Introduction du terme «syndrome de détresse physique» dans la CIM 11
Peer-review

Stress somatique: guide pour gérer sans stress les symptômes psychovégétatifs

Perfectionnement
Édition
2023/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.1237180665
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(10):310-313
Data Supplement
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Affiliations
a Médecin de famille mediX Gruppenpraxis
b psychiatre mediX Gruppenpraxis

Publié le 04.10.2023

Jusqu’à présent, la gestion des troubles fonctionnels était entravée par un diagnostic flou et parfois déroutant. Heureusement, cela a changé avec l’introduction de la CIM 11 au 1er janvier 2022: désormais, ces troubles sont regroupés sous le terme de «trouble à symptomatologie somatique», également appelé «syndrome de détresse physique», de code 6C20 [1].
Aujourd’hui, ce n’est plus la question de la causalité qui est déterminante, mais celle de l’ampleur de l’atteinte. Cela tient compte de la réalité de vie des patientes et patients et facilite la classification diagnostique et l’éducation. Pour le médecin de premier recours, cela est synonyme de nouvelles chances pour la collaboration avec les patientes et patients atteints de troubles fonctionnels, qui représentent une part significative du travail clinique des médecins de famille [2].
Dans le présent article, nous souhaitons montrer comment le diagnostic détaillé du stress somatique et l’éducation basée sur du matériel visuel peut conduire à une collaboration satisfaisante pour les deux parties.
Nos réflexions s’appuient sur le modèle thérapeutique de Wampold [3], modifié par Büchi [4]. D’après celui-ci, trois facteurs sont décisifs aux yeux des patientes et patients pour l’effet des mesures thérapeutiques:
  • la qualité de la relation thérapeutique: communication d’égal à égal
  • l’expertise du thérapeute: compétence diagnostique et thérapeutique
  • la plausibilité du modèle thérapeutique: explication compréhensible par la patiente ou le patient de ses symptômes et de l’approche thérapeutique.

Histoire de cas – partie 1: les débuts sont toujours difficiles

Monsieur Meier (nom d’emprunt) se présente à votre cabinet de médecine de famille et fait état de fatigue, troubles du sommeil, vertiges diffus, troubles de la concentration, douleurs musculo-squelettiques et ballonnements, le tout présent depuis plusieurs mois. Il dit avoir la sensation que quelque chose ne va plus avec son corps. En tant que médecin, il se peut que la description vous mette quelque peu mal à l’aise. Vous vous sentez démuni(e), ne savez pas par où commencer, et souhaitez en réalité en finir au plus vite avec la consultation.

Pourquoi le thème est-il pertinent?

Lors des consultations de médecine de famille, jusqu’à 30% des patientes et patients souffrent de troubles fonctionnels [2, 5]. Cela impacte fortement leur qualité de vie et s’accompagne souvent d’anxiété et de dépression; le risque de suicide est accru [2, 6]. L’évolution peut s’interrompre d’elle-même, mais on assiste à une chronicisation dans 30% des cas [2]. Le stress causé par les symptômes somatiques engendre en outre des frais de santé élevés [2, 6]. Une intervention médicale précoce a une forte influence sur le pronostic et relève donc des soins de premier recours [2, 6].

Quelle est la définition du syndrome de détresse physique?

Le terme de stress somatique se caractérise par la présence de symptômes physiques sur une longue période (>3 mois), auxquels la patiente ou le patient accorde une attention élevée, qui ont un impact sur la vie quotidienne, et qui entraînent des consultations médicales répétées [1]. Les symptômes peuvent comprendre presque tous les systèmes d’organes [1]. Le syndrome de détresse physique peut être classé en léger (6C20.0), modéré (6C20.1) ou grave (6C20.2) en fonction du degré et des répercussions des signes décrits plus haut [1]. En outre, une distinction peut être faite entre un type multi-organes et un type mono-organe, avec quatre sous-catégories en fonction des symptômes prédominants (type gastro-intestinal, par ex. syndrome du côlon irritable; type musculo-squelettique, par ex. fibromyalgie; type cardiopulmonaire, par ex. palpitations; type généralisé, par ex. fatigue, épuisement). Dans le présent article, nous souhaitons mettre volontairement l’accent sur le type multi-organes, plus fréquent.
Le terme de «détresse physique» a été introduit en 2007, suite à des travaux de recherche au Danemark indiquant qu’une multitude de syndromes somatiques fonctionnels pouvaient être attribués à un schéma commun de réactions de stress physiologiques. Le terme général de «détresse physique» reflète bien ce concept validé d’origine empirique [7]. Le diagnostic de trouble à symptomatologie somatique résulte essentiellement d’une anamnèse détaillée et d’un examen. Il est ici particulièrement pertinent de noter qu’il ne s’agit désormais plus d’un diagnostic d’exclusion, mais qu’on peut partir du principe d’un trouble à symptomatologie somatique même en cas de problèmes somatiques explicatifs, et sans diagnostic dominant, dans la mesure où les critères de définition (attention excessive, impact sur la vie quotidienne et consultations répétées) sont remplis. Ceux-ci peuvent être vérifiés au moyen de questionnaires standardisés (par ex. QSP-15). Le syndrome de détresse physique peut donc coexister avec tout autre diagnostic (par ex. affections respiratoires, cancer ou diagnostics psychiatriques comme anxiété ou dépression [2]).

Pourquoi cette situation est-elle si délicate pour le médecin de premier recours?

Les symptômes physiques fonctionnels se manifestent rarement seuls. Les personnes touchées décrivent souvent un «bouquet» de troubles diffus, en apparence indépendants. Le cadre temporel de la consultation est alors souvent excédé, et la consultation manque de «fil conducteur». Il en résulte un sentiment d’impuissance de la part du médecin et des difficultés à communiquer avec la personne touchée. Toute la palette de symptômes végétatifs n’est autre qu’une réaction physiologique tout à fait normale du corps à une mise à l’épreuve anormalement élevée. La difficulté réside dans le fait que les fonctions du système nerveux végétatif en situation de stress sont tout simplement inconnues de nombreux médecins. Les offres de formation continue correspondantes sont rares et peu exploitées. Il serait utile de rendre appréhensible l’intervention médicale dans des ateliers pratiques. S’exercer dans le cadre de jeux de rôle, en particulier, aiderait à vaincre les incertitudes. Un stress élevé peut, surtout s’il est prolongé, indiquer des exigences excessives. Détecter les modèles qui déclenchent du stress devrait être une priorité. Cependant, cela relève du domaine de la psychothérapie, ce qui supposerait la mise en relation avec les spécialistes appropriés.

Comment les directives actuelles [2] peuvent-elles aider à maitriser la situation?

Les directives recommandent une prise en compte précoce des causes fonctionnelles de troubles physiques [2]. Dès la première consultation, celles-ci doivent être intégrées au vaste diagnostic différentiel dans le cadre d’une approche double, et communiquées à la patiente ou au patient. Le terme de «stress somatique» laisse dans un premier temps ouverte l’étiologie d’un seul symptôme, et se concentre sur le fardeau ressenti subjectivement en raison des troubles. Il permet une approche simple et non stigmatisante pour les personnes touchées [2] vis-à-vis d’une possible étiologie fonctionnelle.

Comment appliquer au mieux les vastes directives [2] lors de la consultation?

Pour le médecin de premier recours, une démarche structurée et standardisée facilite l’orientation dans les consultations souvent délicates. Des questionnaires standardisés comme le QSP-15 facilitent l’amorçage du dialogue, amènent la focalisation du symptôme isolé au fardeau individuel, et aident à poser un diagnostic clair au moyen de valeurs seuils. Ensuite, l’éducation est centrale: des graphiques de modèles permettent de présenter à la patiente ou au patient un modèle d’explication par étapes, compréhensible et plausible de ses nombreux troubles. L’affichage structuré d’informations psychophysiologiques rassurantes entraîne un effet thérapeutique pertinent faisant disparaître l’anxiété, connue pour décupler les symptômes.

Histoire de cas – partie 2: plus facile avec des aides

Après que Monsieur Meier ait décrit ses troubles, vous suspectez une origine fonctionnelle. Vous lui expliquez que d’après votre expérience, les symptômes qu’il a décrits surviennent souvent dans le cadre d’une affection consécutive à un stress. Vous lui montrez le modèle de stress (fig. 1) et lui expliquez les différents axes du stress. Monsieur Meier s’étonne de voir que tous ses symptômes sont décrits dans le modèle de stress. Vous parlez de son fardeau professionnel et du quotidien familial exigent. Au moyen d’une illustration du système nerveux végétatif (fig. 2), vous lui expliquez de façon claire comment une exposition durable au stress peut conduire à des symptômes physiques. Vous prévoyez d’exclure encore des causes somatiques importantes au moyen d’une analyse sanguine (claire). Pour avoir un aperçu du fardeau de ses symptômes, vous lui demandez de remplir les questionnaires QSP-15 [8] et HADS [9] pour la prochaine consultation.
Figure 1: Le modèle de stress.
Figure 2: Illustration du système nerveux végétatif.

Quelles sont les aides concrètement utiles?

L’élaboration commune du modèle de stress (fig. 1) est un bon moyen d’amorcer la discussion et permet d’éviter efficacement que la consultation soit axée sur l’explication des différents troubles. Il représente un dénominateur commun concernant les symptômes émotionnels, cognitifs et physiques. En outre, la thématique «stress» peut être appréhendée comme une disproportion entre résilience (résistance personnelle) et des facteurs de stress (travail, famille, etc.). Pour une explication plus détaillée de l’apparition des symptômes et de la physiopathologie, une figure concernant le système nerveux végétatif (fig. 2) a fait ses preuves. Celle-ci est bien compréhensible pour la patiente ou le patient, et exempte de tout reproche ou stigmatisation. Même si la question de l’étiologie au sens académique est un peu plus complexe et pas totalement élucidée, un modèle de maladie simplifié évite que les personnes concernées aient du mal à comprendre et ressortent encore plus inquiètes de la consultation. Le questionnaire patient QSP-15 [8] est un instrument clair et éprouvé pour recenser le fardeau de 15 symptômes physiques. Le nombre total de points révèle un indice d’intensité (6-9 points: légère; 10-15 points: modérée; >15 points: sévère). Ainsi, à partir d’un score total de 9 points, il est possible de poser avec certitude le diagnostic de syndrome de détresse physique sans faire de déclaration sur la causalité des différents symptômes. Ce qui compte, c’est le fardeau ressenti par les personnes concernées en raison de leurs symptômes somatiques. La Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) [9] est un questionnaire répandu et éprouvé pour évaluer l’anxiété et la dépression chez les patientes et patients présentant des troubles somatiques. Il peut être proposé aux personnes concernées dans le cadre d’une évaluation globale.

Histoire de cas – partie 3: des rendez-vous de suivi judicieux

Monsieur Meier se présente quelques jours plus tard au rendez-vous de suivi fixé et explique que suite à la précédente consultation qui l’a rassuré, son fardeau a déjà diminué, et notamment ses vertiges. Vous pouvez le conforter en lui faisant état des analyses de laboratoire normales. Les résultats des questionnaires QSP-15 [8] et HADS [9] vous fournissent rapidement un bon aperçu du tableau clinique actuel. Vous lui expliquez que, sur la base des informations actuelles, vous pouvez poser le diagnostic d’un syndrome de détresse physique. En passant en revue les symptômes persistants, vous évaluez encore une fois consciencieusement la nécessité de poursuivre le diagnostic différentiel. Vous discutez ensuite des options thérapeutiques.

Quelles sont les options thérapeutiques en cas de syndrome de détresse physique?

La principale intervention thérapeutique est l’éducation au sens d’une instruction compétente de la patiente ou du patient concernant son tableau clinique [2]. Des rendez-vous de suivi réguliers dans un cadre calme et détendu [2] sont utiles pour faire des progrès et éclaircir les questions ouvertes: une éducation répétée entraîne un ancrage de la compréhension de l’affection et une réduction de l’anxiété liée aux symptômes. Les mesures centrales pour favoriser la résilience pouvant être envisagées dans le cadre d’un concept thérapeutique multimodal sont notamment la kinésithérapie et les méthodes basées sur la pleine conscience [2]. L’objectif est un renforcement durable de l’auto-efficacité de la patiente ou du patient et la régulation de la perception du corps [2].
Ce qui est ici optimal, c’est un programme d’activation physique systématique avec des physiothérapeutes formés [2]. Un second pilier réside dans le traitement des troubles du sommeil, d’une part par la communication de mesures d’hygiène de sommeil, et d’autre part par un traitement médicamenteux temporaire. Celui-ci s’oriente en fonction des directives [2] et se base sur une approche graduelle (1. produits végétaux comme le houblon et la valériane, 2. antidépresseurs sédatifs comme la trimipramine ou la trazodone, 3. hypnotiques comme le zolpidem). La transition vers la psychotherapie ambulatoire devrait être envisagée en cas de fardeau psychosocial pertinent ou de comorbidité psychique [2], mais ce n’est pas toujours nécessaire. En fonction de la motivation spécifique de la patiente ou du patient, l’approche thérapeutique multimodale peut être complétée par des formes thérapeutiques complémentaires (par ex. inhalothérapie, thérapie basée sur la pleine conscience, biofeedback, méditation, entraînement autogène) [2]. La délivrance d’un arrêt de travail de courte durée, évaluée consciencieusement, peut s’avérer nécessaire dans les situations aiguës. Cependant, les interruptions de travail trop longues doivent être évitées autant que possible [2].

Histoire de cas – partie 4: une bonne collaboration plutôt que «le revoilà»

Au bout de quelques semaines, Monsieur Meier se présente à un nouveau rendez-vous de suivi. Il affirme que la qualité de son sommeil s’est nettement améliorée, et ajoute que la physiothérapie l’a aidé à se sentir à nouveau bien dans son corps. Il explique être fier de se rendre régulièrement aux rendez-vous et de faire quelque chose pour lui-même malgré son quotidien exigent. Vous l’appuyez dans son intention de conserver à l’avenir une activité physique régulière. Une nouvelle détermination du score QSP-15 [8] confirme la nette amélioration du fardeau lié aux symptômes somatiques.

Résumé pour la pratique

Le diagnostic de trouble à symptomatologie somatique, également appelé syndrome de détresse physique (code CIM-11: 6C20) [1], facilite la gestion des différents troubles fonctionnels. Désormais, l’attention se concentre sur l’ampleur du fardeau causé par les symptômes. Ce n’est donc plus un diagnostic d’exclusion, et il permet une discussion précoce avec la personne concernée dans le cadre d’une approche double (somatique et fonctionnelle). Pour une mise en œuvre concrète des directives S3 actuelles [2] dans le quotidien du cabinet, nous recommandons l’algorithme de travail structuré présenté ici (fig. 3) avec un diagnostic clair (QSP-15 [8] et HADS [9]) et une éducation détaillée incluant du matériel visuel.
Figure 3: Flowchart.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Daniel Imhof
Hausarztmedizin
Medix Gruppenpraxis Wipkingen
Rotbuchstrasse 46
CH-8037 Zürich
daniel.imhof[at]medix.ch
1 OMS 2022 Icd.who.int CIM-11 (en ligne) disponible sur (accès le 12.04.2023)
2 Roenneberg, C., Henningsen, P., Sattel, H., Schäfert, R., & Hausteiner-Wiehle, C. (2018). S3-Leitlinie Funktionelle Körperbeschwerden. AWMF online.
3 Wampold, B. E. (2017). What should we practice? A contextual model for how psychotherapy works. The cycle of excellence: Using deliberate practice to improve supervision and training, 49–65.
4 Büchi, S., & Haas, S. (2017). Das Patientenvertrauen im Fokus. Bulletin des médecins suisses, 98(25), 829–831.
5 Haller, H., Cramer, H., Lauche, R., & Dobos, G. (2015). Somatoform disorders and medically unexplained symptoms in primary care: a systematic review and meta-analysis of prevalence. Deutsches Ärzteblatt International, 112(16), 279.
6 Roenneberg, C., Sattel, H., Schaefert, R., Henningsen, P., & Hausteiner-Wiehle, C. (2019). Funktionelle Körperbeschwerden. Dtsch Arztebl Int, 116, 553–560.
7 Fink P, Toft T, Hansen MS, Ørnbøl E, Olesen F. Symptoms and syndromes of bodily distress: an exploratory study of 978 internal medical, neurological, and primary care patients. Psychosom Med. 2007 Jan;69(1):30–9.

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