Vivre entre rémission et guérison

Vivre entre rémission et guérison

Article de fond
Édition
2024/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1335536884
Bull Med Suisses. 2024;105(08):10-13

Publié le 21.02.2024

Cancer Survivorship
Des années encore après la fin d’un traitement oncologique, des problèmes de santé peuvent persister. Le corps subit des changements, ce qui affecte la vie professionnelle et sociale. Un suivi adéquat s’avère alors nécessaire.
Le cancer est une maladie fréquente. Près d’un homme sur deux (47%) et d’une femme sur trois (38%) y fera face durant sa vie [1]. Avec le vieillissement constant de la population, le nombre de cancers augmente, tout comme la mortalité due à cette maladie par rapport à d’autres causes de décès. Dans le même temps, la mortalité de certains cancers diminue, notamment grâce à l’amélioration des traitements. Il en résulte un nombre toujours croissant de «survivants du cancer» – des personnes atteintes d’un cancer et ayant achevé un traitement initial [2].
Quelque 450 000 de ces «survivants» vivent aujourd’hui en Suisse [3]. Il n’est pas rare que la fin du traitement anticancéreux sonne pour eux le début d’autres soucis. Raison pour laquelle les survivantes et survivants du cancer ont besoin d’un suivi spécialisé à long terme et de structures de soins qui ne relèvent pas que des maladies aiguës. De plus, pour nombre d’entre eux, il ne s’agit pas d’une approche purement curative: il s’agit de ralentir ou bloquer autant que possible la progression du cancer – avec, là encore, de potentiels effets à long terme dus à la thérapie anticancéreuse.

Un manque de sensibilisation

«Les défis auxquels font face les survivants du cancer requièrent du corps médical et des professionnels de santé impliqués une réponse spécifique: assumer une plus grande responsabilité, être sensibilisé, développer des offres ciblées complètes et une stratégie de soin intégrée accessibles à toutes les personnes concernées et leurs proches», explique Sarah Stoll, conseillère Cancer Survivorship de la Ligue contre le cancer de Suisse orientale.

Sarah Stoll

Conseillère Cancer Survivorship de la Ligue contre le cancer de Suisse orientale

«Les défis auxquels font face les survivants du cancer demandent au corps médical une réponse spécifique.»

La Ligue suisse contre le cancer estime qu’un tiers des survivants du cancer a un fort besoin de réadaptation et de suivi. Cela représente actuellement quelque 135 000 personnes. Celles-ci doivent être identifiées, interrogées via un questionnaire standardisé et dirigées vers les structures adaptées, ajoute Sarah Stoll. Détectés et traités suffisamment tôt, les défis se gèrent plus facilement que si l’on attend la chronicisation des problèmes de santé, l’échec du retour à la vie professionnelle ou encore l’expiration des indemnités journalières.
Il existe depuis dix ans déjà en Suisse orientale une offre de conseil spécialisé, initiée et gérée par la Ligue contre le cancer de Saint-Gall. L’Hôpital cantonal de Saint-Gall, qui y participe depuis deux ans, continue à développer l’offre de consultations interdisciplinaires.
«Une première consultation auprès d’experts Cancer Survivorship est pertinente environ deux mois après la fin du traitement initial», indique Sarah Stoll. Cela permet d’orienter les personnes concernées en cas de questions. Entre les rendez-vous, des soignants spécialisés en oncologie sont disponibles à tout moment, à l’instar des gestionnaires de cas.
«Nous devons collaborer, échanger, évoluer en tant qu’équipe interdisciplinaire», insiste Sarah Stoll. Mais c’est loin d’être le cas partout: «Actuellement, les besoins des survivants du cancer ne font pas l’objet d’une enquête et d’une collecte d’information systématiques. Il y a un manque flagrant de sensibilisation du personnel soignant et du corps médical en général.» Notamment sur des sujets comme l’assurance médicale, l’aide en droit des assurances sociales, en lien avec les défis de réinsertion ou l’assurance invalidité, jusqu’au conseil très spécialisé sur des aspects médicaux et de santé, à l’image de la nutrition, l’activité physique, le soutien psycho-oncologique et l’acceptation. «Les personnes concernées et leurs proches restent dans l’incertitude, avec l’impression de juste devoir être reconnaissants d’avoir survécu au cancer.»

Nombre de personnes touchées confient que la survie, c’est-à-dire le fait de continuer à vivre, est plus difficile que le traitement lui-même.

Être à l’écoute de son corps

Pourtant, nombre de personnes touchées confient que la survie, c’est-à-dire le fait de continuer à vivre, est plus difficile que le traitement lui-même. C’est aussi ce que ressent Julia Curty. Il y a six ans, on lui diagnostique un cancer du sein. Il est traité avec succès. «Depuis cinq ans, je lutte davantage contre les effets secondaires et leurs conséquences à long terme que contre l’idée d’une rechute.» Dès le début, elle a été une patiente active. Autrement dit: attentive, à l’écoute de son corps, vigilante aux changements, soucieuse de les prendre au sérieux, déterminée à agir, persister et ne pas se laisser aller.
C’est essentiel, confirme Sarah Stoll. Car une fois le cancer vaincu, l’objectif doit être la restauration de la santé et la prévention tertiaire. Le but est d’éviter ou d’atténuer la rechute, la chronicisation ou un dommage consécutif. Il ne s’agit pas de se concentrer sur les seuls facteurs de risque, mais d’améliorer l’état de santé général (par exemple via une activité physique ou une alimentation équilibrée). Cela inclut des mesures de réadaptation, de suivi après-traitement et de prévention des rechutes. Elles visent à ralentir la progression de l’affection et donc à favoriser le rétablissement de la santé et des capacités de travail. Mais elles aident aussi à gérer une nouvelle réalité, si des séquelles persistantes grèvent le quotidien.
Le risque cardiovasculaire doit aussi être surveillé. La probabilité d’infarctus et d’AVC fatals augmente d’environ un tiers après un cancer [4]. La prévention tertiaire inclura par exemple la désaccoutumance tabagique et la réduction des lipides.
De même, la détection précoce d’autres signes de la maladie, tels que la fatigue liée au cancer, peut améliorer la qualité de vie, grâce à l’initiation immédiate d’un traitement spécifique. Très peu de spécialistes maîtrisent ces aspects ‒ quand ils ne sont pas purement et simplement niés, confie Sarah Stoll.

Les défis liés au cancer durant l’enfance

Les cancers diagnostiqués dans l’enfance nécessitent aussi un suivi spécifique. La PD Dre méd. Carole Elodie Aubert, médecin adjointe à la polyclinique médicale de l’Hôpital de l’Île de Berne, et son équipe prennent en charge des adultes ayant eu un cancer au cours de leur enfance et qui sont en rémission depuis au moins cinq ans.
Carole Elodie Aubert souligne que les cancers diffèrent chez l’enfant et l’adulte. Ce qui pose problème chez l’adulte ayant survécu à un cancer durant l’enfance est moins le risque de rechute que les complications tardives causées par la thérapie anticancéreuse. De plus, les proches gardent souvent un traumatisme psychologique. Certains adultes, surtout les plus jeunes ou ceux présentant des complications neuropsychologiques, viennent encore avec leurs parents, qui restent fortement impliqués. La relation entre les survivants du cancer et leurs proches est parfois difficile, du fait de la maladie, ce qui nécessite un suivi psycho-oncologique. L’Hôpital de l’Île propose une consultation spécifique.

PD Dre méd. Carole Elodie Aubert

Médecin adjointe, polyclinique médicale de l’Hôpital de l’Île, Berne

«La difficulté est le manque d’évidences, car nous ne pouvons pas réaliser d’étude randomisée.»

Les survivantes et survivants du cancer peuvent choisir de venir chaque année à la consultation ou de solliciter leur médecin de famille pour les contrôles intermédiaires. «La difficulté est le manque d’évidences, car nous ne pouvons pas réaliser d’étude randomisée. Nous ignorons par exemple si le traitement précoce d’une cardiopathie asymptomatique est lié à de meilleurs résultats», souligne Carole Elodie Aubert. «Dans ce contexte, il est difficile de définir ce que serait un excès ou un manque de soins.»

«Au cœur de la vie»

Le Prof. Dr Matthias Guckenberger, directeur de la clinique de radio-oncologie à l’Hôpital universitaire de Zurich et directeur de l’unité Outreach and Education du Comprehensive Cancer Center Zurich (CCCZ), s’investit dans le Cancer Survivors Day annuel pour les anciens patients. «C’est un groupe vulnérable qu’il faut accompagner. Cette journée permet de leur offrir les informations détaillées et l’aide requises», explique Matthias Guckenberger. Le Cancer Survivors Day se déroulera en juin, pour la troisième fois. Chacune des éditions précédentes a réuni de 300 à 400 personnes aux profils et âges variés, autour de thèmes eux aussi très divers: sport, yoga, sommeil, perruques, maquillage, nutrition, détente, sexualité.
La journée constitue un réseau d’échange et de transmission des informations, mais c’est aussi une fête et une occasion de rencontres empreinte de gaieté. S’agissant du sujet sérieux du cancer, Matthias Guckenberger souligne que le volet de la survie reçoit une attention particulière. «Il s’agit pour les patients de célébrer – se célébrer soi et célébrer avec ses amis et sa famille, dans une ambiance de détente. ‘Au cœur de la vie’ justement», ajoute-t-il en citant le slogan du Cancer Survivors Day 2023.

Le Cancer Survivors Day se déroulera pour la troisième fois déjà en juin, à l’Hôpital universitaire de Zurich.

Un slogan que vit aussi Julia Curty. Elle-même a toutefois des réserves quant au terme de Cancer Survivor. «Nous sommes tous des survivants, dans ce monde. Je n’ai donc rien d’héroïque.» Quand on lui demande si elle est guérie, elle ne sait pas répondre. «On me dit que je suis guérie. Pour moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis très reconnaissante d’avoir eu la chance, à 40 ans, de découvrir ce qui était vraiment important dans la vie. C’est là-dessus que je me concentre – chaque jour, si possible.»
1 Heusser R, Baumann A, Noseda G. (2017). Krebs in der Schweiz. Zahlen, Weiterentwicklung der Krebsregistrierung und Folgen. Onkologe, 23, 588-596.
2 American Society of Clinical Oncology (ASCO). American Society of Clinical Oncology clinical expert statement on cancer survivorship care planning. J Oncol Pract. 2014 Nov;10(6):345-51.
3 Ligue suisse contre le cancer https://www.liguecancer.ch/journee-mondiale-contre-le-cancer (consulté le 31.01.2024).
4 Müller, T. Gehäuft tödliche Herzinfarkte unter Krebsüberlebenden. Im Fokus Onkologie. 2023;26,49.

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