Fièvre inexpliquée

Pas de diagnostic à travers les vêtements

Le cas particulier
Édition
2023/35
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09147
Forum Med Suisses. 2023;23(35):54-57

Affiliations
Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Spital Nidwalden AG, Stans

Substance active discutée

Publié le 30.08.2023

Contexte

Même dans des cas complexes ou inexpliqués, une anamnèse précise et un examen exhaustif sont souvent négligés au quotidien médical moderne, car on se fie de plus en plus à l’imagerie largement disponible et au diagnostic de laboratoire. Toutefois, des résultats pertinents peuvent ainsi rapidement passer inaperçus, ce qui entraîne des retards significatifs de diagnostic.
Le présent rapport de cas illustre le fait que, à l’inverse, une anamnèse détaillée et un examen corporel complet viennent récompenser les internistes qui font preuve d’assiduité et de persévérance.
Tularemia bacteria Francisella tularensis
Bactéries de type Francisella tularensis , illustration 3D.
© Kateryna Kon / Dreamstime

Rapport de cas

Anamnèse

Pendant les vacances d’été, un patient âgé de 70 ans nous a été adressé par son médecin de famille en raison d’un statut fébrile (jusqu’à 39,0 °C) depuis une semaine, associé à une faiblesse générale et des douleurs généralisées. Depuis la veille, il présentait en outre une légère toux non productive sans dyspnée, ni douleurs thoraciques ainsi qu’une sensation modérée de pression holocrânienne. Le reste de l’anamnèse systémique n’était pas pertinent. L’anamnèse de voyage était négative, aucune morsure de tique n’a été déclarée, le patient a toutefois rapporté se promener souvent dans la nature (montagne, forêt).
L’anamnèse personnelle a révélé une maladie artérielle occlusive périphérique et un diabète sucré de type 2. Le patient a confirmé une consommation modérée de nicotine et déclaré ne souffrir d’aucune allergie. La médication régulière du patient incluait l’acide acétylsalicylique, la rosuvastatine, une insuline à longue durée d’action, la metformine et la saxagliptine.

Statut

Lors du recueil initial du statut de médecine interne, le patient âgé de 70 ans se trouvait dans un état général légèrement diminué et présentait des résultats neurologiques, cardiopulmonaires et abdominaux normaux. Il a été renoncé à l’examen approfondi du statut des ganglions lymphatiques en raison de la charge temporelle au service d’urgence.

Résultats

L’électrocardiogramme de repos, l’échographie de l’abdomen ainsi que la radiographie et la tomodensitométrie (TDM) du thorax étaient normaux. À l’admission, les analyses biochimiques ont révélé un taux normal de leucocytes, un taux de protéines C-réactive (CRP) de 9 mg/l et une anémie normocytaire normochrome. Des cultures sanguines ont été prélevées.

Évolution

L’admission stationnaire a eu lieu au vu du foyer non déterminé de la fièvre. Il a d’abord été renoncé à un traitement antibiotique en raison de l’état général tolérable et des paramètres inflammatoires presque normaux.
Par la suite, des pics de fièvre quotidiens jusqu’à 39,9 °C ont été observés (fig. 1), accompagnés de sueurs et frissons, en l’absence de symptômes durant les phases afébriles. Lors du séjour de 11 jours, les analyses biochimiques ont seulement révélé une légère hausse des taux de CRP (de 9 à 21 mg/l) et de leucocytes (de 7,4 à 12,8 G/l).
Figure 1: Ligne de temps avec courbe de fièvre, valeurs de laboratoire et résultats d’examens.
TDM: tomodensitométrie; F.: Francisella ; FSME: méningo-encéphalite à tiques; IgG: immunoglobuline G.
Une TDM de l’abdomen destinée à rechercher le foyer de la fièvre au quatrième jour d’hospitalisation a montré une lymphadénopathie inguinale, iliaque et périaortique gauche inexpliquée (fig. 2).
Figure 2: Tomodensitométrie de l’abdomen, plan transversal: lymphadenopathie périaortique gauche.
Un nouvel examen clinique a mis en évidence une lymphadénopathie inguinale correspondante ainsi qu’une papule dans la région médiale de la cuisse gauche (fig. 3), qui a été interprétée comme un furoncle au stade de guérison.
Figure 3: Résultat clinique au 10 e jour d’hospitalisation. Escarre sur la partie médiale de la cuisse gauche.
Un curage ganglionnaire inguinal a ensuite été pratiqué en vue d’une évaluation histologique. Le même jour, l’analyse sérologique a révélé une suspicion d’infection par le virus de la méningo-encéphalite à tiques (FSME) (immunoglobuline [Ig]M positives en présence d’IgG négatives), sans indication de la présence de Francisella (F.) tularensis, des virus de l’hépatite, du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), du cytomégalovirus (CMV), du virus d’Epstein-Barr-Virus (VEB) ou de marqueurs rhumatologiques (anticorps antinucléaires [ANA], anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles [ANCA], facteur rhumatoïde [FR]).
Le traitement symptomatique, en particulier les antipyrétiques, a été poursuivi et une conversion des IgG dirigés conte le virus de la FSME ainsi que l’histologie des ganglions lymphatiques ont été attendues.

Diagnostic

Au neuvième jour d’hospitalisation, les cultures sanguines incubées ont montré la croissance de F. tularensis et l’examen histologique des ganglions lymphatiques une lymphadénite réticulocytaire abcédante compatible. Finalement, le contrôle sérologique de suivi a révélé une séroconversion des IgG pour l’infection par le virus de la FSME ainsi que, pour la première fois, l’évidence d’anticorps dirigés contre F. tularensis.
Nous en avons déduit que la cause du statut fébrile était une double infection par F. tularensis et le virus de la FSME. Rétrospectivement, la papule située sur la cuisse gauche s’est révélée être une escarre typique.

Traitement

Un traitement antibiotique de deux semaines à base de ciprofloxacine 2 × 750 mg par jour a été débuté et le patient a pu rejoindre son domicile.
Le contrôle de suivi de médecine de famille s’est déroulé normalement et le patient était exempt de symptômes.

Discussion

Une série de facteurs ont retardé le diagnostic chez notre patient oligosymptomatique: 1. un examen initial incomplet, 2. une sérologie positive à la FSME «distrayante», 3. une sérologie initialement négative à la tularémie et 4. l’évaluation erronée de l’escarre (fig. 3) considérée comme un furoncle en raison du manque d’expérience avec la tularémie.
Comme l’établissement du diagnostic de la tularémie reposait sur la croissance des cultures sanguines, le diagnostic de la double infection a été retardé et le début du traitement ainsi repoussé.
La tularémie (également appelée fièvre du lapin, maladie de Ohara ou fièvre du lemming) est une anthropozoonose causée par une bactérie à Gram négatif de l’espèce F. tularensis.
La bactérie est présente dans l’environnement et contamine principalement les rongeurs, lièvres et lapins. Les vaches, chevaux, moutons, chiens, chats, oiseaux et amphibiens peuvent toutefois aussi contracter la tularémie. La transmission à l’humain s’effectue via
les piqûres de tiques ou d’insectes;
le contact direct avec des animaux infectés ou leurs excréments ou cadavres;
l’inhalation ou le contact de terre, eau ou poussière contaminées.
La transmission interhumaine directe n’a pas été décrite [1]. En raison de la forte contagiosité, de la persistance dans l’environnement, d’une éventuelle transmission par aérosols et des évolutions graves de la maladie, il existe en Suisse une obligation de déclaration des infections à F. tularensis chez l’humain et l’animal depuis 2004 [2]. Par ailleurs, l’agent pathogène est considéré comme une arme biologique potentielle [1].
Le degré de sévérité clinique va d’une évolution asymptomatique (environ ⅓) au tableau clinique le plus grave avec choc septique. Les symptômes les plus fréquents incluent lymphadénopathie généralisée (96%), fièvre (97%) et pharyngite (34%). Dans 45% des cas, la porte d’entrée impressionne sous forme de papule, ulcère ou escarre (fig. 3). Près d’un tiers des personnes touchées souffrent de nausées et vomissements, le statut clinique peut présenter une hépatosplénomégalie [1].
Le temps d’incubation se situe entre un et dix jours. Sous traitement conforme aux recommandations, la mortalité est inférieure à 4%, tandis que 30% des malades non traités décèdent [1]. En fonction de la voie d’infection, la tularémie présente diverses formes d’évolution avec des recoupements possibles [1]: la distinction est faite entre l’évolution ulcéro-glandulaire, glandulaire, oropharyngée, oculo-glandulaire, typhoïde (forme septique) et pneumonique, une piqûre d’insecte (indétectée) est postulée comme voie de transmission pour les deux premières formes citées.
Au vu de tous les résultats, nous avons considéré l’escarre, associée à la lymphadénopathie locale mise en évidence à la tomodensitométrie, comme étant due à une tularémie ulcéro-glandulaire. La confirmation d’une infection récente nécessite le quadruplement du titre d’anticorps deux à quatre semaines après le premier test [1]. Dans notre cas, les anticorps sériques se sont convertis au bout d’une semaine, il a été renoncé à d’autres contrôles au vu des cultures sanguines positives en présence d’une histologie compatible.
La mise en évidence de l’agent pathogène responsable de la tularémie à partir de cultures sanguines ou de frottis n’est pas toujours possible, mais doit dans tous les cas être visée avant tout traitement antibiotique empirique. Le traitement ciblé fait appel aux aminoglycosides, aux fluoroquinolones ou aux tétracyclines. La ciprofloxacine est de plus en plus souvent préférée en cas d’évolution légère ou modérée, car elle présente un taux de récidive inférieur à celui de la doxycycline ainsi qu’une concentration minimale inhibitrice plus faible et un profil d’effets indésirables plus favorable que la gentamicine [3, 4]. En raison de la présentation clinique variée et non spécifique, diverses maladies (infectieuses) sont considérées dans le diagnostic différentiel [2, 5].
En Suisse, près de 375 cas de tularémie ont été enregistrés entre 2010 et 2017. Une augmentation du nombre de cas est observée depuis 2015 [2] (fig. 4) de sorte que les médecins des hôpitaux régionaux et les médecins au cabinet entrent de plus en plus souvent en contact avec ce diagnostic prétendument rare.
Figure 4: Cas de tularémie signalés depuis l’introduction de l’obligation de déclaration en 2004; chaque barre correspond aux cas signalés par mois auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) (n = 409) (extrait de [2]: Office fédéral de la santé publique (OFSP). Tularémie: transmise par les tiques, une maladie rare qui se propage. Bulletin OFSP. 2018;18:13–8. Reproduction avec aimable autorisation).
© 2018, Office fédéral de la santé publique.

L’essentiel pour la pratique

«Pas de diagnostic à travers les vêtements»: un statut de médecine interne complet exige que le patient ou la patiente soit dévêtu à l’exception des sous-vêtements. Les lésions «cachées» dans des régions volontiers ignorées (cuisse / parties intimes, dos, racine des cheveux, aisselles, ganglions lymphatiques inguinaux) donnent souvent des indications essentielles pour le diagnostic différentiel.
En cas de fièvre inexpliquée, de lymphadénopathie et/ou d’escarre, il convient d’envisager, outre un large spectre de diagnostics différentiels, la tularémie et, le cas échéant, de débuter rapidement un traitement empirique après le prélèvement d’échantillons.
Sous nos latitudes, en plus d’être les vecteurs d’infections courantes par le virus de la FSME et les borrélies, les tiques transmettent aussi de plus en plus souvent d’autres maladies et les infections doubles sont ainsi possibles.
En raison de la contagiosité, le laboratoire doit être informé de toute suspicion de tularémie afin d’éviter la contamination du personnel de laboratoire.
En présence de cas cliniques inexpliqués, il convient également de garder à l’esprit les résultats secondaires insignifiants. Ceux-ci peuvent s’avérer être des pièces décisives du puzzle lors du diagnostic.
Dr méd. Mirjam Hug
Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Spital Nidwalden AG, Stans
Thomas Tröster, médecin diplômé
Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Spital Nidwalden AG, Stans
Les auteurs remercient le patient pour son consentement à l’utilisation de son anamnèse et ses résultats ainsi qu’à la publication de ce cas. Les auteurs remercient en outre le Dr méd. Frank Flömer (radiologie, Spital Nidwalden) pour l’évaluation des images TDM.
Dr méd. Roman Gaudenz
Klinik für Allgemeine Innere Medizin
Spital Nidwalden AG
Ennetmooserstrasse 19
CH-6370 Stans
roman.gaudenz[at]spital-nidwalden.ch
1 Löscher T, Burchard GD, Lang W. Tropenmedizin in Klinik und Praxis. 4. Aufl. New York, Stuttgart: Thieme Verlag; 2010.
2 Bundesamt für Gesundheit BAG, Hg. BAG Bulletin 18/2018. Tularämie [Internet]. Bern: BAG; 2018 [Accessed 2022, April 4]. Available from: https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/krankheiten/krankheiten-im-ueberblick/tularaemie.html
3 Kohlmann R, Geis G, Gatermann SG. Die Tularämie in Deutschland. Dtsch Med Wochenschr. 2014;139(27):1417–22.
4 Yeni DK, Büyük F, Ashraf A, Shah MSUD. Tularemia: a re-emerging tick-borne infectious disease. Folia Microbiol (Praha). 2021;66(1):1–14.
5 Robert Koch-Institut. Tularämie, RKI-Ratgeber [internet]. Berlin: RKI; 2016 [accessed 2022 April 4]. Available from: https://www.rki.de/DE/Content/Infekt/EpidBull/Merkblaetter/Ratgeber_Tularaemie.html

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