La schistosomiase intestinale
Maladie tropicale négligée
Peer-review

La schistosomiase intestinale

Le cas particulier
Édition
2024/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2024.1150375059
Forum Med Suisses. 2024;24(05):57-59

Affiliations
a Klinik für Allgemeine Innere Medizin / Hausarztmedizin und Notfallmedizin, Kantonsspital St. Gallen, St. Gallen
b Klinik für Innere Medizin, Spital Linth, Uznach
c Gastroenterologie, Klinik für Innere Medizin, Spital Linth, Uznach
d Institut für Pathologie, Kantonsspital St. Gallen, St. Gallen

Publié le 31.01.2024

Contexte

Les douleurs abdominales sont l’une des plaintes les plus fréquentes au cabinet de médecine de famille. La triade associant douleurs abdominales, selles liquides et fatigue se rencontre dans de nombreux diagnostics différentiels, couvrant tout le spectre des affections organiques à fonctionnelles. Les informations de l’anamnèse peuvent parfois être trompeuses.

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 22 ans, originaire d’Érythrée et vivant depuis longtemps en Suisse, s’est présenté au cabinet de son médecin de famille. Le motif était une baisse de performance persistante depuis deux mois, accompagnée le soir de douleurs spasmodiques dans la partie centrale de l’abdomen en lien avec la prise alimentaire (thé noir, vin rouge, bière, lait). Les douleurs duraient environ une à deux heures, étaient parfois accompagnées de selles liquides et disparaissaient après la défécation. Le patient a déclaré ne pas avoir de troubles mictionnels. Un inhibiteur de la pompe à protons a été initié à titre probatoire. En outre, le patient a reçu du métamizole à prendre au besoin.

Examen clinique et résultats

Sur le plan clinique, le patient était en bon état général. L’examen physique n’a révélé aucune anomalie pouvant orienter le diagnostic. Les analyses de laboratoire de routine étaient sans particularité, à l’exception d’une hyperglycémie limite. Compte tenu de la persistance des douleurs abdominales, sans amélioration notable sous inhibiteurs de la pompe à protons, le patient a été adressé à un service de gastro-entérologie en raison d’une suspicion initiale d’intolérance alimentaire. L’œsophago-gastro-duodénoscopie réalisée a permis d’exclure une intolérance au lactose. Il n’y avait aucun signe de maladie cœliaque, de maladie de Whipple ou de lambliase. L’iléocoloscopie a montré de petites lésions inflammatoires punctiformes dans l’iléon terminal et la région cæcale (fig. 1).
Figure 1: Coloscopie. Altérations inflammatoires et hyperémie dans le cæcum (A) et l’iléon terminal (B).

Diagnostic

L’examen histologique des biopsies du cæcum et des biopsies étagées du côlon a révélé une inflammation aiguë avec nombreux granulocytes éosinophiles ainsi que la présence d’organismes parasitaires, d’une taille atteignant 150 µm, incrustés dans la muqueuse, compatibles avec des œufs de schistosomes (fig. 2).
Figure 2: Coupe histologique des biopsies étagées du côlon; coloration à l’hématoxyline-éosine (HE) à un grossissement de 25 fois (A) et 400 fois (B); coloration au bleu d’Alcian-acide périodique de Schiff (PAS) à un grossissement de 25 fois (C) et 400 fois (D). Mise en évidence d’organismes parasitaires mesurant jusqu’à 150 µm, compatibles avec des œufs de schistosomes (B, D), et d’une éosinophilie tissulaire concomitante (B).
Les biopsies gastriques ont mis en évidence une gastrite chronique active à Helicobacter pylori de sévérité modérée (gastrite de type B), les biopsies duodénales étaient normales. Aucun parasite (autres schistosomes, lamblias) n’a été détecté dans l’estomac ou le duodénum. Il n’y avait pas de signes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin.
De plus, des œufs de Schistosoma (S.) mansoni étaient visibles dans un échantillon de selles. Une analyse par «enzyme-linked immunosorbent assay» (ELISA) n’a pas formellement identifié S. mansoni (immunoglobulines [Ig] G anti-Schistosoma: 2 UA; référence: 1–19 UA). L’«immunofluorescence antibody test» (IFAT) a fourni la preuve sérologique d’une schistosomiase (titre d’IgG anti-Schistosoma: 1:1280; référence: <1:20). Le diagnostic de schistosomiase intestinale a donc pu être confirmé.

Traitement et évolution

Suivant la Société suisse de médecine tropicale et de médecine des voyages, une échographie abdominale et une analyse d’urine ont été effectuées avant le début du traitement médicamenteux afin de quantifier l’ampleur de l’infection. Ces examens se sont révélés normaux. Une cysticercose a été exclue (sérologie Taenia solium: négative). Dans l’hémogramme différentiel, les éosinophiles étaient normaux (0,37 G/l). Sous contrôle de la kaliémie et des transaminases, du praziquantel 60 mg/kg de poids corporel a été administré par voie orale en deux doses (Jour 0 et Jour 30). Après la première dose de praziquantel, les éosinophiles ont augmenté (0,56 G/l). L’anthelminthique a été très bien toléré par le patient. Déjà peu après la deuxième dose de praziquantel, le patient a signalé une nette amélioration de ses troubles intestinaux. Lors des contrôles de suivi, les schistosomes n’étaient plus détectables dans les examens de selles. Enfin, nous avons planifié un nouvel examen des selles, accompagné d’un hémogramme différentiel et d’un test sérologique de dépistage de la schistosomiase, 24 mois après le début du traitement.

Discussion

Peu connue en Europe, la schistosomiase [1] fait partie, comme la lèpre et 15 autres affections [2], des maladies classées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme maladies tropicales négligées [3]. Environ 200 000 000 de personnes dans le monde sont porteuses de ces vers [3]. Jusqu’à 200 000 personnes meurent chaque année des suites de la maladie [4].
Chez l’être humain, l’infection est causée par des cercaires de schistosomes [5] (trématodes du genre Schistosoma). Les larves utilisent des escargots dans les eaux douces comme hôtes intermédiaires [2, 5] et pénètrent dans la peau intacte des êtres humains sous forme de cercaires. Après transformation adaptative par perte de la queue, les schistosomes migrent sous forme de larves dans la circulation sanguine. Ils atteignent d’abord les poumons, puis le cœur et passent par la circulation cardiaque gauche pour atteindre le foie. C’est là que les parasites atteignent leur maturité sexuelle. Ils quittent le foie par paires, et en passant par les veines mésentériques, atteignent, selon l’espèce de parasite, les organes cibles: le gros intestin (S. mansoni), les vaisseaux sanguins (entre autres mésentériques) (S. japonicum) [6] et la vessie (S. haematobium) [2, 4, 5]. Ils se fixent à la paroi et commencent à excréter les œufs, qui sont évacués par l’urine ou les selles. De ces œufs éclosent des miracidies (larves ciliées), qui infectent à nouveau les escargots d’eau douce [4, 5].
Chez les personnes originaires de zones d’endémie [1], la contamination se produit dans l’enfance [3, 4], après un contact répété avec l’agent pathogène en nageant ou en pataugeant dans des eaux douces. Il en résulte un effet cumulatif, avec une maladie manifeste chez les jeunes adultes [2]. Bien qu’il s’agisse d’une maladie infectieuse, l’évolution est similaire à celle d’une affection chronique [5]. Le diagnostic est posé par détection microscopique des œufs dans les selles ou l’urine ou à partir d’échantillons tissulaires prélevés par endoscopie [4]. L’excrétion des œufs est intermittente. Ainsi, en cas de suspicion, trois échantillons de selles doivent être recueillis à trois jours différents [4, 5]. En cas d’examen microbiologique négatif, un test de réaction de polymérisation en chaîne (PCR) à partir de selles ou de sang et la détection sérologique d’anticorps peuvent fournir des informations [4, 7]. Le sous-typage des œufs de schistosome sur le matériel histologique n’est pas toujours possible de manière univoque selon le plan de coupe. Dans le cas présent, certains œufs présentaient un éperon latéral (fig. 2 B et D), de sorte que le diagnostic différentiel le plus probable était S. mansoni. Cette espèce est largement présente en Afrique et au Moyen-Orient [8].
Une fibrose hépatique, une splénomégalie ou des anomalies vésicales doivent être exclues par échographie. Avant de commencer le traitement par praziquantel, il faut exclure une cysticercose [4, 5]. En raison de son activité contre les larves de Taenia solium, le praziquantel peut aggraver une éventuelle cysticercose intraoculaire ou une neurocysticercose.
Une éosinophilie initiale est présente chez 30–60% des malades [5]. Une augmentation du nombre d’éosinophiles environ sept jours après la première dose de praziquantel conforte le diagnostic. Non traitée, cette infection peut entraîner des complications à long terme telles qu’hypertension portale, varices œsophagiennes et fibrose hépatique.
Des kystes d’Endolimax nana, de Dientamoeba fragilis et de Blastocystis hominis ont été trouvés accessoirement dans les selles du patient. Onze mois après l’examen initial des selles, Endolimax nana était toujours détectable au microscope. Endolimax fait partie des amibes apathogènes et ne nécessite pas de mesures thérapeutiques; Dientamoeba et Blastocystis ne sont que rarement pathogènes. Leur seule présence ne constitue pas une indication thérapeutique obligatoire.
La colonisation de la muqueuse gastrique par Helicobacter pylori n’a pas été traitée dans un premier temps chez ce patient asymptomatique.

L’essentiel pour la pratique

  • Vu que la schistosomiase est pratiquement inconnue en Europe, qu’elle est le plus souvent asymptomatique et qu’elle ne provoque que rarement des anomalies dans les analyses de laboratoire de routine, la pose du diagnostic est un véritable défi dans la pratique quotidienne.
  • En cas de douleurs abdominales avec des selles liquides chez une personne originaire d’une zone d’endémie, il faut penser à une schistosomiase intestinale (Schistosoma mansoni). En cas d’infection par Schistosoma haematobium, il faut plutôt suspecter des troubles au sens d’une hématurie.
  • Le diagnostic est posé par détection des œufs de parasites dans les selles ou l’urine ou à partir d’échantillons tissulaires prélevés par endoscopie. En cas d’examen microbiologique négatif, un test de réaction de polymérisation en chaîne (PCR) à partir de selles ou de sang et la détection sérologique d’anticorps peuvent fournir des informations.
  • Avant l’initiation du praziquantel, il faut exclure une cysticercose. Après la première dose de praziquantel, le nombre d’éosinophiles peut augmenter, ce qui conforte le diagnostic. Après environ six mois, le nombre d’éosinophiles devrait s’être normalisé. Des contrôles sérologiques doivent avoir lieu après 12 et 24 mois. La baisse des anticorps est un bon indicateur du succès du traitement.
  • Le praziquantel n’est pas autorisé en Suisse. Le médicament est administré en quantité définie individuellement et est alors officiellement pris en charge par l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH).
Dr méd. univ. (RO) Ioana A. Foege Klinik für Allgemeine Innere Medizin / Hausarztmedizin und Notfallmedizin, Kantonsspital St. Gallen
Dr. med. univ. Ioana A. Foege
Arztpraxis Reichenburg
Kantonsstrasse 21
CH-8864 Reichenburg
arztpraxis-reichenburg[at]hin.ch
1 Isenring E, Fehr J, Gültekin N, Schlagenhauf P. Infectious disease profiles of Syrian and Eritrean migrants presenting in Europe: a systematic review. Travel Med Infect Dis. 2018;25:65–76.
2 Deol AK, Fleming FM, Calvo-Urbano B, Walker M, Bucumi V, Gnandou I, et al. Schistosomiasis – assessing progress toward the 2020 and 2025 global goals. N Engl J Med. 2019;381(26):2519–28.
3 McManus DP. Defeating Schistosomiasis. N Engl J Med. 2019;381(26):2567–8.
4 Kantele A. EbM-Guidelines 28.3.2020 Schistosomiasis (Bilharziose). Köln: Deutscher Ärzteverlag (Abruf am 28.07.2022). Verfügbar unter:
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