Anomalies pulmonaires suspectes
Augmentation du nombre de cas

Anomalies pulmonaires suspectes

Quel est votre diagnostic?
Édition
2023/26
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09123
Forum Med Suisses. 2023;23(26):48-50

Affiliations
Klinik Innere Medizin, Spital Männedorf, Männedorf


Publié le 28.06.2023

Description du cas

Un homme de 53 ans, non-fumeur, s’est présenté dans un cabinet d’urgence avec une toux présente depuis trois semaines et de la fièvre atteignant jusqu’à 39 °C. Lors de l’examen initial, des râles au niveau de la base du poumon droit ont été détectés à l’auscultation pulmonaire. Le patient présentait une leucocytose limite de 10,1 G/l, dont 61% de neutrophiles, et la protéine C réactive (CRP) était de 35 mg/l. Aucun infiltrat n’était visible à la radiographie du thorax. En raison d’une suspicion de pneumonie, un traitement antimicrobien par clarithromycine a été initialement administré pendant deux semaines, sans toutefois entraîner d’amélioration suffisante des symptômes. Un examen d’imagerie supplémentaire du thorax par tomodensitométrie (TDM) a montré une hyperplasie des tissus mous au niveau hilaire du côté droit, avec un engainement de l’artère pulmonaire droite, ainsi que des ganglions lymphatiques hilaires et médiastinaux hypertrophiés du côté droit. De plus, un nodule de 10 × 15 mm a été constaté dans le lobe médian (fig. 1 et 2).
Figure 1: Tomodensitométrie du thorax, coupe transversale. Nodule de 10 × 15 mm dans le lobe médian, avec un parenchyme pulmonaire au demeurant normal (flèche).
Figure 2: Tomodensitométrie du thorax, reconstruction coronale. Aires ganglionnaires hypertrophiées à droite (11R, 10R et 4R).
Quel est le diagnostic le plus improbable à ce moment-là?
a) Abcès
b) Carcinome bronchique
c) Tuberculose pulmonaire ouverte
d) Sarcoïdose
e) Mycobactériose non tuberculeuse
Compte tenu des épisodes fébriles durant deux semaines et de la réponse insuffisante aux antibiotiques, il convient d’envisager un abcès, un carcinome bronchique, une tuberculose ou une mycobactériose non tuberculeuse. Une sarcoïdose avec une évolution fébrile de deux semaines serait inhabituelle; de plus, la sarcoïdose donne rarement lieu à des anomalies asymétriques à la TDM, ce qui rend ce diagnostic improbable. Au cabinet d’urgence, le diagnostic de suspicion de carcinome bronchique a amené à orienter le patient vers un bilan oncologique. À ce moment-là, un carcinome bronchique ou une cause infectieuse étaient principalement envisagés. Au cours de l›étape diagnostique suivante, un examen de tomographie par émission de positons couplée à la TDM (TEP-TDM) a été prescrit quatre jours après l’examen TDM initial. Celui-ci a montré des aires ganglionnaires hilaires et médiastinales (11R, 10R et 4R) modérément à fortement actives sur le plan métabolique, du côté droit (fig. 3).
Figure 3: Vue d’ensemble de la TEP-TDM. Coupe coronale (A) et coupe sagittale (B).
Quatre jours après la TDM initiale: aires ganglionnaires hilaires et médiastinales modérément à fortement actives sur le plan métabolique (11R, 10R et 4R) à droite.
Le patient a désormais été adressé à la consultation de pneumologie pour des examens complémentaires et un traitement. Il a été décidé de procéder simultanément à une bronchoscopie ainsi qu'à une échoendoscopie bronchique (EBUS) avec ponction des ganglions lymphatiques médiastinaux et hilaires.
Dans le matériel d’aspiration à l’aiguille fine de toutes les aires ganglionnaires (11R, 10R et 4R), du tissu nécrotique abondant a été constaté, sans mise en évidence de cellules tumorales. La biopsie a révélé des fragments de granulome à cellules épithélioïdes avec des nécroses, sans signe de malignité. En outre, des bacilles acido-résistants n’ont pas été détectés à la coloration de Ziehl-Neelsen. En raison du résultat équivoque sans mise en évidence de cellules malignes, une anamnèse précise a de nouveau été effectuée. L’homme, non-fumeur, était originaire de Pologne et travaillait comme palefrenier. Il ne prenait pas de médicaments régulièrement. Personne dans son entourage n’était atteint de tuberculose, et il avait une relation amoureuse stable depuis plusieurs années.
Quel examen complémentaire semble à présent le plus judicieux?
a) Réaction de polymérisation en chaîne (PCR) eubactérienne à partir du prélèvement biopsié lors de l’EBUS
b) Hémocultures pour les agents pathogènes du groupe HACEK
c) Répétition de la bronchoscopie avec échographie endobronchique
d) Enquête d’entourage sur le lieu de travail
e) Test de détection de l’interféron γ
Les hémocultures pour les agents pathogènes du groupe HACEK (c’est-à-dire les espèces Haemophilus, Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Cardiobacterium hominis, Eikenella corrodens, Kingella kingae) ne sont d’aucune utilité dans cette situation, une répétition de la bronchoscopie n’a guère de sens si le matériel initialement prélevé était de bonne qualité et en quantité suffisante, et un test de détection de l’interféron γ n’aide pas à diagnostiquer une tuberculose active. Une enquête d’entourage sur le lieu de travail ne présente un intérêt qu’après un diagnostic de tuberculose pulmonaire ouverte.
L’examen le plus pertinent est une PCR eubactérienne ou une PCR spécifique (plus sensible) pour détecter Francisella tularensis, car il faut penser à cet agent pathogène en présence d’une lymphadénopathie avec liquéfaction et d’une exposition correspondante.
Le patient travaillait dans un centre équestre et était en contact avec des chevaux, des chiens, des souris et des excréments de souris. Comme il n’y avait pas de chat dans la ferme, il y avait précédemment eu une invasion de souris, et le patient avait été en contact pratiquement tous les jours avec des souris et leurs excréments. La PCR spécifique du prélèvement ganglionnaire s’est révélée positive pour Francisella tularensis et la sérologie s’est également révélée positive pour cet agent pathogène. Une tularémie pulmonaire a donc été diagnostiquée, avec, au vu du nodule pulmonaire, une transmission probablement aérogène suite à l’inhalation de poussière lors du nettoyage des étables.
Avec quel médicament le traitement doit-il être initié?
a) Cortisone
b) Métronidazole
c) Ibuprofène
d) Ciprofloxacine
e) Co-amoxicilline
Jusqu’à présent, la streptomycine, la gentamicine, le chloramphénicol, la ciprofloxacine et la doxycycline se sont révélés efficaces pour le traitement de la tularémie. Cependant, la streptomycine, la gentamicine et le chloramphénicol ne sont plus que rarement utilisés dans les cas sévères en raison de leurs effets indésirables. L’administration orale de ciprofloxacine s’est établie comme traitement de première ligne [1]. Cela s’explique par l’excellente biodisponibilité orale, la bonne pénétration et le faible taux de rechute, avec peu d’effets indésirables. La ciprofloxacine est également de plus en plus utilisée dans la population pédiatrique, car contrairement aux inquiétudes antérieures (lésions articulaires et cartilagineuses), il existe désormais de bonnes données de sécurité chez les enfants. Toutefois, il n’existe pour l’heure aucune étude prospective contrôlée de grande envergure, car l’incidence de la maladie est trop faible. L’efficacité des antibiotiques susmentionnés a néanmoins pu être prouvée dans divers rapports cliniques et études in vitro. Notre patient a reçu un traitement antibiotique par ciprofloxacine (2 × 750 mg par jour) pendant trois semaines.
Quelle affirmation concernant le pronostic en cas de tularémie est correcte?
a) Malgré l’administration d’antibiotiques, le taux de létalité est d’env. 50%.
b) Le sous-type de l’agent pathogène ne joue aucun rôle dans le pronostic.
c) Malgré la lymphadénite, un drainage chirurgical n’est jamais nécessaire.
d) Il n’y a pas d’immunité après une infection.
e) Sans traitement antibiotique, l’évolution de la maladie peut se prolonger.
La mortalité et la morbidité de la tularémie dépendent du mode d’infection, de la quantité d’agents pathogènes, du sous-type et du moment du traitement. Pour Francisella tularensis subsp. tularensis, qui n’est répandu qu’en Amérique du Nord, la létalité peut atteindre 30% en l’absence de traitement antibiotique. En revanche, les infections dues au sous-type Francisella tularensis subsp. holarctica, répandu en Europe, n’ont que très rarement une évolution fatale [2]. En l’absence de traitement, l’évolution peut toutefois être longue, avec des états fébriles pouvant aller jusqu’au sepsis ou à la méningite, ainsi que, localement, des lymphadénites abcédantes persistantes nécessitant parfois un drainage chirurgical. En général, on peut s’attendre à une évolution favorable sous traitement antibiotique adéquat [2], et une infection passée donne lieu à une immunité de longue durée [3]. Dans notre cas, le patient s’est complètement rétabli trois semaines après le début du traitement antibiotique.
Quelle affirmation concernant la tularémie n’est pas correcte?
a) Les bactéries se trouvent principalement chez les mammifères sauvages et les ectoparasites suceurs de sang.
b) Francisella turalensis est classé dans la catégorie A (potentiel de risque le plus élevé) des agents potentiels de bioterrorisme.
c) Il n’y a pas d’obligation de déclaration à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
d) Un vaccin contre la tularémie est disponible en Russie.
e) Francisella tularensis est une bactérie à Gram négatif.
En raison de sa forte infectiosité et de la possibilité de transmission par voie aérogène, il existe une obligation de déclaration de la maladie. Il n’y a pas de vaccin disponible en Suisse, mais il en existe un en Russie, qui a été utilisé autrefois lors de grandes campagnes de vaccination.

Discussion

La tularémie ou peste du lièvre est une zooanthroponose causée par la bactérie à Gram négatif Francisella tularensis. Cette bactérie peut être détectée chez les petits mammifères sauvages, tels que les lièvres, les souris, les rats ou les écureuils. La transmission à l’homme se fait généralement par des arthropodes vecteurs (tiques, taons), par ingestion d’eau contaminée ou par inhalation de poussières contaminées. L’agent pathogène est très sensible aux désinfectants et à la chaleur, mais il peut cependant survivre pendant des semaines dans un environnement froid et humide (par ex. dans un cadavre d’animal) [3].
Les manifestations cliniques peuvent varier en fonction de la porte d’entrée de l’agent pathogène. Dans la plupart des cas en Suisse, l’agent pathogène est transmis par une tique et il en résulte une forme ulcéro-glandulaire avec – comme son nom l’indique – des ulcérations au point de piqûre et une lymphadénopathie avec parfois des abcès nécessitant un drainage. L’inhalation de l’agent pathogène sous forme d’aérosol entraîne – comme dans notre cas – une forme pulmonaire avec pneumonie et lymphadénopathie médiastinale. La forme pulmonaire peut tout à fait être confondue avec un carcinome bronchique avec métastases médiastinales en raison des ganglions lymphatiques médiastinaux nécrotiques [1, 4].
Le diagnostic de la tularémie est souvent posé tardivement en raison de sa faible incidence et de ses symptômes non spécifiques. Toutefois, comme le nombre de cas a été multiplié par dix en Suisse depuis 2010, chaque médecin de premier recours devrait connaître cette affection, car l’agent pathogène ne réagit pas à la co-amoxicilline et des évolutions sévères peuvent survenir en cas de diagnostic tardif.
Par conséquent, en présence d’un tableau clinique non spécifique et varié et d’une exposition correspondante, il faut toujours penser à une éventuelle tularémie. Les principaux diagnostics différentiels de la tularémie sont la brucellose, la maladie des griffes du chat, la légionellose, les mycobactérioses, la fièvre Q, la tuberculose, les infections à staphylocoques et à streptocoques et la syphilis [1].
Bien que le diagnostic soit le plus souvent établi par sérologie à l’échelle mondiale, le diagnostic par PCR directement à partir du matériel de biopsie est à privilégier en raison de la rapidité d’obtention des résultats et de la spécificité élevée [2]. La tularémie est une maladie hautement infectieuse, qui peut avoir une évolution potentiellement létale. Elle peut toutefois être traitée efficacement par antibiotiques en cas de diagnostic précoce.
Depuis 2004, la déclaration de la tularémie est obligatoire en Suisse. Au cours des années 2017–2019, 131 cas par an en moyenne ont été recensés (1,54/100 000 habitantes et habitants), avec de grandes différences géographiques en termes de prévalence. Il n’a pas été possible de trouver une raison précise à l’augmentation du nombre de cas, mais les modifications des conditions climatiques et l’augmentation de l’activité des tiques qui en découle, une sensibilisation accrue du corps médical ou la propagation de nouveaux génotypes de Francisella tularensis sont évoquées [5].
Dans notre cas, il s’agissait probablement d’une transmission dans le cadre d’une infestation de souris dans une ferme. Des mesures locales ont été prises pour maîtriser l’invasion de souris et éviter ainsi d’autres cas.
Pour réduire le nombre de contaminations, il faut absolument aussi veiller à ce que les enfants soient bien protégés contre les tiques (pantalons longs, produits anti-tiques, éventuellement éviter de rester dans les hautes herbes). En outre, les enfants devraient être informés qu’ils ne doivent en aucun cas toucher des cadavres d’animaux.
Anja Carina Wyss, médecin diplòmée
Klinik Innere Medizin,
Spital Männedorf, Männedorf
Question 1: d. Question 2: a. Question 3: d. Question 4: e. Question 5: c.
Un grand merci au Dr méd. Steffen Ross pour la belle reconstruction des images.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Anja Carina Wyss
Innere Medizin
Spital Männedorf
Asylstrasse 10
CH-8708 Männedorf
anja.wyss1[at]gmail.com
1 Foley JE, Nieto NC. Tularemia. Vet Microbiol. 2010;140(3–4):332–8.
2 Ellis J, Oyston PC, Green M, Titball RW. Tularemia. Clin Microbiol Rev. 2002;15(4):631–46.
3 Roberts LM, Powell DA, Frelinger JA. Adaptive immunity to Francisella tularensis and considerations for vaccine development. Front Cell Infect Microbiol. 2018;8:115.
4 Rusterholz S, Fiechter R, Eriksson U, Altpeter E, Wittwer M, Schürch N, et al. Tularämie – eine seltene Ursache der Pneumonie. Swiss Med Forum. 2018;18(32):636–40.
5 Office fédéral de la santé publique. OFSP-Bulletin 18/2018. Berne: OFSP; 2018. pp. 13–8.

Verwandte Artikel


Avec la fonction commentaires, nous proposons un espace pour un échange professionnel ouvert et critique. Celui-ci est ouvert à tous les abonné-e-s SHW Beta. Nous publions les commentaires tant qu’ils respectent nos lignes directrices.