Complications cardiaques et thromboemboliques après cardioversion électrique
Une intervention de routine lourde de conséquences
Peer-review

Complications cardiaques et thromboemboliques après cardioversion électrique

Le cas particulier
Édition
2023/48
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.1140058620
Forum Med Suisses. 2023;23(48):1466-1468

Affiliations
Allgemeine Innere Medizin, Hirslanden Klinik Hirslanden, Zürich

Publié le 29.11.2023

Contexte

Dans le traitement de la fibrillation et du flutter auriculaires, la distinction est faite entre contrôle de la fréquence et contrôle du rythme. Ce dernier est recherché chez les patientes et patients symptomatiques (dyspnée, intolérance à l'effort) [1].
Outre les procédures interventionnelles et la cardioversion médicamenteuse par antiarythmiques, le contrôle du rythme peut aussi être obtenu par cardioversion électrique (CVE).
Lors d'une CVE, une décharge électrique est délivrée sous sédation. Tous les cardiomyocytes sont ainsi dépolarisés simultanément, ce qui interrompt les excitations circulaires dans l'oreillette. En tant que générateurs de rythme, les cardiomyocytes spécialisés du nœud sinusal se dépolarisent spontanément en premier et établissent ainsi le rythme sinusal (RS).
La CVE peut rarement entraîner des complications telles qu'arythmies graves, thromboembolies, incidents de sédation et décompensation cardiaque.
Nous présentons un cas dans lequel une CVE a entraîné un infarctus cérébral et rénal et une décompensation cardiaque.

Présentation du cas

Antécédents et anamnèse

Le patient, âgé de 58 ans, était connu pour une cardiomyopathie hypertrophique non obstructive (CMHN). Un an et demi avant sa présentation, une fibrillation auriculaire persistante avait été diagnostiquée et corrigée avec succès par CVE.
En raison de récidives multiples et d'un flutter auriculaire atypique nouvellement apparu, plusieurs CVE et une isolation des veines pulmonaires (IVP) ont été réalisées par la suite. L'IVP a été répétée après quelques mois (ré-isolation des veines pulmonaires droites) et le flutter auriculaire atypique a été ablaté. Lors de l'apparition de la fibrillation et du flutter auriculaires, le patient ressentait une dyspnée d'effort.
Les comorbidités du patient incluaient une hypertension artérielle, une obésité de grade 1, un syndrome d'apnée obstructive du sommeil et une hypothyroïdie. Il prenait du rivaroxaban, du bisoprolol, du périndopril et de la lévothyroxine. Il n'y avait aucun indice évocateur d'une mauvaise observance médicamenteuse.
Cinq jours avant la consultation dans notre hôpital, une CVE ambulatoire avait été réalisée avec succès dans un autre hôpital pour une nouvelle récidive de flutter auriculaire atypique tachycardique. Une échocardiographie transœsophagienne (ETO) n'avait pas été effectuée au préalable, car le patient suivait scrupuleusement une anticoagulation orale (ACO) depuis des mois. Après la CVE, un traitement par amiodarone 200 mg 2-1-2-0 par jour a été instauré en vue d'une titration rapide à 8 g.
Face à une décompensation cardiaque progressive avec oedème pulmonaire, du furosémide a été administré par voie intraveineuse le lendemain, ce qui a amélioré les symptômes. Le patient a pu rentrer chez lui avec du torasémide 10 mg 1-0-0-0 par jour.
Le lendemain soir, le patient a soudainement souffert de nausées et de fortes douleurs abdominales et au flanc du côté gauche. Les troubles ont régressé spontanément après 45 minutes.
Un quart d'heure plus tard, le patient ne pouvait plus parler, calculer ou utiliser un stylo, et le coin droit de la bouche était affaissé. Le patient s'est immédiatement rendu à l'hôpital. La tomodensitométrie (TDM) cérébrale a révélé une ischémie récente dans le territoire de l'artère cérébrale moyenne gauche, dans le segment M3. L'électrocardiogramme (ECG) a montré un RS normocarde, l'ETO n'a pas révélé de source embolique cardiaque. Les troubles ont spontanément régressé dans leur intégralité après quelques heures. Pour l'ACO, le rivaroxaban a été remplacé par l'apixaban, et le patient a quitté l'hôpital le lendemain.
Deux jours plus tard, le patient a été adressé à notre service des urgences par son médecin de famille en raison d'une augmentation inexpliquée de la protéine C réactive (CRP) de 133 mg/l et d'une dyspnée d'effort progressive.

Examen clinique et résultats à l'admission

À son admission, le patient était en bon état général, obèse (indice de masse corporelle [IMC] de 34 kg/m2), normotendu (128/75 mm Hg) et afébrile, avec une saturation en oxygène de 98% en air ambiant. L'auscultation cardiaque et pulmonaire était sans particularité, il n'y avait pas d'œdèmes périphériques. L'abdomen était souple, indolore et avec des bruits intestinaux normaux; les loges rénales n'étaient pas douloureuses à la percussion et à la pression. L'examen neurologique était normal. L'anamnèse et l'examen clinique n'ont révélé aucun signe d'infection.
L'ECG a montré un RS normocarde. L'intervalle QT corrigé par la fréquence (QTc) était nettement augmenté (585 ms). Au niveau des analyses de laboratoire, la CRP (99 mg/l), la créatinine (142 µmo/l) et le «N-terminal pro b-type natriuretic peptide» (NT-proBNP; 2191 ng/l) étaient élevés. La créatinine était de 115 µmol/l un mois auparavant. L'hémogramme et le bilan urinaire étaient normaux, sans leucocyturie, érythrocyturie ou protéinurie. Une ETO a objectivé la CMHN connue, avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche normale (65%). L'oreillette gauche était nettement dilatée. Il n'y avait aucun signe de thrombi cardiaques.
L'imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale a montré l'ischémie déjà connue dans la région de l'insula postérieure (fig. 1A). À la TDM thoracique, il n'y avait pas de signes d'embolie artérielle pulmonaire, d'épanchement pleural ou d'infection pulmonaire. De même, la TDM abdominale n'a révélé aucun signe de source infectieuse. Cependant, il y avait une masse de 3,8 × 2,5 × 2,7 cm au niveau du rein gauche avec une différenciation cortico-médullaire abolie (fig. 1B).
Figure 1: A) Imagerie par résonance magnétique cérébrale, coupe axiale: une zone ischémique est visible au niveau cortical gauche dans la région de l'insula. B) Tomodensitométrie, coupe coronale: une zone hypovasculaire est visible au niveau du rein gauche avec une différenciation cortico-médullaire abolie, dont la cause est initialement indéterminée.

Évolution ultérieure

Le patient a été hospitalisé. Compte tenu de l'intervalle QTc allongé et d'un RS partiellement bradycardique jusqu'à 40/min, l'amiodarone a été arrêtée et le bisoprolol réduit. Un ECG de 24 heures a montré un RS continu sans arythmie majeure.
À l'échographie duplex, les vaisseaux irriguant le cerveau présentaient des altérations artériosclérotiques sans sténose pertinente. Un traitement par statine a été instauré en raison d'une hypercholestérolémie.
Une IRM a été réalisée quatre jours plus tard afin de clarifier la pathologie rénale (fig. 2A). La taille de la lésion avait légèrement diminué. Dans la séquence avec produit de contraste, la zone rénale concernée présentait un défaut de perfusion avec un étroit liseré de parenchyme rénal préservé au-dessus du défaut, correspondant à un infarctus rénal.
Figure 2: Imagerie par résonance magnétique (IRM), coupes coronales. A) Trois jours après la tomodensitométrie de l'abdomen (fig. 1B), une IRM rénale a été réalisée afin de clarifier la lésion. Le parenchyme rénal présentait un étroit liseré au-dessus du défaut. L'environnement périrénal ne présentait pas de rehaussement pathologique, de liquide ou de signes de ganglions lymphatiques pathologiques. La lésion a été interprétée comme un infarctus rénal. B) Lors d'un contrôle deux mois plus tard, le défaut parenchymateux du rein gauche avait nettement régressé, correspondant à une cicatrisation après un infarctus rénal.
Suite à la régression complète de la dyspnée d'effort, le torasémide a été arrêté après quatre jours. L'élévation initiale de la CRP a diminué spontanément au fil du temps et la CRP était de 10 mg/l à la sortie. La créatinine a légèrement baissé à 124 µmol/l. L'ECG avant la sortie a montré un RS normocarde.
Le patient a pu rentrer chez lui après neuf jours, dans un bon état général et sans symptômes.
Lors d'une IRM de contrôle deux mois plus tard, la taille de la lésion rénale avait encore diminué (fig. 2B). Cliniquement, le patient était asymptomatique.
Lors d'un contrôle de laboratoire effectué encore deux mois plus tard, la créatinine était de 119 µmo/l.

Discussion

La prévalence de la fibrillation auriculaire chez les individus atteints de cardiomyopathie hypertrophique a été chiffrée à 22% dans une étude portant sur des personnes âgées de 25–65 ans [2]. L'incidence était de 2% par an sur une période totale de neuf ans [2].
La cause postulée d'une décompensation cardiaque après CVE pour fibrillation/flutter auriculaire est la fréquence cardiaque le plus souvent nettement abaissée par la suite en raison du RS rétabli [3], bien que la contraction normalisée des oreillettes devrait en fait améliorer le débit cardiaque [3].
En cas d'oreillette gauche dilatée et fortement fibrosée, une CVE peut provoquer une détérioration transitoire de la perfusion dans l'oreillette et, donc, une contraction inefficace de l'oreillette («sidération auriculaire») [3]. De façon concordante, notre patient présentait une dilatation de l'oreillette gauche et une amélioration de la dyspnée après réduction des médicaments abaissant la fréquence cardiaque.
La fréquence des thromboembolies dans les 30 premiers jours après une CVE est estimée à 0,96% [4]. Outre l'expulsion de thrombi intra-auriculaires déjà présents, la sidération auriculaire est aussi postulée comme cause des complications thromboemboliques. Il est possible que la dysfonction auriculaire passagère après la CVE favorise la formation de thrombi dans l'oreillette gauche [4].
Selon les lignes directrices, en cas de fibrillation/flutter auriculaire de plus de 48 heures, la CVE doit être précédée d'une ETO pour exclure des thrombi intra-auriculaires ou d'une anticoagulation efficace pendant au moins trois semaines [1]. Dans une étude clinique, 3,6% des patientes et patients avec fibrillation/flutter auriculaire avaient des thrombi dans l'oreillette gauche détectables à l'échocardiographie, malgré une ACO adéquate préalable pendant au moins trois semaines [5].
Chez notre patient, deux thromboembolies s'étaient produites malgré une ACO adéquate. L'infarctus cérébral est la complication thromboembolique la plus fréquente après une CVE [6]. Concernant le changement d'ACO après un accident ischémique, comme cela a été fait chez notre patient, il n'existe pas de recommandations claires à ce jour [7]. Quant à la question de savoir si l'ACO est moins efficace en cas d'obésité, les études n'ont pour l'heure pas montré d'efficacité réduite chez ce groupe de patientes et patients [8]. De plus, notre patient n'était que légèrement obèse (IMC 34 kg/m2).
Ce n'est qu'à l'IRM que les douleurs abdominales et au flanc du patient ont été identifiées comme un infarctus rénal, qui peut alternativement aussi être détecté par échographie avec produit de contraste.
Nous avons interprété l'élévation initiale de la CRP, qui a diminué au fil du temps, dans le cadre de l'infarctus rénal, même si les anomalies urinaires fréquentes dans ce cas, telles que protéinurie ou microhématurie, faisaient défaut.
L'infarctus rénal aigu est probablement bien trop rarement diagnostiqué [9]. Les nombreux diagnostics différentiels des douleurs abdominales rendent difficile la pose du diagnostic correct.
Notre présentation de cas montre plusieurs complications d'une méthode de traitement fréquente, bien que l'on ignore si une ETO avant la CVE aurait permis de détecter des thrombi ou si ceux-ci se sont formés suite à une sidération auriculaire. Il est cependant incontestable que l'ETO avant la cardioversion réduit le risque d'évènements cardio-emboliques chez les patientes et patients hémodynamiquement stables.
En cas de cardioversion médicamenteuse, les recommandations relatives à l'anticoagulation et à l'ETO sont les mêmes que pour la CVE. Seuls les incidents de sédation ne comptent pas parmi les complications possibles [1].

L'essentiel pour la pratique

  • Avant de procéder à une cardioversion électrique (CVE) en cas de fibrillation/flutter auriculaire de plus de 48 heures, une échocardiographie transœsophagienne doit être réalisée pour exclure des thrombi auriculaires ou une anticoagulation efficace doit avoir été suivie pendant au moins trois semaines.
  • Après une CVE réussie, la poursuite de la prise de médicaments modulant la fréquence cardiaque doit être adaptée au profil de fréquence cardiaque post-interventionnel.
  • Malgré une anticoagulation conforme aux lignes directrices, la CVE peut entraîner des thromboembolies pouvant toucher non seulement le cerveau, mais aussi d'autres organes (comme les reins).
  • Après une CVE, une anticoagulation efficace est nécessaire pendant au moins quatre semaines.
  • En cas de douleurs aiguës au flanc après une cardioversion, un infarctus rénal doit être exclu.
Hans Hofmann, médecin diplômé Allgemeine Innere Medizin, Hirslanden Klinik Hirslanden, Zürich
Hans Hofmann
Institut DiaMon
Mellingerstrasse 207
CH-5405 Baden-Dättwil
hans.hofmann[at]praxisvilliger.ch
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2 Olivotto I, Cecchi F, Casey SA, Dolara A, Traverse JH, Maron BJ. Impact of atrial fibrillation on the clinical course of hypertrophic cardiomyopathy. Circulation. 2001;104(21):2517–24.
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6 Juhani Airaksinen KE, Grönberg T, Nuotio I, Nikkinen M, Ylitalo A, Biancari F, et al. Thromboembolic Complications After Cardioversion of Acute Atrial Fibrillation. J Am Coll Cardiol. 2013;62(13):1187–92.
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9 Roos P, Eiden S, Brunner S, Mansella G. L'infarctus rénal aigu. Forum Med Suisse. 2021;21(3738):652–5.
Remerciements
Nous remercions le Dr Kiriaki Kollia, le PD Dr Christoph Karlo et le Dr Markus Bürge pour l'interprétation et la mise à disposition des images.
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