Le silence est d’or

Le mot de la fin
Édition
2024/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1345925509
Bull Med Suisses. 2024;105(06):74

Publié le 07.02.2024

Rouven Porz Prof. Dr, Éthique médicale et formation médicale postgraduée, Insel Gruppe, Hôpital de l’Île, Berne
Le conflit au Proche-Orient, récemment ravivé, nous tient tous en haleine. Israël est en guerre contre la Palestine. Non, un instant, est-ce vraiment une guerre? Israël a bien été attaqué par une milice terroriste palestinienne. Non, ce n’est pas la bonne expression. Remplaçons milice terroriste par le Hamas. Après tout, c’est bien le Hamas qui a commis cet attentat, non? Je n’en suis plus si sûr, tout cela me dépasse. On peut dire tant de choses erronées par mégarde. Je préfère me taire. Le silence est d’or.
Même à côté de chez nous, en Europe, la guerre en Ukraine sévit depuis près de deux ans. Hem! La guerre? Ce n’est de nouveau pas le bon mot. Qu’est-ce qu’ils disent dans les médias déjà? Ah oui, guerre d’agression, c’est ça! Une guerre d’agression déclenchée par la Russie. On connaît d’emblée le responsable. Là encore, ce n’est pas si simple. Hors de question que je sois à nouveau submergé de courriers de lecteurs me reprochant tout ce que j’aurais mal compris. Je préfère me taire. Le silence est d’or.

On en a assez des guerres, des drames et de la politique mondiale, abordons plutôt un sujet léger: notre système de santé.

J’ai mieux, du positif sur le thème de l’éducation et de la formation. Du positif, vraiment? Oui, j’ai une idée. Chez nous à Berne, près de 400 étudiants commencent chaque année un cursus de médecine humaine et dentaire. N’est-ce pas formidable? Et en plus, les trois quarts sont des étudiantes. Le quart restant, des hommes. Ah mince, on ne se réfère qu’au sexe biologique, qu’au concept binaire «d’homme et de femme». La fluidité de genre n’est pas du tout représentée ici. Il existe bien des étudiants qui sentent varier leur genre et basculent entre identités masculines et féminines. Je ne voudrais pas non plus les offenser par maladresse. Ce serait bête. Là aussi, le silence est d’or.
Voici une autre nouvelle plutôt positive sur la politique mondiale. Dans notre pays voisin, la France, Gabriel Attal vient d’être nommé Premier ministre. À seulement 34 ans, il est le plus jeune Premier ministre de l’histoire récente du pays et est ouvertement homosexuel, si on en croit les articles le concernant. Mais, un instant! Quel est le rapport entre son orientation sexuelle et sa carrière politique ou son expertise? Il n’y en a aucun, non? Encore une fois, on est sûr de rien. Alors ne vaudrait-il pas mieux éviter le sujet dans ce cas? C’est un point sensible. Une fois encore, le silence est d’or.
On en a assez des guerres, des drames et de la politique mondiale, abordons plutôt un sujet léger: notre système de santé. Hier, un médecin âgé m’a raconté qu’il avait passé une heure à discuter tout seul d’une décision avec une patiente. Une vraie tragédie. Ils étaient tous les deux tellement émus et épuisés qu’ils se sont pris dans les bras un court instant, tout heureux de la nouvelle solution thérapeutique... Non, ce n’est pas possible! Un seul médecin? Alors que de nos jours, on ne jure que par les équipes, la multiprofessionnalité et l’interprofessionnalité! Et il a pris la patiente dans ses bras? Non et non! Je préfère me taire. Le silence est d’or.

À la télévision, ils doivent toujours faire attention à ce qu’ils disent. On est quand même plus libre dans une chronique.

Dernière tentative. Le fort talentueux footballeur allemand Franz Beckenbauer, premier et seul véritable libéro de l’histoire du football allemand, est décédé récemment à l’âge de 78 ans. Un héros. Et puis, on découvre le pot aux roses: des enfants illégitimes, des ambiguïtés dans l’attribution des fonds pour la Coupe du monde 2006. Bon sang, les Allemands en ont des façons de démolir leurs héros. Le silence est d’or.
Le présentateur de télévision vétéran Thomas Gottschalk n’a-t-il pas déclaré le jour de son départ qu’il ne voulait plus faire de télévision car on ne pouvait plus y parler «librement», tout étant contrôlé au nom du politiquement correct? Ah, les gens de la télévision doivent sans cesse faire attention à ce qu’ils disent. On est quand même plus libre dans une chronique.

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