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Article de fond
Édition
2024/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1360003352
Bull Med Suisses. 2024;105(10):

Publié le 11.03.2024

Hôpital pédiatrique
En Suisse, l’architecture de la pédiatrie fait peau neuve avec la construction de nouveaux hôpitaux pour enfants. L’occasion de consacrer une rétrospective à cette architecture spécifique, illustrée par l’histoire de l’Hôpital pour enfants de Zurich.
Situé au cœur du quartier zurichois de Hottingen, le vieil hôpital pédiatrique baptisé «Kispi» (abrégé de l’allemand «Kinderspital») est toujours en service. Attendu depuis longtemps, l’emménagement dans les nouveaux locaux aura lieu cet automne. Depuis des décennies, on appelait ce complexe de bâtiments imbriqués les uns dans les autres «union d’usines sidérurgiques» («Vereinigte Hüttenwerke»). En effet, ce qui s’apparente aujourd’hui à un patchwork de seize bâtiments et dix annexes est le fruit d’une évolution sur plus d’un siècle. Véritable puzzle de styles architecturaux divers et variés, on pourrait presque le qualifier de site archéologique car, couche après couche, on décèle dans son architecture les concepts médicaux d’époques données.

Une atmosphère rassurante

À la fin des années 1860, alors que la santé des enfants suscitait davantage d’intérêt, la fondation caritative «Eleonorenstiftung» a entrepris la construction d’un hôpital pédiatrique à Zurich. En 1874, cet imposant bâtiment à la périphérie de la ville a ouvert ses portes.
Bien qu’imposant à l’extérieur, il devait offrir une atmosphère rassurante pour les enfants malades à l’intérieur, outre des soins à la hauteur des connaissances médicales de l’époque, et encourager l’enseignement médical et infirmier. Pour les contemporains, cet établissement ressemblait moins à une «clinique» au sens moderne du terme qu’à un «centre de convalescence confortable» [1].

Ce qui s’apparente aujourd’hui à un patchwork est le fruit d’une évolution sur plus d’un siècle.

Au lieu du vaste bâtiment à deux ailes initialement prévu, seule l’aile Ouest a pu, pour des raisons financières, voir le jour. Peu après l’ouverture, de nouvelles constructions ont poussé autour de l’édifice principal, prenant la forme d’une «petite colonie», selon le comité de surveillance de 1890. Cette évolution s’explique par la demande croissante, ainsi que par les nouvelles exigences médicales, et traduit la diversification grandissante de la pédiatrie.

L’agrandissement de l’hôpital

Très vite, les maladies infectieuses ont occupé le devant de la scène. La diphtérie a entraîné une grave surcharge et une forte contagion au sein de l’hôpital. Une unité contre la diphtérie, construite en 1882 derrière le bâtiment principal, a permis d’augmenter le nombre de lits et d’isoler les personnes contaminées [2]. En 1889, une deuxième petite «unité d’isolement» a été construite avec deux lits dans des pièces séparées, un espace pour une gardienne et une autre chambre pour un parent. Par manque de place, la policlinique s’est d’abord tenue dans la salle d’opération [1], puis a été transférée dans un bâtiment dédié, plus petit, en 1890. Les deux salles d’attente séparées pouvaient aussi servir de quarantaine pour les enfants contagieux [1].
Vue sur les «boxes» de l’unité d’observation de l’Hôpital pour enfants de Zurich, 1935.
© Wolf-Bender’s Erben, Baugeschichtliches Archiv Zürich BAZ 118557.
Achevée en 1904, la nouvelle aile Est concrétisait, sur le plan architectural, l’hypothèse d’un effet curatif de la lumière, de l’air et du soleil, avec une terrasse sur le toit et une véranda. Le service de chirurgie avait aussi renforcé sa position en pédiatrie: l’annexe abritait deux salles d’opération, des salles de plâtre et de radiographie [1].

Plus d’espace pour la science

En 1904, l’hôpital a reçu son propre amphithéâtre en annexe de la policlinique. Il montrait l’académisation de la pédiatrie en tant que discipline médicale d’enseignement et de spécialisation. En 1911, l’Université de Zurich a créé la première chaire de pédiatrie, occupée par le pédiatre bâlois et directeur de l’Hôpital pour enfants, Emil Feer [2].
«L’unité d’observation de Feer», ouverte en 1916, était considérée comme innovante. Les enfants souffrant de maladies non identifiées potentiellement contagieuses y étaient isolés des autres patients et étudiés scientifiquement [3]. Ce concept suivait les directives de l’Hôpital français de l’Institut Pasteur à Paris. L’enfant malade est devenu un objet de recherche médicale. L’aménagement du laboratoire de chimie au sous-sol et la limitation des heures de visite à deux heures hebdomadaires étaient conformes à cette approche.

Du Jugendstil au Bauhaus

Entre 1929 et 1933, deux édifices impressionnants ont été bâtis, en plus de petites unités réservées à un laboratoire moderne, à la blanchisserie et à un garage, ce qui en dit long sur les exigences de l’époque. La maison des infirmières séparée, avec sa salle à manger et des chambres individuelles pourvues d’eau chaude et d’eau froide, offrait plus d’intimité. La profession d’infirmière n’était plus considérée comme une pratique religieuse sacrificielle.
En parallèle, l’unité de maladies infectieuses remplaçait l’observatoire de Feer, laquelle, sur trois étages, rendait compte des recherches microbiennes de l’époque et pouvait accueillir jusqu’à cent enfants. Aux deux premiers étages, les patients étaient isolés dans des boxes aux parois de verre pour une surveillance permanente de toute la station. Sous le toit se trouvait l’unité contre la coqueluche et la tuberculose, avec une vaste terrasse baignée de soleil. Les enfants y passaient le plus clair de leur temps à l'extérieur, même en hiver [3].

Les contraintes économiques pesant sur la santé se traduisaient sur le plan architectural par de nombreuses constructions provisoires.

Parallèlement, l’architecture sobre et clinique du Bauhaus, sous la direction artistique d’Otto Salvisberg, succédait au style originel de l’unité d’observation [4]. Avec ses courbes, le nouveau centre d’infectiologie s’apparentait à un paquebot.

Des conférences pour les mères

Quelques années plus tard, sous l’impulsion du directeur de l’époque, Guido Fanconi, une policlinique fonctionnelle et bien pensée a été construite dans le style de la Nouvelle Objectivité, avec un amphithéâtre et un laboratoire. Elle épousait la pente avec élégance et offrait un accès confortable aux poussettes ou fauteuils roulants grâce à une rampe d’entrée couverte. Le complexe de bâtiments finissait par l’amphithéâtre moderne, qui accueillait, en son arène escarpée, jusqu’à deux cents étudiants. L’accès à l’arène pour présenter les patients pédiatriques dans leurs lits à roulettes était garanti par trois voies différentes depuis la clinique, la policlinique et l’unité de maladies infectieuses.
L’amphithéâtre ne servait pas seulement à la formation médicale initiale et continue, mais aussi à des conférences de vulgarisation hebdomadaires pour les mères, qui étaient très appréciées. L’importance de l’activité scientifique sous l’ère de Fanconi se reflète notamment dans l’agrandissement constant des laboratoires, jusqu’à la construction d’une annexe dédiée à la sérologie en 1949 [3]. Ainsi, le site était largement exploité et tout autre projet de construction semblait obsolète.

L’hôpital se transforme en usine

Répandue dans les années 1960, l’idée du grand hôpital comme usine moderniste de soins technicisés a apporté un nouveau souffle. Le Kispi n’a pas échappé à la règle. En cette période de boom, une étape architecturale radicale a été franchie avec la construction, jusqu’en 1969, d’une unité d’hospitalisation ultramoderne à sept étages. Fait marquant, les premiers bâtiments de l’hôpital, à vocation d’habitation, ont été démolis.
Cependant, avec l’arrivée de la pilule, les enfants escomptés ne sont pas nés. Face à la concurrence des services pédiatriques d’institutions voisines et à l’évolution des spécialités médicales, une réorientation s’imposait. Un hôpital pédiatrique moderne de cette envergure devait assumer le rôle central de clinique spécialisée. Cette vision a influencé le développement de laboratoires, d’ailes de traitement et de salles d’opération. 1974 est marquée par la création d’une piste d’atterrissage pour les hélicoptères de la Rega sur le toit du Kispi [2]. En outre, des services spécialisés tels que l’unité de dialyse, le service de pédopsychiatrie ou encore l’unité pour enfants brûlés ont fait leur apparition.

L’amphithéâtre servait également à organiser des conférences de vulgarisation hebdomadaires pour les mères.

Les soins de santé étaient de plus en plus soumis à des contraintes économiques, ce qui s’est traduit sur le plan architectural par de nombreuses constructions provisoires. Ainsi, à la fin des années 1970, la blanchisserie et le laboratoire, qui devaient répondre aux exigences les plus strictes en matière d’hygiène, ont déménagé dans l’ancienne policlinique datant de 1890. Les premières greffes de moelle osseuse, réalisées à partir de 1987, ne disposaient pas encore de locaux adaptés. Quant aux enfants souffrant de troubles du développement, ils ont d’abord installés dans les combles de la maison des infirmières en 1991.

Le nouveau «Kispi»

En 1987 est né, sous le nom de «Kispi 2000», un projet de reconstruction et de transformation complète de l’hôpital pour enfants, projet qui a finalement échoué. Après trois décennies, ce site au cœur de la ville, avec ses nombreux bâtiments imbriqués les uns dans les autres, a été troqué contre deux terrains en périphérie. Le bureau d’architectes Herzog & de Meuron est à l’origine de ces constructions financées par des fonds privés. Les locaux pourront accueillir le public en novembre 2024. Le style architectural est à nouveau représentatif, quoiqu’au goût du jour.
Terrasse ensoleillée du service des maladies infectieuses de l’Hôpital pour enfants de Zurich, 1935.
© Wolf-Bender’s Erben, Baugeschichtliches Archiv Zürich BAZ 118566.
Un bâtiment rond et futuriste, dédié à la recherche et à l’enseignement, abrite les laboratoires de diagnostic. Cette construction marquante reflète la position actuelle de la science. Mais, pour les connaisseurs, l’architecture renvoie également au passé, l’imposant cylindre en béton armé de sept étages rappelant fortement une variante surdimensionnée du «Narrenturm» viennois. Cet ancien bâtiment de 240 ans, destiné à l’hébergement de patients psychiatriques, était tout aussi futuriste à l’époque.
Un hôpital de soins aigus se charge de l’hébergement, des soins et des traitements des enfants. Comme le premier Kispi il y a 150 ans, il ne ressemble pas à une clinique classique. Le bâtiment en bois, bas et large, s’apparente plutôt à un centre de vacances et dégage confort, chaleur et sécurité. L’architecture met en avant le bien-être psychique de l’enfant malade et ravive l’idée originelle de l’établissement. La construction aérée donne l’impression que de nouvelles «usines sidérurgiques» ou, au moins, une nouvelle «petite colonie» y ont vu le jour, mais sous un même toit.
1 Wiesmann M. 150 Jahre Kispi. Das Universitäts-Kinderspital Zürich im Wandel der Zeit. Zurich, 2018.
2 Lüönd K. Für Kind und Familie. Der Weg des Kinderspitals Zürich ins 21. Jahrhundert. Zurich, 2004.
3 Grunder K. Kinderspital. Dans: Crottet R, Grunder K, Rothenbühler V (Hg.). Die Kunstdenkmäler des Kantons Zürich. Volume VI. Berne, 2016: 160–162 p.
4 Gstöhl F, Steigenberger T. Das Kinderspital in Zürich-Hottingen von Otto Rudolf Salvisberg mit Richard von Muralt (1930-1939). Version abrégée, 2021, en ligne: https://www.ikg.unibe.ch/unibe/portal/fak_historisch/dkk/ikg/content/e40069/e40070/e581209/e1177402/e1177410/ArchitekturhistorischeBewertungKinderspital_ger.pdf

© Wolf-Bender’s Erben, Baugeschichtliches Archiv Zürich BAZ 118557.

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