cela permet d’identifier les trajectoires professionnelles, les raisons d’insatisfaction et les facteurs qui peuvent amener certains d’entre eux ou elles à quitter leur profession ou leur poste.
Le projet SCOHPICA est innovant à plusieurs titres. Tout d’abord, il s’intéresse à toutes les professions de la santé, ce qui inclut les médecins praticiens et internistes généralistes, mais aussi les assistantes médicales par exemple, ainsi que tous·tes les autres professionnel·les travaillant en contact avec des patient·es, quel que soit leur lieu de pratique ou leur statut professionnel. Ensuite, c’est un projet d’envergure nationale qui inclut des professionnel·les de la santé issu·es de toutes les régions linguistiques et cantons suisses. Finalement, il suivra les participant·es sur le long terme, ce qui permettra de monitorer, au fil du temps, l’impact de facteurs sociaux, psychologiques et environnementaux sur le maintien – ou l’abandon – de la profession ou du poste de travail, ainsi que sur l’évolution du bien-être des professionnel·les de la santé.
Une première phase de recrutement de professionnel·les de la santé a eu lieu entre octobre 2022 et janvier 2023, réunissant 1707 participant·es, dont 212 médecins et 75 assistantes médicales. Les résultats complets de l’enquête SCOHPICA sont accessibles via une plateforme interactive accessible à tout un chacun depuis le site web de l’étude (www.scohpica.ch).

Que disent les médecins internistes généralistes et praticiens?

Parmi les 212 médecins ayant participé à l’enquête en 2022, 106 étaient des médecins spécialistes en médecine interne générale et 13 étaient médecins praticiens. Les résultats qui suivent concernent l’ensemble de ces 119 médecins généralistes internistes et praticiens.
Le contexte de travail des 119 médecins interrogés était varié: 45% travaillaient en cabinet de groupe, 26% en cabinet individuel, 31% en hôpital, 9% en EMS, 8% dans des institutions d’intervention d’urgence et 3% en réadaptation. La moitié de l’échantillon provenait de Suisse romande, un peu moins de la moitié de Suisse alémanique et 3% du Tessin. Concernant les caractéristiques sociodémographiques, notons qu’un quart des répondant·es avaient moins de 35 ans et un tiers plus de 55 ans. L’échantillon était composé autant d’hommes que de femmes.
Concernant l’intention de rester dans la profession, les médecins internistes généralistes affichent une intention de rester plus élevée que la moyenne des autres professionnel·les de la santé. En effet, lorsque nous leur avons posé la question suivante: «Si vos conditions/votre contexte de travail devaient rester les mêmes ces prochains mois, resteriez-vous dans votre profession actuelle?», 77% des médecins internistes généralistes ont répondu «Plutôt oui» ou «Oui, tout à fait», contre 69% dans l’échantillon total. Notons toutefois que les médecins provenant d’autres spécialités que la médecine générale rapportent une intention de rester dans la profession encore plus élevée. Pour ce qui est de l’intention de rester à leur poste, les médecins internistes généralistes, tout comme les autres médecins, obtiennent aussi des scores en moyenne plus élevés que les autres professions.
Parmi les autres thématiques abordées dans le questionnaire, les médecins internistes généralistes affichent de meilleurs scores que les autres groupes professionnels sur les trois aspects suivants: développement des compétences, autonomie dans la manière de travailler et utilisation de la pleine étendue de la pratique dans le travail. Ils ont, par contre, de moins bons scores que les autres professionnel·les de la santé sur les thématiques suivantes: équilibre entre vie privée et vie professionnelle, charge de travail et préparation à la réalité du terrain (fig. 1).
Figure 1: Intention de rester dans la profession et dans le poste, pour les médecins internistes généralistes, pour les assistantes médicales et pour l’ensemble de l’échantillon SCOHPICA (n = 1707).

Et les assistantes médicales?

Les assistantes médicales étaient 75 à avoir complété le questionnaire en 2022. Deux tiers d’entre elles venaient de Suisse alémanique, un tiers de Suisse romande, et trois venaient du Tessin. Il s’agissait quasi exclusivement de femmes (74 femmes pour 1 homme). Plus de la moitié d’entre elles travaillaient dans un cabinet de groupe, un quart dans un cabinet individuel et une sur cinq dans un hôpital.
Leur intention de rester dans la profession était également supérieure à la moyenne des autres professions. Elles étaient 80% à affirmer avoir l’intention de rester dans leur profession (contre 69% dans l’échantillon total). Concernant leur intention de rester à leur poste, l’écart avec les autres professions était encore plus grand, puisque 74% d’entre elles affirmaient avoir l’intention de rester à leur poste actuel (contre 70% des médecins internistes généralistes et 58% des répondant·es de l’échantillon total).
Les assistantes médicales se démarquent par ailleurs des autres professions en affichant de meilleurs scores sur la majorité des thématiques abordées. Elles rapportent un bien meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle que les autres professionnel·les, une formation qui les a bien préparées à leur activité professionnelle, des ressources suffisantes, une reconnaissance de leur travail ainsi qu’une bonne cohésion d’équipe. Seules les possibilités de développer leurs compétences sont plus faibles comparées aux autres professions.

Plus de participant·es pour des résultats plus représentatifs

Les résultats présentés ici proviennent uniquement des réponses recueillies auprès des médecins internistes généralistes (y compris médecins praticiens) et assistantes médicales ayant accepté de participer à l’enquête en 2022. Ils ne reflètent donc probablement pas la diversité des opinions de ces deux catégories professionnelles à l’échelle suisse. Pour que les résultats soient plus généralisables, il est impératif que de nouveaux médecins et assistantes médicales participent à l’enquête 2023 et que les personnes qui ont déjà participé continuent de répondre aux questionnaires de suivi. Une participation plus étendue cet automne permettra de mieux représenter les expériences vécues par chaque profession de la santé, chaque secteur d’activité et chaque région de Suisse. Une forte participation permettra également de réaliser des analyses plus approfondies et de fournir des résultats plus précis et fiables.

L’enquête 2023 est ouverte!

Si vous aussi souhaitez partager votre expérience et contribuer à ce projet d’utilité publique, rendez-vous sur le site www.scohpica.ch pour accéder au questionnaire en ligne.
Si vous êtes intéressé par les résultats de l’enquête, sachez qu’un tableau de bord interactif est maintenant disponible sur le site www.scohpica.ch, où vous trouverez déjà les résultats présentés en mars et août dernier. En cas en question, n’hésitez pas à nous écrire à scohpica[at]unisante.ch.
Ce projet a été financé par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) pour son lancement. Il bénéficie en outre du soutien d’un panel d’accompagnement composé de représentants d’institutions publiques et d’associations professionnelles activement impliquées dans toutes les étapes du projet afin de s’assurer que celui-ci reflète leurs préoccupations, ainsi que d’un groupe d’experts scientifiques nationaux et internationaux.
Isabelle Peytremann-Bridevaux
Département Epidémiologie et Systèmes de santé (DESS)
Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté)
Rue du Bugnon 44
CH-1005 Lausanne
isabelle.peytremann-bridevaux[at]unisante.ch
1 Burla L, Widmer M, Zeltner C. Projections des besoins et des effectifs de médecins spécialistes en Suisse. Partie 1: Total des domaines de spécialité, médecine de premier recours, pédiatrie, psychiatrie et psychothérapie et orthopédie. Rapport final de l’Obsan et du comité «Coordination de la formation postgrade des médecins» sur mandat du dialogue «Politique nationale suisse de la santé» (Obsan Rapport 04-2022). Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé; 2022.
Conflict of Interest Statement
Les auteures n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.

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