Comment mieux vivre ensemble

Le mot de la fin
Édition
2024/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1345926733
Bull Med Suisses. 2024;105(08):74

Publié le 21.02.2024

Si notre pays fonctionne encore raisonnablement bien (encore que la super-stabilité suisse ait ses côtés regrettables), le monde actuel frappe par l’affaiblissement de valeurs autrefois fortes: véracité, fiabilité, discipline. Et la valeur de la pondération, de la sobriété! Surtout, il y a une perte d’intérêt pour l’autre, le différent, qu’il soit d’ici et d’ailleurs. L’accroissement des inégalités ne provoque pas assez de correctifs, de résistance.
Le vivre ensemble est donc à la peine. Deux guerres, Ukraine et Gaza, foulent au pied les droits humains de façon gravissime. Des dérives marquées vers l’autoritarisme sont camouflées sous des apparences démocratiques (democracy-washing!) – on n’ose pas imaginer qu’il y aurait là une sorte de fatalité!? Le racisme perdure partout. Des situations inacceptables, comme celle des femmes en Afghanistan et ailleurs, sont banalisées, oubliées.
De récentes lectures ont fait résonner chez moi ces préoccupations. Ainsi, le dossier du journal Le Temps: «Comment (ré)apprendre à se parler sans s’énerver» [1]. La philosophe Elsa Godart, auteure de l’ouvrage «Éthique de la sincérité» [2], rappelle des principes: 1) savoir qu’une opinion personnelle ne convainc jamais dans un débat contradictoire; 2) se rappeler qu’on ne sait rien (en tout cas, bravo à ceux qui acceptent de répondre «Je ne sais pas»); 3) ne pas oublier d’être d’accord chaque fois qu’on peut l’être; 4) choisir son éthique et ses combats: où notre énergie, limitée, est-elle la plus utile? Dans la foulée, souligner qu’il faut qu’on se parle, bien sûr, mais surtout qu’on s’écoute.

Fondamental aussi, savoir accepter la complexité des choses – rien n’est simple, c’est hélas tellement démontré par la situation géopolitique notamment.

Rosette Poletti est une leader infirmière, spécialiste du deuil et de la résilience, très connue des Romands par ses chroniques dans Le Matin Dimanche (un recueil des plus récentes vient de sortir [3]). Ses conseils sont fort pertinents aussi: 1) coopérez avec ce qui ne peut être changé, moins vous résisterez, mieux vous atteindrez vos buts; 2) lâchez prise par rapport aux petites irritations, dites oui plus souvent; 3) déposez ce qui est lourd et ne vous appartient pas (question: de qui est-ce le problème/souci?); 4) décidez que vous aimez les gens – ils vous le rendront; 5) exprimez votre gratitude aussi souvent que possible (sur ce dernier point, je dis depuis longtemps «On ne remercie jamais assez»– dire merci facilite beaucoup les relations).
Fondamental aussi, savoir accepter la complexité des choses. Rien n’est simple, c’est hélas tellement démontré par la situation géopolitique notamment. Complexité – et donc relativité. Amin Maalouf, qui vient de publier un livre sur les enjeux d’influence et de pouvoir entre les grandes puissances, le Vivre ensemble global [4], a dit «Le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance, ce sont les certitudes».
Et pour nous médecins, que dire sur ce sujet? Une bonne partie du travail des médecins de famille, des psychiatres et d’autres, est d’aider les patients à être bien insérés dans la société, à s’y sentir à l’aise, «ensemble». Recouvrer la santé, c’est être à même de vivre en «fonctionnant» de la manière la plus autonome possible, malgré les limitations que peut imposer la maladie ou le handicap. Et pour ceux qui comme moi ont pour mandat la santé communautaire/publique, il s’agit de promouvoir un vivre ensemble sans facteurs délétères nuisibles et, plus avant, qui promeuve la santé de tous.
Dr méd. Jean Martin Ancien médecin cantonal vaudois
1 Vivre ensemble. Dossier dans Le Temps (Genève), magazine Entre-Temps du 30 décembre 2023.
2 Godart E. Éthique de la sincérité - Survivre à l’ère du mensonge. Éditions Armand Colin, Paris, 2020.
3 Poletti R. 52 éclats de sagesse. Éditions Favre, Lausanne, 2023.
4 Maalouf A. Le Labyrinthe des égarés. Paris: Grasset, 2023.

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