Stigmatisation des personnes avec un diagnostic psychiatrique
Peer-review

Accompagnement des soins ­somatiques des adultes avec un diagnostic psychiatrique connu

Didactique
Édition
2023/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.1256837958
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(10):300-302

Affiliations
Étudiant·e·s en 3e année de médecine à l’Université de Lausanne

Publié le 04.10.2023

Immersion communautaire – Les étudiant·e·s de médecine mènent une recherche dans la communauté

Pendant quatre semaines, les étudiant·e·s en médecine de 3e année de l’Université de Lausanne mènent une enquête dans la communauté sur le sujet de leur choix parmi quatre thématiques générales (climat, famille, risques et stigmatisations en 2022). L’objectif de ce module est de faire découvrir aux futurs médecins les déterminants non-biomédicaux de la santé, de la maladie et de l’exercice de la médecine: les styles de vie, les facteurs psychosociaux et culturels, l’environnement, les décisions politiques, les contraintes économiques, les questions éthiques, etc. Par groupes de 4 ou 5, les étudiant·e·s commencent par définir une question de recherche originale et en explorent la littérature scientifique. Leur travail de recherche les amène à entrer en contact avec le réseau d’acteurs de la communauté concernés, professionnels ou associations de patients dont ils analysent les rôles et influences respectives. Chaque groupe est accompagné par un·e tuteur·trice, enseignant·e de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, de l’Ecole de la Source à Lausanne ou d’autres institutions d’enseignement. Les étudiant·e·s présentent la synthèse de leurs travaux pendant un congrès de deux jours à la fin du module.
Depuis plus de dix ans, quelques groupes d’étudiant·e·s ont la possibilité d’effectuer leur travail dans le cadre d’un projet d’immersion communautaire interprofessionnelle organisé en partenariat avec la Haute école de la santé La Source. Le travail de terrain est réalisé par le groupe en immersion (résidentiel) dans une région de Suisse (séjour de 7 à 10 jours), tout en bénéficiant d’un accompagnement pédagogique par leurs tuteur·trice·s. Quatre travaux parmi les plus remarquables sont choisis pour être publiés dans Primary and Hospital Care.
Module d’immersion communautaire de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, sous la direction de Pr Patrick Bodenmann (responsable), Dr Francis Vu (coordinateur), Mme Meltem Bukulmez et Mme Mélanie Jordan (secrétariat), Pr Thierry Buclin, Dre Aude Fauvel, Dre Véronique Grazioli, Dre Nicole Jaunin Stalder, Dre Yolanda Müller, Mme Sophie Paroz, Dre Béatrice Schaad, et Pre Madeleine Baumann (HEdS La Source)

Introduction

Les patient·e·s atteint·e·s de maladies psychiatriques perdent en moyenne 15–20 ans de vie, en raison de troubles somatiques, par rapport à la population générale [1]. La littérature indique que les stigmates qui entourent ces ­maladies entraînent des comportements différents chez les professionnel·le·s de santé somatique vis-à-vis des patient·e·s avec un diagnostic psychiatrique [2,3]. Ceci résulte en des disparités dans les soins somatiques, entraînant un sentiment de négligence ainsi qu’une morbidité et une mortalité accrues de causes somatiques chez ces patient·e·s [2–4]. La présence de cette discrimination est établie comme un défi mondial dans la littérature [2]. Cependant, il y a peu de documentation concernant le développement de programmes visant à réduire la stigmatisation dans les ­milieux de santé [5]. La Suisse ne fait pas ­exception. Il est donc nécessaire d’investiguer les recommandations destinées aux professionnel·le·s en première ligne de soins dans le ­canton de Vaud, qui pourraient diminuer les disparités dans les soins somatiques auxquelles font face les personnes adultes avec un diagnostic psychiatrique connu.

Méthode

L’objectif de cette étude consiste à identifier des mesures susceptibles d’améliorer l’accompagnement de soins somatiques chez les patient·e·s adultes ayant au minimum un diagnostic psychiatrique connu. Une recherche qualitative avec analyse de contenu déductive a été utilisée afin d’explorer la situation dans le canton de Vaud. Onze entretiens semi-structurés ont été réalisés avec des personnes de professions variées, incluant un·e anthropologue, un·e médecin historien·ne, un·e médecin éthicien·ne, un·e infirmier·ère, deux médecins généralistes, trois médecins psychiatres, dont un·e adjoint·e à l’Office du Médecin Cantonal, ainsi que deux représentant·e·s d’associations de patient·e·s ou de proches de patient·e·s. L’échantillon était constitué de 36% de femmes. Un guide d’entretien a été utilisé pour conduire les entretiens. Les thèmes explorés dans ce dernier étaient les origines et déterminants de la stigmatisation des maladies psychiatriques, l’expérience des soignant·e·s et les potentielles mesures déstigmatisantes. Les propos retenus ont été dé-identifiés et résumés à l’aide d’une grille d’analyse, ce qui a permis de relever les tendances. Enfin, en complément, un court sondage anonyme a été envoyé à tou·te·s les étudiant·e·s de la faculté de médecine de Lausanne (2005 étudiant·e·s) afin de récolter leurs avis concernant différentes mesures envisageables au sein du cursus.

Résultats

Les personnes interrogées s’accordent à dire que la stigmatisation autour des maladies psychiatriques découle d’un manque de connaissances et d’expérience à ce sujet. Selon les participant·e·s, ceci entraîne des préjugés et des comportements discriminants envers les patient·e·s atteint·e·s de ces troubles. Les idées préconçues qui ressortent des entretiens sont l’imprévisibilité, l’agressivité, la non-compliance de ces personnes. Il y a aussi une notion de fatalisme avec la croyance selon laquelle «ce sont des malades incurables qui ne suivent pas les recommandations» (médecin psychiatre). L’association entre maladie psychiatrique et déficit intellectuel ou manque de compréhension a également été mise en avant comme source de stigmatisation. Certain·e·s décrivent les patient·e·s atteint·e·s de troubles psychiatriques comme des patient·e·s vu·e·s au travers du prisme de la maladie psychiatrique et perçu·e·s par cette étiquette plutôt que comme des personnes à part entière. Ceci pourrait se traduire par une prévention et des propositions de traitements somatiques moindres, la santé somatique passant au deuxième plan. Néanmoins, au-delà des préjugés, la plupart des participant·e·s reconnaissent une réelle difficulté multifactorielle de prise en charge de ces patient·e·s, qui peuvent par exemple avoir fait l’expérience de discrimination et être méfiant·e·s à l’égard du personnel soignant. La nécessité d’investir plus de temps de consultation est évoquée, afin d’établir une bonne relation thérapeutique et assurer une adhérence satisfaisante. Ce temps est souvent manquant dans les soins de premier recours, notamment dans un service d’urgences. Par conséquent, certain·e·s soignant·e·s peuvent se sentir frustré·e·s, impuissant·e·s face à cette complexité. Un malaise peut s’installer par manque de compétences et d’outils.
Enfin, il ressort de plusieurs entretiens qu’il existe encore aujourd’hui une séparation entre les médecines somatique et psychiatrique, qui prend ses origines au XIXe siècle avec la création de l’aliénisme et des médecins spéciaux dans les asiles. Ainsi, pour ce qui est des recommandations, les participant·e·s évoquent qu’il faudrait viser une médecine plus intégrative des maladies psychiatriques. Tou·te·s les intervenant·e·s convergent vers la formation comme axe principal des mesures déstigmatisantes chez les professionnel·le·s de santé, ceci à deux niveaux. Au niveau prégradué, tou·te·s s’accordent sur le fait que les stages en psychiatrie sont le meilleur moyen d’acquérir les compétences pratiques et humaines nécessaires. Quant aux connaissances théoriques, toutes les personnes interrogées qui sont familières avec le cursus de la faculté de médecine de Lausanne expriment que la proportion des cours de psychiatrie dans tout le cursus par rapport au nombre de patient·e·s concerné·e·s est insuffisante et que leur format pourrait être diversifié (revue de cas cliniques, patient·e·s intervenant·e·s).
Malgré la connaissance de ses effets néfastes sur l’outcome thérapeutique, la stigmatisation est persistante. Selon les intervenant·e·s, ceci s’explique par le fait que «la médecine est un reflet de la société» (médecin éthicien) et «[qu’]il y a tout un monde entre le savoir et l’application» (médecin historien). Ces derniers ajoutent que les soignant·e·s restent des êtres humains, teintés de stigmates inconscients comme le reste de la société. C’est pourquoi il est important d’envisager des mesures de sensibilisation et de prévention sociétales, comme le revendique la MAD PRIDE par exemple.
Concernant les résultats du sondage, les mesures auxquelles les répondant·e·s (N = 649, soit 32%) sont favorables au niveau prégradué sont la réintroduction du stage obligatoire en psychiatrie en MMed3 (80%) (fig. 1) nuancée par des propositions au niveau des cours blocs, des cours de psychiatrie supplémentaires et plus diversifiés au sein du cursus (84,9%) (fig. 2) et des questionnaires périodiques (par exemple en BMed3 puis MMed3) pour mettre en évidence les stigmates inconscients des ­étudiant·e·s (86,6%) (fig. 3). Au niveau des ­formations post-graduées, cinq participant·e·s aux entretiens semi-structurés ont mentionné l’utilité des groupes Balint et du CAS psychosocial.
Figure 1: Réponse des participant·e·s du sondage à la question «Dans le but d’améliorer la formation et les connaissances des maladies/patient·e·s psychiatriques: seriez-vous favorable à la (ré)introduction d’un mois de stage obligatoire en psychiatrie?»
Figure 2: Réponse des participant·e·s du ­sondage à la question «Seriez-vous en faveur ­d’implémenter un nouveau cours au sein du cursus de médecine sur les stigmates (par exemple avec des patient·e·s ou cas concrets)?»
Figure 3: Réponse des participant·e·s du sondage à la question «Pensez-vous qu’une meilleure connaissance/conscience de ses propres stigmates (par exemple par l’intermédiaire de questionnaires faits en BMed3 et MMed3 pour évaluer sa propre évolution) permettrait de ­diminuer l’impact de ces stigmates et donc d’améliorer la prise en charge de ces patient·e·s?»

Discussion

Les résultats qualitatifs principaux révèlent que les stigmates sont généralement perçus comme découlant d’un manque de connaissances et d’expériences autour des maladies psychiatriques. Ces résultats s’alignent à la littérature, de même que les conséquences de ces stigmates sur la santé somatique [3]. En somme, l’axe d’intervention principal serait la formation des professionnel·le·s de santé, ce qui rejoint à nouveau la littérature [5]. Cependant, les outils tels que les groupes Balint et le CAS psychosocial peuvent être contraignants de par leur durée, leur manque de flexibilité et leurs coûts. Dans tous les cas, la sensibilisation est indispensable à tous les niveaux, afin de susciter l’intérêt mais surtout de déstigmatiser. Il faut cependant ajouter que dans le cadre de ce travail, par souci d’éthique, nous n’avions pas le point de vue des patient·e·s concerné·e·s. Ceci serait indispensable pour évaluer l’expérience des patient·e·s ainsi que l’efficacité des mesures au niveau thérapeutique. L’exploration de la stigmatisation des maladies psychiatriques en Suisse pourrait être l’objet d’une future investigation étant donné que la majorité des études à ce sujet ont été effectuées à l’étranger. Il pourrait aussi être intéressant d’investiguer de possibles stigmates structurels (manque de fonds par exemple).
Le poster accompagnant le texte est disponible sous forme d’annexe en ligne en tant que document séparé.
Nous tenons à remercier toutes les personnes interviewées pour leur disponibilité. Un grand merci à notre tutrice, Mme Elodie Schmutz, pour son soutien. Merci aux étudiant·e·s ayant répondu au sondage.
Dr méd. Alexandre Ronga
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
dvms.imco[at]unisante.ch
1 Nordentoft M, Wahlbeck K, Hällgren J, Westman J, Ösby U, Alinaghizadeh H, et al. Excess mortality, causes of death and life expectancy in 270,770 patients with recent onset of mental disorders in Denmark, Finland and Sweden. PLoS One. 2013;8(1):e55176.

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