Masses pulmonaires avec une découverte surprenante
Maladie inflammatoire multisystémique
Peer-review

Masses pulmonaires avec une découverte surprenante

Le cas particulier
Édition
2024/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2024.1145249624
Forum Med Suisses. 2024;24(06):76-78

Affiliations
Kantonsspital St. Gallen, St. Gallen: a Klinik für Allgemeine Innere Medizin
b Klinik für Rheumatologie

Publié le 07.02.2024

Contexte

Les vascularites sont des maladies multisystémiques, qui sont classifiées en fonction de la taille des vaisseaux touchés (selon les critères de la «Chapel Hill Consensus Conference»). Parmi les vascularites figurent les vascularites associées aux anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA). Il s’agit typiquement de vascularites nécrosantes des vaisseaux de petit et moyen calibre (capillaires, veines, artérioles, petites artères). En laboratoire, la détection d’ANCA anti-myéloperoxydase (MPO-ANCA) ou anti-protéinase 3 (PR3-ANCA) est caractéristique. Les vascularites associées aux ANCA (VAA) incluent la polyangéite microscopique, la granulomatose avec polyangéite (GPA) et la granulomatose éosinophilique avec polyangéite [1]. Dans la GPA, l’antigène cible est la protéinase 3 dans 95% des cas et la myéloperoxydase dans 5% des cas. La détection d’ANCA est positive dans la phase initiale chez env. 50% des personnes atteintes et dans la phase de généralisation chez env. 90% [2].
La GPA se caractérise par une vascularite granulomateuse nécrosante qui affecte le plus souvent les voies respiratoires supérieures et inférieures ainsi que les reins. Des granulomes peuvent en outre se développer dans d’autres organes, tels que les poumons, ou au niveau rétro-orbitaire [1]. Rarement, d’autres systèmes d’organes sont touchés, comme dans le cas de l’otite avec perte auditive.
Initialement, les symptômes des voies respiratoires supérieures, tels que sinusites, sécrétions nasales sanguinolentes et formation de croûtes, sont typiques. Même en cas de granulomes pulmonaires, on considère encore qu’il s’agit d’une forme localisée de GPA. En l’absence de traitement immunosuppresseur, la vascularite peut se manifester de manière systémique et entraîner une atteinte des reins, du système nerveux et de la peau ou une hémorragie alvéolaire. Une atteinte du tractus gastro-intestinal est rare [2, 3].

Présentation du cas

Anamnèse et examen clinique

Une patiente de 73 ans nous a été adressée en raison de signes inflammatoires systémiques et de valeurs hépatiques élevées. Depuis deux semaines, elle souffrait de douleurs entre les omoplates irradiant dans la nuque et le bas du dos. Elle a également fait état d’une rhinite et de sueurs nocturnes depuis deux semaines. L’examen clinique a révélé une douleur à la pression au niveau du rachis cervical et thoracique, sans autre anomalie pouvant orienter le diagnostic. Les seuls antécédents médicaux connus étaient une hypertension artérielle bien contrôlée par candésartan.

Résultats et diagnostic

Lors de la première présentation, les analyses de laboratoire ont montré une protéine C réactive (CRP) de 227 mg/l, des valeurs hépatiques légèrement élevées (aspartate aminotransférase [ASAT] 80 U/l, alanine aminotransférase [ALT] 59 U/l, phosphatase alcaline [PAL] 194 U/l, gamma-glutamyltransférase [GGT] 103 U/l), un taux d’hémoglobine de 118 g/l, une leucocytose de 13,2 G/l avec une répartition normale et une thrombocytose de 668 G/l. La créatinine était normale et l’analyse urinaire était sans particularité. La patiente était afébrile et l’évolution de son poids était stable.
La tomodensitométrie (TDM) du thorax (fig. 1A), qui avait déjà été demandée en ambulatoire par le médecin de famille, a révélé des masses hilo-médiastinales et des foyers ronds pulmonaires suspects de malignité des deux côtés, qui présentaient un rehaussement très important du 18F-fluorodésoxyglucose à la tomographie par émission de positons (TEP)/TDM subséquente (fig. 1B).
Figure 1: A) Tomodensitométrie du thorax, coupe transversale: masses pulmonaires hilo-médiastinales et pleurales du poumon droit (flèches). B) Tomographie par émission de positons avec tomodensitométrie (TEP/TDM) du thorax, coupe transversale: fort rehaussement de 18F-fluorodésoxyglucose des masses pulmonaires hilo-médiastinales et pleurales des deux côtés (flèches).
© Service de médecine nucléaire, Hôpital cantonal de Saint-Gall
La bronchoscopie était sans particularité, mais l’échographie endobronchique a permis de visualiser une volumineuse masse au niveau dorsal, à l’extrémité du lobe supérieur. Dans le lavage bronchoalvéolaire (LBA), le nombre total de cellules était normal (108 M/l), avec une augmentation des lymphocytes (35,7%) et des granulocytes neutrophiles (15,5%). Le rapport CD4/CD8 était très élevé (7,3). Aucune cellule maligne ou mycobactérie n’a été détectée. De même, aucune mycobactérie n’a été identifiée dans les cultures prélevées. Une sarcoïdose a été envisagée, mais considérée comme peu probable au vu du nombre total de cellules non augmenté dans le LBA.
Après la bronchoscopie, la patiente a développé une fibrillation auriculaire tachycarde et a été victime d’un accident vasculaire cérébral sur occlusion d’une grosse branche de l’artère cérébrale moyenne gauche, le plus probablement en raison d’un évènement embolique. Une fibrillation auriculaire intermittente n’était pas connue et un traitement anticoagulant par apixaban a été immédiatement instauré. Après stabilisation clinique, des immunoglobulines gamma (IgG) anti-Francisella tularensis ont été détectées, avec des IgM négatives. En présence d’un tableau clinique compatible, de la ciprofloxacine a été administrée temporairement. Il n’y a cependant pas eu d’amélioration des paramètres inflammatoires, de sorte que le diagnostic de tularémie a de nouveau été écarté suite à un test de réaction de polymérisation en chaîne (PCR) négatif sur la biopsie ganglionnaire.
Face à une élévation des paramètres inflammatoires (CRP jusqu’à 260 mg/dl) et des valeurs hépatiques (ALAT jusqu’à 804 U/l, PAL jusqu’à 960 U/l) ainsi qu’à une augmentation de la thrombocytose (jusqu’à 959 G/l), une biopsie hépatique a été réalisée, montrant une inflammation portale minime avec nécroses hépatocellulaires. Une biopsie ganglionnaire thoracique a mis en évidence une inflammation granulomateuse avec nécroses. Le test de diagnostic auto-immun a détecté des PR3-ANCA à 22 U/ml (valeur de référence: <2 U/ml). Au vu des résultats de laboratoire, radiologiques et histologiques, une forte suspicion de GPA avec atteinte pulmonaire et hépatique a donc été émise.

Traitement et évolution

Les VAA sont des maladies potentiellement fatales, en particulier en présence d’une atteinte organique. L’instauration rapide d’un traitement immunosuppresseur est essentielle pour le pronostic de la maladie. En cas de manifestations organiques nouvellement apparues, de complications menaçant le pronostic vital ou en situation de récidive, un traitement d’induction est tout d’abord mis en place. En cas d’atteinte organique pertinente et de valeurs inflammatoires élevées, le traitement fait appel à la méthylprednisolone et au cyclophosphamide ou au rituximab [4]. Nous avons donc initié un traitement par méthylprednisolone à la dose de 500 mg par voie intraveineuse pendant trois jours, puis nous avons débuté un traitement par prednisone par voie orale (initialement 50 mg/j). En outre, la patiente a reçu un traitement par 700 mg de cyclophosphamide. Sous ce traitement, nous avons observé une nette amélioration des symptômes cliniques et une régression des paramètres inflammatoires.
L’évolution ultérieure a été compliquée par une baisse de l’hémoglobine et un méléna. La gastroscopie n’a pas permis de trouver une source active de saignement, mais la coloscopie a révélé plusieurs ulcérations. Dans le cadre de la biopsie, une perforation s’est produite, qui a pu être traitée immédiatement à l’aide de deux clips. Le soir même, la patiente a développé un abdomen aigu, si bien que l’indication d’une laparotomie a été posée. En intra-opératoire, plusieurs perforations de l’intestin grêle ont été constatées, de sorte qu’une résection segmentaire de l’intestin grêle d’env. 50 cm avec pose d’une iléostomie a été effectuée. L’examen histologique a révélé une inflammation ulcéreuse et perforante avec une sérosite fibro-purulente. Malgré l’absence de granulomes, nous avons interprété ces anomalies comme étant liées à une atteinte gastro-intestinale dans le cadre de la GPA.
Avec la poursuite du traitement par corticoïde et cyclophosphamide, une amélioration clinique supplémentaire a d’abord été observée et les PR3-ANCA ont baissé de 22 U/ml à 5,4 U/ml. Par la suite, les valeurs hépatiques n’ont cependant cessé d’augmenter (ASAT 637 U/l, ALAT 804 U/l, PAL 958 U/L, GGT 1690 U/l, bilirubine 24 µmol/l). L’échographie abdominale et la sérologie de l’hépatite étant normales, nous avons interprété l’augmentation des transaminases comme étant possiblement d’origine toxique médicamenteuse. Le paracétamol, la mirtazapine, le cotrimoxazole et le cyclophosphamide ont été interrompus, la monothérapie par corticostéroïde a été poursuivie. Une nouvelle biopsie du foie a montré une inflammation portale et lobulaire minime sans signe de vascularite. Grâce à ces mesures, les valeurs de laboratoire se sont rapidement améliorées.
Fort heureusement, une régression complète des masses de tissus mous dans les poumons a été observée à la TEP/TDM de suivi. Un gonflement de la muqueuse du sinus sphénoïdal gauche a en outre été observé. Sur le plan clinique, la patiente a développé une perte auditive lentement progressive sous monothérapie par corticoïde, qu’il n’a pas été possible d’attribuer avec certitude à la maladie de base lors de la consultation oto-rhino-laryngologique (ORL).
Après normalisation des transaminases et retrait de la stomie, une immunosuppression par azathioprine a pu être initiée. Dans le cadre de la pandémie de coronavirus qui sévissait à l’époque, un traitement par rituximab a été refusé par la patiente malgré sa supériorité en termes de maintien de la rémission [5].

Discussion

Dans le cas présenté ici, le diagnostic de GPA avec atteinte pulmonaire et gastro-intestinale a pu être posé. Initialement, nous avons suspecté une tumeur maligne sur la base des résultats de la TDM, de sorte que le diagnostic de GPA n’a été envisagé que secondairement, en plus d’une éventuelle sarcoïdose ou maladie infectieuse.
Le diagnostic de GPA repose sur une combinaison de manifestations cliniques au sens d’une maladie multiorganique ou localisée, sur la détection de PR3-ANCA ou de MPO-ANCA, ainsi que sur la mise en évidence histologique d’une vascularite à partir d’une biopsie d’organe pertinente, par exemple de la peau, des poumons ou des reins. Chez notre patiente, les PR3-ANCA étaient élevés (22 U/ml). La biopsie ganglionnaire prélevée a révélé une inflammation granulomateuse non spécifique, compatible avec une GPA, mais ne prouvant pas cette dernière. L’examen histologique des tissus de l’hémicôlon droit et de la pièce de résection partielle de l’intestin grêle provenant du jéjunum a montré une inflammation ulcéreuse. La patiente présentée ici souffrait donc certes d’une maladie inflammatoire systémique avec détection de PR3-ANCA, mais sans détection formelle de granulomes.
Dans le diagnostic différentiel des masses pulmonaires, une maladie granulomateuse doit être envisagée en plus d’un carcinome bronchique ou de métastases. Un rehaussement à la TEP/TDM ne permet pas de faire la distinction entre ces maladies de manière fiable, de sorte que la biopsie est considérée comme l’examen de référence pour ce type d’anomalies. Dans notre cas, la mise en évidence d’une inflammation granulomateuse dans la biopsie ganglionnaire et la détection de PR3-ANCA ont permis d’orienter le diagnostic [6].
Une atteinte gastro-intestinale est assez rarement rapportée dans la littérature, avec une fréquence d’env. 10–24%. Les altérations macroscopiques les plus souvent décrites en cas d’atteinte gastro-intestinale sont les ulcérations, les nécroses de la paroi intestinale et les perforations. Les biopsies prélevées par endoscopie ne montrent souvent qu’une inflammation non spécifique – comme dans notre cas [7]. Une cause possible pourrait être que les biopsies prélevées par endoscopie sont souvent très superficielles, alors que les vaisseaux de petit et moyen calibre se trouvent plutôt dans la couche profonde de la sous-muqueuse [8].
Les fosses nasales et les sinus paranasaux font partie des localisations les plus fréquentes de la GPA dans la sphère ORL – jusqu’à 85–100% des personnes atteintes de GPA –, tandis qu’une atteinte otologique est constatée dans env. 35% des cas [9]. En particulier dans l’évolution initiale de la GPA, les manifestations otologiques ne sont pas inhabituelles [10]. Même si une atteinte ORL n’a pas pu être formellement démontrée chez notre patiente, le gonflement dans la région du sinus sphénoïdal visualisé à la TEP/TDM serait en principe compatible avec une manifestation ORL.
Dans le cadre du diagnostic différentiel, nous avions initialement aussi pensé à une sarcoïdose. Le rapport CD4/CD8 initialement élevé dans le LBA et une valeur élevée pour le récepteur soluble de l’interleukine 2 (sIL2R) avec cependant un taux normal d’enzyme de conversion de l’angiotensine étaient compatibles avec cette hypothèse. En revanche, la mise en évidence de PR3-ANCA ainsi que l’atteinte gastro-intestinale et un LBA ensuite normal seraient atypiques.

Conclusion

Notre cas montre que la GPA est un diagnostic différentiel majeur lors de l’évaluation de masses pulmonaires. Il convient donc de penser à une GPA en particulier en présence d’autres symptômes organiques, par exemple au niveau des reins, de la sphère ORL, de la peau ou du tractus gastro-intestinal. Un diagnostic précoce et l’instauration rapide d’un traitement immunosuppresseur sont essentiels pour réduire la mortalité et la morbidité de la maladie.

L’essentiel pour la pratique

  • En présence d’une masse pulmonaire avec des signes inflammatoires systémiques ou des symptômes respiratoires tels que rhinite ou otite, la granulomatose avec polyangéite (GPA) doit être considérée comme un diagnostic différentiel possible.
  • Le diagnostic et le traitement précoces ont un impact majeur sur la morbidité et la mortalité.
  • Dans de rares cas, des ulcérations et des perforations gastro-intestinales massives peuvent survenir chez les personnes atteintes de GPA. Des investigations s’imposent en cas de chute de l’hémoglobine accompagnée de douleurs abdominales croissantes.
Dr méd. univ. (AT) Oray Kahraman Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Kantonsspital St. Gallen, St. Gallen
Dr. med. univ. Oray Kahraman
Innere Medizin
Spital Herisau
Spitalstrasse 6
CH-9100 Herisau
oray.kahraman[at]svar.ch
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