Ensemble contre le sepsis

Ensemble contre le sepsis

Article de fond
Édition
2024/09
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1359960555
Bull Med Suisses. 2024;105(09):12-15

Publié le 28.02.2024

Prévention
Le sepsis est un syndrome insidieux, souvent difficile à détecter. Une plus grande sensibilisation, une meilleure formation et une approche coordonnée devraient permettre, en Suisse, d’améliorer sa détection précoce et son traitement.
«L’urgence méconnue» ou «le danger sous-estimé». C’est ainsi que l’on qualifie souvent le sepsis, anciennement appelé septicémie. Et pour cause: ce syndrome est très peu connu du grand public. Selon les études, la sensibilisation au sepsis et les connaissances de la maladie font défaut même chez les professionnels [1–4]. Chaque année, environ 49 millions de personnes développent un sepsis dans le monde, et 11 millions en meurent [5] ‒ ce qui fait du sepsis la cause d’un décès sur cinq au niveau mondial. En Suisse, on dénombre 19 000 cas par an, pour 3500 décès.
En principe, toute infection peut mener à un sepsis. Parmi les causes fréquentes, la pneumonie, l’infection urinaire ou l’infection de plaies. Les virus influenza et coronavirus peuvent également déclencher un sepsis. Le problème survient quand le pathogène échappe à la réponse immunitaire locale et se propage dans l’organisme. Cela induit chez certaines personnes une réponse immunitaire extrêmement forte et mal orientée. Elle se dirige alors contre les cellules endogènes, entraînant une défaillance d’organes aiguë et souvent potentiellement mortelle. Les mécanismes impliqués ici sont l’une des grandes inconnues du sepsis.

Le sepsis peut toucher n’importe qui

Les personnes dont le système immunitaire est affaibli ou pas encore mature sont les plus à risque. En font partie les prématurés, les jeunes enfants, les personnes âgées, les malades chroniques, ainsi que les patientes et patients qui suivent un traitement affectant les défenses immunitaires. «Mais en principe, tout le monde peut développer un sepsis», explique la PD Dre méd. Nora Lüthi, de l’Hôpital universitaire pour enfants de Zurich. «Même chez un sujet jeune, jusque-là en bonne santé, une inflammation pulmonaire peut déclencher un choc septique et avoir des conséquences parfois lourdes à long terme.»
Nora Lüthi gère le programme national de mise en œuvre «Sepsis», financé pour cinq ans à hauteur de dix millions de francs par la Commission fédérale pour la qualité (CFQ) [6]. Il s’appuie sur le plan d’action national contre le sepsis, initié en 2022 par le Prof. Dr méd. Luregn Schlapbach, médecin-chef et responsable du service de soins intensifs pédiatriques et de néonatalogie de l’Hôpital universitaire pour enfants de Zurich [7].

Prévenir les décès

L’objectif du programme lancé en septembre 2023 est d’améliorer la prévention, la détection et le traitement du sepsis en Suisse, de soutenir les personnes ayant survécu à un sepsis et leurs proches, et de réduire la charge liée au sepsis. «L’expérience faite dans d’autres pays montre qu’une approche coordonnée et des standards uniformes pourraient réduire de quelque 10% les décès liés au sepsis», souligne Nora Lüthi. «Jusqu’ici, la Suisse ne disposait pas d’une telle initiative nationale d’amélioration du traitement du sepsis, et c’est une chose que nous voulons changer.»
Cela ne signifie pas que la lutte contre le sepsis ne requiert plus d’efforts. Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui participe également au programme de mise en œuvre, joue un rôle précurseur. En 2016, des évaluations de l’Office national de la statistique ont conclu que le taux de mortalité lié au sepsis affiché par le CHUV était élevé par rapport à d’autres hôpitaux universitaires. Si ce type de comparaison est à prendre avec précaution du fait de méthodes de documentation différentes, la direction de l’hôpital a voulu améliorer les choses et initié un programme. Lancé en 2021, il est aujourd’hui déployé dans 14 services [8].

PD Dre méd. Nora Lüthi

Directrice du programme «Sepsis»

«Même chez un individu jeune, jusque-là en bonne santé, une inflammation pulmonaire peut déclencher un choc septique.»

Le programme lausannois contre le sepsis s’articule autour de trois piliers, explique son directeur médical, le PD Dr Sylvain Meylan, du service de médecine interne au CHUV: des responsabilités claires, une détection et un traitement rapides, et un outil de suivi. Au cœur du dispositif, un score de détection précoce du sepsis intégré au dossier électronique du patient, basé sur des paramètres vitaux tels que température corporelle, vigilance, tension artérielle ou respiration. «Ce score aide nos équipes à détecter très tôt une dégradation de l’état des patients», précise Sylvain Meylan. Pour un diagnostic formel, le dossier du patient comprend aussi le Sequential Organ Failure Assessment Score (SOFA).
Le traitement suit les recommandations internationales. Et l’équipe responsable reçoit un retour sur les prescriptions, les traitements et l’évolution de la maladie, à des fins d’assurance et d’amélioration de la qualité. Sylvain Meylan reste prudent quant aux résultats du programme. «Nous sommes toujours en phase d’apprentissage», souligne-t-il. Toutefois, le délai jusqu’à l’administration des antibiotiques semble s’être nettement réduit – un facteur clé de succès du traitement.

Une dégradation rapide

Chaque sepsis doit être traité comme une urgence. Notamment lorsque des signes indiquent déjà une possible insuffisance circulatoire ou une irrigation sanguine réduite des organes, chaque heure de retard réduit les chances de survie. «L’évolution est parfois très rapide et dramatique. La situation peut vite se dégrader et mener à une résistance au traitement induisant l’arrêt circulatoire, un choc et le décès», indique Nora Lüthi. Le taux de mortalité lié au choc septique est toujours de 30 à 40%.
La thérapie dépend de l’état du patient ou de la patiente et consiste principalement en un diagnostic rapide et un traitement avec l’anti-infectieux adapté. «Dans certains cas, il faut une intervention chirurgicale pour nettoyer le foyer d’infection», précise Nora Lüthi. Au cas par cas, on ajoute des traitements supplémentaires en soutien au système organique impacté. Cela va de l’apport de liquides ou d’oxygène à des mesures de médecine intensive tels que la ventilation artificielle ou l’administration de médicaments soutenant la circulation sanguine.
Un élément décisif pour le succès du traitement – et le plus grand défi en matière de sepsis – est la détection précoce. «Des études américaines et européennes ont montré qu’à leur arrivée aux urgences, 30 à 50% des patientes et patients atteints de sepsis sont classés comme cas non urgents», souligne Sylvain Meylan [9, 10]. Cela s’explique surtout par la grande variété du syndrome.
«Les symptômes du sepsis sont parfois très peu spécifiques et varient beaucoup selon l’infection et l’âge de la patiente ou du patient», indique Nora Lüthi. Outre les signes d’infection, ces symptômes peuvent inclure une sensation marquée de maladie, une forte fièvre et des frissons. Le sepsis peut aussi induire l’apathie ou la confusion, un pouls élevé, une tension artérielle basse, ou encore une respiration rapide, voire difficile [11]. «Des signes relativement tardifs et inquiétants sont une peau froide et marbrée ou des taches sur le torse, les bras ou les jambes», décrit Nora Lüthi. «Une intervention immédiate s’impose alors.»

Adapter les standards aux conditions

Le programme national de mise en œuvre comprend cinq modules. Outre la gestion du programme et le volet benchmarking et évaluation, trois autres modules traitent de la sensibilisation du public au sepsis, de la formation initiale et continue du personnel soignant, ainsi que de l’élaboration et de la mise en œuvre de standards cliniques de détection, traitement et suivi.
«Nous visons à développer ces mesures de façon collaborative et participative, avec nos collègues, médecins et personnel soignant, ainsi que les personnes concernées et leurs proches», déclare Nora Lüthi. Le but est d’élaborer des standards adaptables à différentes configurations cliniques – qui puissent être mis en œuvre dans les hôpitaux universitaires, mais aussi dans les hôpitaux régionaux et les établissements médicalisés. Sylvain Meylan du CHUV, qui dirige le module des standards cliniques, ajoute: «Nous avons conscience que tous les hôpitaux ne disposent pas forcément des mêmes outils que le CHUV.»

Un élément décisif pour le succès du traitement – et le plus grand défi en matière de sepsis – est la détection précoce.

Le suivi des patientes et patients est un élément clé du programme, souligne Nora Lüthi. Environ la moitié des patientes et patients ayant survécu à un sepsis présentent des effets à long terme parfois très lourds. «Cela va des difficultés de concentration et troubles du sommeil à des troubles post-traumatiques et dépressions, en passant par une résistance et des forces réduites, des douleurs, une déglutition et une respiration difficiles.» Ces conséquences sont encore mal connues – et souvent ignorées de la patientèle et des médecins de famille lors du suivi. «En interrogeant le patient ou la patiente de façon ciblée sur les séquelles du sepsis et en les identifiant, les médecins de famille peuvent offrir l’aide adaptée ou initier des examens complémentaires.»

Sensibiliser l’opinion publique

Les patientes et patients pourraient également contribuer à un meilleur traitement du sepsis s’ils connaissaient mieux le syndrome et ses symptômes, précise Nora Lüthi. C’est pourquoi la sensibilisation du public est inclue au programme. Nora Lüthi insiste toutefois sur la nécessité de savoir fournir des explications différenciées, car la plupart des infections évoluent heureusement sans complications et ne requièrent ni prise en charge aux urgences ni, généralement, de traitement antibiotique. «Cependant, ajoute Nora Lüthi, dans les cas à risque ou en présence de signes d’infection sévère, les médecins de famille doivent expliquer aux patientes et patients les risques et les symptômes d’un sepsis et, en cas de dégradation, les orienter vers un service d’urgence.»
Le Prof. Dr Sven Streit, médecin de famille à Konolfingen et responsable de la médecine de premier recours interprofessionnelle à l’Institut bernois de médecine de famille (BIHAM), est du même avis. Il ne serait pas pertinent d’enseigner à l’ensemble des patientes et patients les critères du sepsis, estime-t-il. «Dans notre cabinet, nous repérons par exemple tous les sujets immunosupprimés. S’ils appellent pour signaler une forte fièvre, nous le consignons dès le premier jour dans leur dossier. Et nous les invitons, en cas de symptômes tels que forte fièvre, vertiges ou fatigue intense, à se rendre à l’hôpital plutôt trop tôt que trop tard.»
Le sepsis n’est pas une pathologie quotidienne en médecine de famille, précise Sven Streit. Il recommande donc aux médecins de famille de suivre des formations initiales et continues pour apprendre à connaître l’évolution du syndrome et à le détecter suffisamment tôt. Lui-même s’est formé à la clinique universitaire de médecine interne générale. «En tant que médecin de famille, cette expérience précieuse me sert énormément.»
Il est par ailleurs essentiel pour Sven Streit d’avoir une équipe prête à réagir rapidement en cas d’urgence. Lui-même organise chaque année dans son cabinet une formation interprofessionnelle aux urgences pour les malades en situation critique. Tous les gestes doivent être précis – car en cas de sepsis, chaque minute compte.

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