Pneumothorax iatrogène inhabituel
De la contracture musculaire à la détresse respiratoire
Peer-review

Pneumothorax iatrogène inhabituel

Le cas particulier
Édition
2023/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.1137128399
Forum Med Suisses. 2023;23(47):1456-1468

Affiliations
a Innere Medizin, Kantonsspital Olten, Solothurner Spitäler AG, Olten
b Interdisziplinäre Notfallstation, Kantonsspital Olten, Solothurner Spitäler AG, Olten
c Studiengang Chiropraktische Medizin, Medizinische Fakultät, Universität Zürich, Zürich
d Klinik für Pneumologie, Kantonsspital Olten, Solothurner Spitäler AG, Olten

Publié le 22.11.2023

Contexte

Le dry needling est devenu de plus en plus populaire ces dernières années pour le traitement des contractures musculaires en physiothérapie, en chiropratique et en orthopédie. Il consiste à ponctionner les points gâchettes myofasciaux à l'aide de fines aiguilles dans le but de stimuler la circulation sanguine locale, de réduire les réactions inflammatoires et de soulager ainsi les douleurs.
Le dry needling peut entraîner des complications légères à sévères. Dans la région du muscle trapèze supérieur, au niveau des muscles scapulaires médians et dans la région sous-claviculaire, un pneumothorax iatrogène peut être provoqué.
Le cas présenté ci-après concerne une patiente de 23 ans qui a développé un pneumothorax suite à une séance de dry needling dans la région du thorax.

Présentation du cas

Anamnèse

Une patiente de 23 ans s'est présentée en urgence avec des douleurs lancinantes dépendantes de la respiration et des mouvements dans la région de l'hémithorax droit, ainsi qu'une légère dyspnée. Deux jours plus tôt, elle s'était soumise à une séance de dry needling dans la région du muscle rhomboïde droit. C'était la première fois que cette procédure avait été réalisée dans la région du thorax chez cette patiente, dans le cadre d'un cours de formation au dry needling sous supervision. Auparavant, elle avait déjà subi des interventions de ce type au niveau des membres supérieurs à des fins de formation. Les premiers symptômes sont apparus quatre heures après l'intervention.
Au demeurant, aucun antécédent médical pertinent n'a été décrit. La patiente ne fumait pas (notamment pas de cannabis, de chicha, de narguilé ou de vapotage), avait des antécédents familiaux négatifs pour le pneumothorax, n'avait pas de risque accru de développer une maladie pulmonaire dans son quotidien professionnel et n'avait pas de loisirs particuliers comme la plongée.

Examen clinique

À l'examen clinique, les paramètres vitaux étaient normaux, mais la fréquence respiratoire n'a pas été documentée. La saturation en air ambiant était de 100%. L'indice de masse corporelle (IMC) était normal, s'élevant à 22,1 kg/m2. À l'auscultation pulmonaire, des bruits respiratoires atténués, sans bruits adventices, étaient audibles de façon ubiquitaire à droite, avec une percussion sonore. Le site de ponction de la séance de dry needling n'était plus visible.

Résultats

Les analyses de laboratoire effectuées n'ont révélé aucune anomalie. L'échographie a fait apparaître un pneumothorax du côté droit avec un «barcode sign». Afin d'objectiver la taille du pneumothorax, une radiographie conventionnelle du thorax a été réalisée en incidence postéro-antérieure et latérale. Elle a montré un pneumothorax apical de 1,6 cm du côté droit (fig. 1).
Figure 1: Radiographies conventionnelle du thorax en position debout, incidence postéro-antérieure (A) et latérale (B): pneumothorax apical du côté droit, mesurant 1,6 cm (marqué par des flèches dans [ A ], non délimitable dans [ B ]).

Traitement et évolution

En raison de la taille (<2 cm) du pneumothorax et de la régression des douleurs, la pose d'un drain thoracique n'était pas indiquée. La patiente a été hospitalisée pour surveillance. Une radiographie conventionnelle de contrôle a été effectuée quatre heures après l'admission, montrant un pneumothorax de taille constante, la saturation en air ambiant est restée à 100% et les douleurs avaient déjà nettement régressé sous traitement analgésique établi. La patiente a pu quitter l'hôpital le lendemain en bon état général, après une surveillance sans particularité.

Discussion

Environ 10% de la population adulte mondiale souffrent de douleurs articulaires ou musculaires aiguës ou chroniques [1]. Outre les méthodes de traitement non invasives comme le massage, l'acupression, les ultrasons, le biofeedback et les pharmacothérapies, des thérapies mini-invasives comme l'acupuncture ou le dry needling sont également utilisées pour les traiter [1]. Le dry needling consiste à insérer des aiguilles filiformes solides d'un diamètre d'environ 0,2–0,35 mm dans les points gâchettes jusqu'à une profondeur tissulaire de 10–65 mm [2]. Après une séance de dry needling, des complications peuvent survenir avec une latence de quelques minutes à quelques heures [1].
Brady et al. et Boyce et al. ont pu démontrer en résumé que les complications légères (saignements, hématomes, douleurs dans la zone d'application) étaient fréquentes (19–36%) et que les complications graves (douleurs prolongées, syncope, aiguilles oubliées) étaient rares (<0,1%) [3, 4]. Dans la plus grande étude menée à ce jour sur les complications liées à l'acupuncture, Witt et al. ont recensé des complications chez 19 726 personnes (sur un total de 229 230 personnes traitées) sur 2,2 millions de séances d'acupuncture [5]. Deux cas de pneumothorax ont été répertoriés comme complications graves. Cela correspond à 0,001% de toutes les complications survenues dans cette étude [5].
Le risque de pneumothorax iatrogène est accru en cas de dry needling du muscle trapèze, au niveau paraspinal, dans la région scapulaire médiale et dans la région de la clavicule. Une lésion de la plèvre est le plus souvent due à une mauvaise insertion de l'aiguille dans les tissus en termes d'angle, de direction ou de profondeur [6]. Selon les résultats d'une étude post-mortem, une profondeur de ponction de 10–20 mm peut déjà suffire à pénétrer la plèvre, en fonction de la localisation de la ponction et de l'IMC de la personne ponctionnée [7].
La respiration joue un rôle important lors de la ponction du muscle dentelé postérieur et des muscles intercostaux, la distance par rapport à la plèvre étant plus grande en expiration qu'en inspiration. De plus, le choix de la longueur de l'aiguille doit être adapté à l'IMC et au sexe de la personne ponctionnée [8]. En particulier les jeunes femmes avec un IMC bas [2] et les personnes avec des muscles du cou ou du thorax atrophiés [6] ont un risque accru de pneumothorax lors de l'insertion d'aiguilles dans la région des épaules et du haut du dos. En outre, il existe des variantes anatomiques, comme les foramens scapulaires ou sternaux congénitaux, pouvant mesurer 2–5 mm, ce qui est suffisant pour provoquer un épanchement péricardique ou un pneumothorax lors de l'insertion des aiguilles [9].
Parmi les symptômes classiques du pneumothorax figurent la dyspnée, la tachypnée, les douleurs thoraciques inspiratoires, la toux sèche, la cyanose et des bruits respiratoires absents ou atténués à l'auscultation. Très rarement, le pneumothorax peut évoluer vers un pneumothorax sous tension.
Dans le cadre du diagnostic différentiel, il convient de penser à un pneumothorax spontané primaire ou secondaire. Dans la forme primaire, c'est-à-dire sans maladie pulmonaire sous-jacente, et chez les personnes de moins de 45 ans, le tabagisme est le principal facteur de risque. D'autres facteurs favorisants sont les antécédents familiaux de pneumothorax, le syndrome de Marfan et une corpulence grande et mince. Le pneumothorax spontané secondaire est lié à une maladie sous-jacente, par exemple une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), un asthme bronchique, une sarcoïdose ou une mucoviscidose [10, 11].
Le traitement diffère selon la taille du pneumothorax et les symptômes. En cas de petit pneumothorax de moins de 2 cm, sans dyspnée ni douleurs intenses, un traitement conservateur est recommandé [10]. De l'oxygène hautement concentré est administré par une sonde nasale, ce qui permet une absorption de l'air trois à quatre fois plus rapide qu'en air ambiant (1,25–2,2% du volume de l'hémithorax par jour) [10]. La pose d'un drain thoracique est recommandée chez les personnes dyspnéiques et en cas de pneumothorax volumineux. En outre, un drainage doit être mis en place en fonction d'une éventuelle maladie pulmonaire sous-jacente ou lorsque l'âge est supérieur à 45 ans [10].

Conclusion

Malgré leur popularité et leur utilisation croissantes en médecine et en physiothérapie, le dry needling et l'acupuncture semblent être des méthodes très sûres et ne sont pas associées à une augmentation des complications graves.
Le pneumothorax iatrogène est un diagnostic différentiel majeur lors de la survenue d'une dyspnée et de douleurs après une séance d'acupuncture ou de dry needling. Dans le contexte des urgences ou au cabinet de médecine de famille, il est essentiel que tant les personnes traitées que les personnes traitantes connaissent et reconnaissent la complication possible que constitue le pneumothorax après le dry needling et l'acupuncture, afin de ne pas passer à côté de cette complication comme cause des symptômes après une telle intervention. À cet effet, les personnes traitées doivent être informées des symptômes et de la latence possible avant leur apparition, ainsi que de la nécessité de consulter rapidement un médecin en cas d'apparition de symptômes.

L'essentiel pour la pratique

  • Le dry needling est une forme de thérapie fréquemment utilisée pour traiter les troubles musculo-squelettiques, des complications peuvent apparaître après une certaine latence.
  • En Suisse, après certification, à la fois les médecins, les physiothérapeutes, les chiropraticiennes et chiropraticiens et les dentistes sont autorisés à proposer des thérapies de dry needling.
  • Les complications après le dry needling et l'acupuncture sont rares, mais elles doivent être connues et les personnes traitées doivent être bien informées à ce sujet.
  • En cas de dyspnée et de douleurs thoraciques après une séance de dry needling/d'acupuncture, il faut penser à un pneumothorax dans le cadre du diagnostic différentiel.
Viviane Kunz, médecin diplômée Innere Medizin, Kantonsspital Olten, Solothurner Spitäler AG, Olten
Viviane Kunz
Innere Medizin
Kantonsspital Olten
Solothurner Spitäler AG
Baslerstrasse 150
CH-4600 Olten
viviane.kunz[at]spital.so.ch
1 Kozacı N, Çavuşoğlu Yalçın N, Özkaya M, Kırpat V, Çelik A. A rare complication caused by dry needling method: tension pneumothorax. Respir Case Rep. 2017;6(3):145–8.
2 Grusche F, Egerton-Warburton D. Traumatic pneumothorax following acupuncture: a case series. Clin Pract Cases Emerg Med. 2017;1(1):31–2.
3 Brady S, McEvoy J, Dommerholt J, Doody C. Adverse events following trigger point dry needling: a prospective survey of chartered physiotherapists. J Man Manip Ther. 2014;22(3):134–40.
4 Boyce D, Wempe H, Campbell C, Fuehne S, Zylstra E, Smith G, et al. Adverse events associated with therapeutic dry needling. Int J Sports Phys Ther. 2020;15(1):103–13.
5 Witt CM, Pach D, Brinkhaus B, Wruck K, Tag B, Mank S, Willich SN. Safety of acupuncture: results of a prospective observational study with 229,230 patients and introduction of a medical information and consent form. Forsch Komplementmed. 2009;16(2):91–7.
6 Karavis MY, Argyra E, Segredos V, Yiallouroy A, Giokas G, Theodosopoulos T. Acupuncture-induced haemothorax: a rare iatrogenic complication of acupuncture. Acupunct Med. 2015;33(3):237–41.
7 Peuker ET, White A, Ernst E, Pera F, Filler TJ. Traumatic Complications of acupuncture therapists need to know human anatomy. Arch Fam Med. 1999;8(6):553–8.
8 Valera-Calero JA, Cendra-Martel E, Fernández-Rodríguez T, Fernández-de-las-Peñas C, Gallego-Sendarrubias GM, Guodemar-Pérez J. Prediction model of rhomboid major and pleura depth based on anthropometric features to decrease the risk of pneumothorax during dry needling. Int J Clin Pract. 2021;75(7):e14176.
9 Halle JS, Halle RJ. Pertinent dry needling considerations for minimizing adverse effects – part one. Int J Sports Phys Ther. 2016;11(4):651–62.
10 Deutsche Gesellschaft für Thoraxchirurgie (DGT), et al. S3-Leitlinie Diagnostik und Therapie von Spontanpneumothorax und postinterventionellem Pneumothorax; AWMF-Reg.-Nr. 010-007 [Internet]. Berlin: AWMF e.V.; 2018 [Abruf am 24.10.2023]. Disponible sur:
Remerciements
Les auteures et l'auteur remercient le PD Dr méd. Lukas Zimmerli pour son soutien bibliographique ainsi que l'Institut de radiologie médicale de l'Hôpital cantonal d'Olten pour la réalisation des clichés de radiographie conventionnelle du thorax.
Ethics Statement
Un consentement éclairé écrit est disponible pour la publication.
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Les auteures et l'auteur ont déclaré ne pas avoir de conflits d'intérêts potentiels.

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