La polymyalgie rhumatismale est-elle une maladie à part entière?

Point fort
Édition
2024/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1340780708
Bull Med Suisses. 2024;105(1-2):

Publié le 10.01.2024

Controverse
Lors du congrès annuel de la Société Suisse de Rhumatologie (SSR) 2023, le grand débat a porté sur la question de savoir si la polymyalgie rhumatismale (PMR) est une maladie à part entière. La question est d’autant plus d’actualité que de nouvelles approches thérapeutiques sont en discussion et déjà autorisées dans certains pays.
Les douleurs bilatérales de l'épaule font partie des critères de classification obligatoires de la polymyalgie rhumatismale.
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Les études cliniques, par exemple les études pivots de phase 3, continuent d’utiliser les critères de classification de l’American College of Rheumatology (ACR) et de l’European League against Rheumatism (EULAR) publiés en 2012 pour le diagnostic de la PMR (figure 1). Ces critères comprennent des symptômes subjectifs, l’âge des patientes et patients, l’augmentation non spécifiée des paramètres de phase aiguë que sont la vitesse de sédimentation (VS) et la protéine C réactive (CRP), ainsi que des anomalies échographiques. Les critères obligatoires sont un âge >50 ans, des douleurs bilatérales de l’épaule et une augmentation de la VS et/ou de la CRP. La détection de facteur rhumatoïde ou d’anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (CCP) n’exclut pas le diagnostic de PMR selon ces critères; si ces auto-anticorps font défaut, des points supplémentaires en faveur d’une PMR sont attribués.
Figure 1: Critères de classification de la polymyalgie rhumatismale de l’American College of Rheumatology (ACR) et de l’European League against Rheumatism (EULAR) [1]
Si ces critères sont appliqués sans faire preuve d’esprit critique, le diagnostic de PMR risque d’être posé trop souvent, exposant ainsi les personnes concernées à des risques thérapeutiques inutiles.

Diagnostics différentiels importants

Les douleurs bilatérales de l’épaule et/ou de la hanche chez les patientes et patients âgés sont des plaintes fréquentes dans la pratique quotidienne. Très souvent, la cause en est un syndrome douloureux sous-acromial bilatéral lié à une tendinopathie des tendons supra-épineux, fréquemment associée à une bursite sous-acromiale chronique liée à une dysfonction scapulo-thoracique dans le cadre d’une hypercyphose thoracique. Ces patientes et patients présentent souvent aussi un déséquilibre sagittal pelvien avec des déséquilibres musculaires douloureux et des points gâchettes dans la région des muscles glutéaux, du muscle tenseur du fascia lata et du tractus ilio-tibial. Chez les patientes et patients âgés, il n’est pas rare que la VS excède la norme indiquée, et la CRP peut également être augmentée pour de nombreuses raisons différentes. Une autre cause fréquente de syndrome polymyalgique avec élévation de la VS et/ou de la CRP – et, d’après l’expérience de l’auteur, bien plus fréquente que la PMR – est la maladie des dépôts de pyrophosphate de calcium (PPC).

«Ni l’échographie ni la TEP/TDM ne permettent de distinguer avec certitude la PMR des diagnostics différentiels susmentionnés – les anomalies ne sont pas spécifiques.»

Ni l’échographie ni la tomographie par émission de positons/tomodensitométrie (TEP/TDM) ne permettent de distinguer avec certitude la PMR des diagnostics différentiels susmentionnés – les anomalies ne sont pas spécifiques.
En revanche, ces méthodes d’imagerie peuvent livrer des indices spécifiques majeurs sur la présence d’une artérite à cellules géantes (ACG), qui est fortement associée à la PMR. Une polymyalgie compatible avec une PMR chez une personne souffrant d’ACG avérée a une probabilité relativement élevée d’être l’expression d’une PMR associée à l’ACG. En cas de syndrome polymyalgique sans signe évident d’ACG ou en cas de tumeur, une TEP/TDM est clairement déconseillée.

Réponse rapide à de faibles doses de glucocorticoïdes

Un signe diagnostique majeur de la PMR, qui semble malheureusement avoir été quelque peu oublié, est sa sensibilité très élevée et rapide aux glucocorticoïdes. Dans la PMR classique, la polymyalgie ainsi que la fatigue et l’épuisement qui l’accompagnent souvent disparaissent presque complètement en un jour après la prise de 10 mg de prednisone. Les patientes et patients ont l’impression de renaître dès la première dose de prednisone. Ce critère a été reconnu comme un symptôme cardinal par le comité d’experts de l’ACR/EULAR en 2012 dans leurs «Provisional classification criteria for polymyalgia rheumatica», mais il n’a pas été retenu comme critère de classification. C’est dommage, car cette réponse remarquable et rapide à de faibles doses de prednisone est une caractéristique essentielle qui distingue la PMR des autres syndromes polymyalgiques, peut-être même la plus importante. Il y a deux raisons à cela: d’une part, la réponse rapide indique un mécanisme pathologique propre à la PMR et soutient ainsi le concept selon lequel la PMR est une maladie à part entière; d’autre part, la réponse rapide revêt une grande importance pour le traitement initial en cas de suspicion de PMR. En cas de PMR, qui, contrairement à l’ACG, ne représente pas de danger immédiat pour les malades et ne provoque pas de dommages à long terme connus (hormis les complications induites par le traitement), il est inutile, voire contre-productif, de commencer le traitement avec plus de 10 mg de prednisone par jour. Le critère très utile de la sensibilité aux glucocorticoïdes serait sinon compromis. En outre, le succès du traitement devrait être vérifié avec la patiente ou le patient dans les jours qui suivent le début du traitement, idéalement le lendemain de la première dose de prednisone. Une réponse spectaculaire de la polymyalgie à 10 mg de prednisone en 12 à 24 heures est un indice très fort en faveur du diagnostic de PMR. Par contre, selon l’expérience de l’auteur, une bonne réponse, de 50 à 75%, à 20 mg de prednisone par jour après trois à quatre jours plaide contre une PMR et plutôt en faveur d’une maladie des dépôts de PPC ou d’une autre maladie. Des doses plus élevées de prednisone rendent l’évaluation presque impossible et comportent un risque élevé de complications à long terme associées aux corticoïdes.
Les résultats des études cliniques sur la PMR ayant utilisé les critères ACR/EULAR 2012 pour l’inclusion des patientes et patients, sans autres critères supplémentaires, doivent donc être interprétés avec prudence.

«Dans la PMR classique, la polymyalgie ainsi que la fatigue et l’épuisement qui l’accompagnent souvent disparaissent presque complètement en un jour après la prise de 10 mg de prednisone.»

Le grand débat lors du congrès de la SSR a d’ailleurs conclu à l’existence de la PMR en tant que maladie distincte. Il est recommandé de procéder à un examen rhumatologique précoce chez les patientes et patients présentant un syndrome polymyalgique en raison du vaste diagnostic différentiel. Une fois le diagnostic de PMR posé, le traitement à long terme incombe aux médecins de famille, avec réévaluation éventuelle en consultation de rhumatologie pour adapter le traitement.
Prof. Dr méd. Dr rer. nat. Stephan Donat Gadola est médecin-chef de la clinique de rhumatologie et de médecine de la douleur, Hôpital Bethesda, Bâle
Résumé pour vous par: Congrès annuel SSR | 31.08.23 - 01.09.23 | Interlaken
1 Dasgupta B et al. Provisional classification criteria for polymyalgia rheumatica. Arthritis Rheum. 2012;64:943-54.

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