Le médecin de famille comme premier recours

De la découverte banale à une histoire sans fin

Case reports
Édition
2023/09
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10738
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(09):286-288

Affiliations
a Rappjmed AG, Schweiz; b Tumor & BrustZentrum Ostschweiz


Publié le 06.09.2023

Introduction

Nous décrivons ci-dessous un cas qui a occupé le médecin de famille et divers spécialistes pendant des années. Jusqu’alors, le patient ne présentait pas d’antécédents médicaux notables, hormis une maladie coronarienne. Les dernières consultations chez le médecin de famille n’avaient porté que sur des questions psychosociales.

Le chirurgien n’est pas pris en compte – mais on opère quand même

Fin mai 2012, le patient, alors âgé de 63 ans, s’est présenté chez son médecin de famille en raison de deux tuméfactions à la cuisse gauche. Celles-ci se sont révélées indolentes, grossières mais bien déplaçables. Conformément au souhait du patient, ce dernier a été adressé à la clinique chirurgicale la plus proche en vue d’une ablation chirurgicale.
L’IRM réalisée à cette clinique a révélé des nodules superficiels bilatéraux d’une taille allant jusqu’à 11 cm de diamètre, qui, en dépit de l’absence d’enrichissement en produit de contraste, ont été considérés comme suspects de malignité à cause de leur structure inhomogène. Une biopsie a donc été réalisée en octobre 2012. L’histologie a révélé un lymphome non-hodgkinien à cellules B (grade I de l’OMS, sous-type: lymphome cutané primitif des centres germinaux [type jambe] [1, 2]). La stadification TEP/TDM a révélé, outre des manifestations tumorales au niveau des deux cuisses, ainsi qu’au niveau glutéal droit et une atteinte bilatérale des ganglions lymphatiques inguinaux, une tumeur du rein gauche (fig. 1).
Figure 1: Le scanner avec contraste réalisé dans le cadre du TEP/TDM montre une tumeur rénale gauche de 79 × 114 × 120 mm, qui reste négative au TEP-TDM au 18F-FDG (prise et montrée grâce à l’aimable autorisation du service de médecine nucléaire de l’hôpital cantonal des Grisons).
Une immunochimiothérapie par R-CEOP a été initiée en vue de traiter le lymphome. Par ailleurs, une néphrectomie a été réalisée en décembre 2012. L’histologie a révélé un carcinome rénal à cellules claires (pT3a Fuhrmann grade III) [3]. L’urologue n’avait pas prévu de traitement supplémentaire. Les contrôles de suivi ont été confiés à l’oncologue impliqué.

Commentaire

Les lymphomes cutanés sont rares (environ 100 cas par an en Suisse); mais avec un taux de survie à 5 ans de >90–95%, ils ont un bon pronostic. Toutefois, le sous-type diagnostiqué dans ce cas précis, qui serait plus typiquement observé au niveau des membres inférieurs, est généralement considéré comme agressif et à croissance rapide. La littérature indique une mortalité pouvant atteindre 50%.

L’affection primaire se traite facilement – le problème se situe ailleurs

Le traitement du lymphome s’est déroulé avec succès. Certes, après huit cycles de R-CEOP, la TEP/TDM de mai 2013 révélait toujours un foyer sous-cutané métaboliquement actif au niveau du grand glutéal droit, mais après deux séances de radiothérapie en août 2013, aucun des examens de contrôle ultérieur n’a mis en évidence d’autres manifestations lymphatiques. L’immunothérapie par rituximab a finalement été poursuivie jusqu’en octobre 2015.
Lors du suivi radiologique en septembre 2013, trois nouveaux foyers ronds pulmonaires sont apparus, qui, en raison de l’absence d’enrichissement au TEP/TDM, ont été interprétés comme étant des métastases du carcinome rénal [4]. Celles-ci – il avait été convenu d’attendre la dynamique de l’évolution – présentaient une nette progression en mars 2014, de sorte qu’un nouveau traitement médicamenteux de la tumeur a dû être initié.
A partir de ce moment, le traitement du patient s’est avéré très compliqué. Il fallait en permanence mettre en balance le contrôle des résultats observés et la qualité de vie du patient. Le pazopanib a provoqué de fortes diarrhées. Le nivolumab a engendré chez le patient des douleurs rhumatismales si intenses que le patient a dû être temporairement traité au méthotrexate.

Commentaire

Le carcinome des cellules rénales représente environ 2% de toutes les tumeurs à l’échelle mondiale. Au moment du diagnostic, des métastases sont observées dans environ un tiers des cas. Malgré la néphrectomie, 20 à 50% des patients développent des métastases au cours de leur maladie. En présence de métastases à distance, la survie à 5 ans n’est que de 10%.

Une nouvelle série de revers

En août 2018, le patient a été victime d’un infarctus du myocarde, qui a été pris en charge moyennant une angioplastie coronarienne transluminale percutanée (ACTP) et la pose d’un stent. C’est la raison pour laquelle les fortes douleurs de l’aine droite apparues un mois plus tard ont d’abord fait penser à un anévrisme spurium. Toutefois, un scanner a mis en évidence une métastase osseuse ostéolytique au niveau de la tête du fémur droit (fig. 2), en plus des ostéolyses pelviennes et une progression des métastases pulmonaires.
Figure 2: Le scanner de suivi, réalisé le 09/2018, montre un nouveau évènement osseux (enregistré par et montré grâce à l’aimable autorisation de RODIAG Diagnostic Centers, Rapperswil).
La métastase osseuse a été irradiée en octobre 2018 moyennant dix séances de radiothérapie. Les résultats subséquents, découverts au scanner, ont été pris en compte par une adaptation du traitement (cabozantinib et calcimagon quotidiens; denosumab mensuel) [6]. Le cabozantinib a entraîné des effets secondaires, tels qu’une mucosite et des troubles du goût, de sorte que la dose a d’abord été réduite, puis le médicament a finalement été suspendu en mars 2019 [7].
En avril 2019, le patient a développé un enrouement et une dyspnée; il a été adressé à une consultation d’endocrinologie en raison d’un goitre croissant. A cette occasion, la thyroïde y a été jugée suspecte en raison de son inhomogénéité; le patient, qui souffrait entre-temps d’une aggravation de son état général se plaignant de dyspnée et de stridor, a été adressé à un ORL, qui l’a traité par méthylprednisolone et a prélevé des biopsies thyroïdiennes. Celles-ci ont révélé la présence de métastases de carcinome à cellules rénales [8], à la suite de quoi le traitement par cabozantinib a été repris malgré les effets secondaires attendus. En juin 2019, le comité des tumeurs a décidé de renoncer à une procédure chirurgicale et de traiter le patient par radio-oncologie, ce que ce dernier a néanmoins refusé.
Toutefois, une impressionnante régression locale de la tumeur a été obtenue jusqu’en septembre 2019. En janvier 2020, une tentative de suppression du cabozantinib a été entreprise, qui a toutefois échoué. En effet, en l’espace d’une semaine, le patient a de nouveau développé un enrouement et des difficultés respiratoires, c’est pourquoi le traitement a dû être repris. Plus tard, on a tenté de passer à l’evérolimus, ce qui a échoué en raison d’une mucosite affectant la cavité buccale. En l’absence de traitement, la métastase thyroïdienne s’est développée rapidement.
Le patient a donc finalement accepté la radiothérapie. Le scanner réalisé en mai 2020 a montré une nette réduction du volume de la métastase thyroïdienne, tandis que les métastases pulmonaires étaient également en régression.

Commentaire

La première métastase thyroïdienne a été décrite par Rudolf Virchow en 1871. Même si le carcinome à cellules rénales ne métastase que très rarement au niveau de la thyroïde (principalement dans les ganglions lymphatiques, les poumons, le foie et les os), il en représente l’origine la plus fréquente affectant environ un quart des métastases thyroïdiennes diagnostiquées cliniquement. La comparaison des études cliniques et pathologiques révèle des différences considérables en termes de prévalence et de sources de métastases thyroïdiennes.

Un effet secondaire redouté rend nécessaire une grande opération

Après une extraction dentaire au cours de l’été 2020 – le denosumab avait été toléré jusqu’à présent – une nécrose étendue de la mâchoire supérieure droite a fait son apparition, ce qui a nécessité une intervention interdisciplinaire étendue de chirurgie maxillo-faciale et d’ORL (infundibulotomie, septoplastie, extraction de trois autres dents, ablation des tissus nécrosés et couverture plastique des zones édentées). Comme prévu, des douleurs maxillaires sont apparues après l’opération, en plus d’un retard de cicatrisation de la plaie buccale. Ces douleurs ont été bien supportées grâce au paracétamol et au tapentadol jusqu’à la mi-décembre 2020. De même, le scanner de stadification a montré une évolution stable des manifestations tumorales.
En fin d’année, les douleurs au sein de la mâchoire opérée se sont aggravés et la plaie, qui ne guérissait que lentement, s’est infectée. Le frottis a révélé la présence de Klebsiella Oxytoca, de Stenotrophomonas maltophilia et de streptocoques du groupe Viridans. Le traitement antibiotique par triméthoprime/sulfaméthoxazole, adapté à la résistance, a permis la guérison de l’infection et la cicatrisation de la plaie, ce qui était satisfaisant pour le patient compte tenu de la réduction de la douleur remportée et de la possibilité de s’alimenter désormais sans gêne.

Commentaire

Des processus inflammatoires chroniques sont supposés être à l’origine des nécroses de la mâchoire sous traitement antirésorptif. Il faut savoir que ces ostéonécroses sont nettement plus fréquentes si l’indication thérapeutique est d’ordre oncologique (jusqu’à 12%) comparée à une indication ostéologique (jusqu’à 1%).

Atteinte tumorale sous contrôle – pas les symptômes

Lors des visites de contrôle subséquentes auprès de son médecin de famille, le patient s’est plaint de douleurs croissantes dans la région parascapulaire droite. Ni la radiographie ni le scanner (04/2021: conditions d’hospitalisation) n’ont révélé de résultat corollaire. Les douleurs n’ont diminué que brièvement sous tapentadol, de sorte que l’on est passé à l’oxycodone. Néanmoins, une faiblesse croissante et des douleurs persistantes, surtout au niveau de la mâchoire, sont apparues, si bien que le patient a demandé une visite à domicile de son médecin traitant en mai 2021. A cette occasion, le traitement existant de la douleur a été remplacé par des patchs de fentanyl avec une réserve de gouttes de morphine et le suivi ultérieur par le médecin de famille a été discuté.
Le patient vivait maintenant des épisodes de bon contrôle des symptômes et pouvait même participer avec grand plaisir à une rencontre de voitures anciennes. Néanmoins, la peur de l’étouffement dominait de plus en plus la scène, de sorte qu’il doublait de lui-même la dose de carbozantinib, ce qu’il pouvait supporter désormais en raison de l’arrêt de la prise de nourriture entre-temps.
Depuis des années, il était membre de l’association EXIT et a exprimé fin mai le souhait de mettre fin à ses jours avec le soutien de l’association [9]. Quatre jours après la prise de contact avec EXIT par le médecin de famille, un exitus létal s’est produit après la prise autonome de 15 mg de pentobarbital de sodium.

Conclusion

Ce cas montre comment un résultat d’apparence complètement anodine s’est avéré être une manifestation inhabituelle d’une cause maligne et comment, par la suite, une autre maladie maligne est apparue par hasard, ce qui n’a pas seulement mis à l’épreuve les médecins traitants pendant des années. Le patient, lui aussi, a dû faire face à de nombreux défis au cours de toutes les étapes médicales. Il s’est découragé à plusieurs reprises et a perdu patience et confiance, ce qui a conduit à des retards de diagnostic et de traitement, voire à l’arrêt de médicaments sans consultation. Néanmoins, cela a pu être surmonté, tout comme les nombreux effets secondaires auxquels le patient a été confronté au cours de son parcours [10].
Le médecin de famille, qui avait d’ailleurs d’abord pensé à un lipome, a eu plus qu’un rôle de référent: à plusieurs reprises il a été le premier interlocuteur et a accompagné ce patient au cours d’une centaine de consultations, du premier examen jusqu’au décès du patient.

Take-home message

En cas de nodules sous la peau, il vaut la peine de penser aussi à des cas rares.
Même un cas aussi complexe que celui décrit peut être suivi par des centres ambulatoires qui ne sont pas coordonnés de manière centralisée. L’implication d’une tumor board interdisciplinaire s’avère ici indispensable.
Le maintien de la qualité de vie s’avère être un objectif essentiel, si ce n’est décisif, dans la prise en charge du cancer.
Nawied Taghizadegan Tehrani
Rappjmed AG
Allmeindstrasse 5
CH-8645 Rapperswil-Jona
nawied.tehrani[at]rappjmed.ch
1 Zinzani PL, Quaglino P, Pimpinelli N, Berti E, et al. Lymphomas. J Clin Oncol. 2006 Mar 20;24(9):1376-82. doi: 10.1200/JCO.2005.03.6285. Epub 2006 Feb 21. PMID: 16492713.
2 Willemze R, Jaffe ES, Burg G, Cerroni L, et al. WHO-EORTC classification for cutaneous lymphomas. Blood. 2005 May 15;105(10):3768-85. doi: 10.1182/blood-2004-09-3502. Epub 2005 Feb 3. PMID: 15692063.
3 Méndez-Vidal MJ, Molina Á, Anido U, Chirivella I, et al. Evidence review and clinical practice in the management of advanced renal cell carcinoma. BMC Pharmacol Toxicol 2018 Nov 26;19(1):77. doi: 10.1186/s40360-018-0264-8. PMID: 30477570; PMCID: PMC6258404.
4 Roberto M, Botticelli A, Panebianco M, Aschelter AM, et al. Metastatic Renal Cell Carcinoma Management: From Molecular Mechanism to Clinical Practice. Front Oncol. 2021 Apr 22;11:657639. doi: 10.3389/fonc.2021.657639. PMID: 33968762; PMCID: PMC8100507.
5 M. Grimm, M. Schmidinger, I. Duran Martinez, G. Schinzari, et al. Tailored ImmunoTherapy Approach with Nivolumab in advanced Renal Cell Carcinoma (TITAN-RCC) Annals of Oncology (2019) 30 (suppl_5): v851-v934. 10.1093/annonc/mdz394
6 Krajewski W, Dzięgała M, Kołodziej A, Dembowski J, et al. Vitamin D and urological cancers. Cent European J Urol. 2016;69(2):139-47. doi: 10.5173/ceju.2016.784. Epub 2016 Apr 19. PMID: 27551550; PMCID: PMC4986303.
7 Schmidinger M, Danesi R. Management of Adverse Events Associated with Cabozantinib Therapy in Renal Cell Carcinoma. Oncologist. 2018 Mar;23(3):306-315. doi: 10.1634/theoncologist.2017-0335. Epub 2017 Nov 16. PMID: 29146618; PMCID: PMC5905684.
8 Tjahjono R, Phung D, Gurney H, Gupta R, et al. Thyroid gland metastasis from renal cell carcinoma: a case series and literature review. ANZ J Surg. 2021 Apr;91(4):708-715. doi: 10.1111/ans.16482. Epub 2020 Dec 14. PMID: 33319504.
9 Emanuel EJ, Onwuteaka-Philipsen BD, Urwin JW, Cohen J, et al. Attitudes and Practices of Euthanasia and Physician-Assisted Suicide in the United States, Canada, and Europe. JAMA. 2016 Jul 5;316(1):79-90. doi: 10.1001/jama.2016.8499. Erratum in: JAMA. 2016 Sep 27;316(12):1319. PMID: 27380345.
10 Moffat P. Quality of life in patients with cancer
Int J Palliat Nurs. 2008 Jan;14(1):4. doi: 10.12968/ijpn.2008.14.1.28147. PMID: 18414326.

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