Assurer la prise en charge et la qualité

Point fort
Édition
2024/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1331297184
Bull Med Suisses. 2024;105(1-2):

Affiliations
Médecin de famille/modérateur/journaliste spécialisé, Dr. Meier Medien

Publié le 10.01.2024

Coopération
Lors du congrès annuel 2023 de la Société Suisse de Rhumatologie (SSR), une grande table ronde a été consacrée aux moyens de compenser la baisse du nombre de rhumatologues malgré l’augmentation et le vieillissement de la population. Dans cette entrevue, deux experts et une patiente donnent un aperçu passionnant des problèmes existants dans cette discipline et esquissent des solutions pour l’avenir.
Quel est, selon vous, le plus grand problème pour assurer la prise en charge des patientes et patients rhumatologiques?
Andrea Möhr: En tant que patiente, je m’inquiète du fait que de nombreux rhumatologues vont quitter la vie active dans les années à venir et que trop peu de nouveaux médecins vont les remplacer. Parallèlement, la population augmente et vieillit. Cela aggrave encore la situation.
Michael Andor: Le principal problème est le manque de temps. Pour la prise en charge de patientes et patients présentant des affections chroniques complexes, parfois confuses, le temps est le facteur critique qui détermine la qualité du traitement. En rhumatologie, nous voyons souvent des patientes et patients avec de nombreux examens préalables différents et de longs antécédents. Souvent, l’examen clinique ne peut pas être axé sur un problème local, mais doit couvrir une certaine étendue de la médecine interne afin d’englober également les maladies systémiques.
Michael Gengenbacher: La rhumatologie a de multiples facettes et nécessite une approche globale et holistique. Celle-ci requiert des ressources en temps. Les patientes et patients souffrant de troubles rhumatismaux sont de plus en plus nombreux en raison de l’évolution démographique. En parallèle, le nombre de médecins spécialistes formés stagne. Le risque de ne plus pouvoir répondre aux besoins des malades augmente donc. Une approche interprofessionnelle des multiples problématiques dans un modèle biopsychosocial peut être complétée de manière optimale par l’activité directe auprès de la patiente ou du patient des nouveaux groupes professionnels des Physician Associates, c.-à-d. des professions focalisées sur les soins et le traitement. Ainsi, une prise en charge rhumatologique de haute qualité dans un cadre hospitalier et ambulatoire sera possible à l’avenir également.

«La pénurie de personnel qualifié ne pourra être compensée que par une promotion conséquente de la relève médicale, une augmentation des compétences des professionnels, la numérisation et l’implication des organisations de patients.»

Quelles sont vos craintes concernant la prise en charge des patientes et patients rhumatologiques?
Michael Andor: Les patientes et patients rhumatologiques, comme de nombreuses autres personnes atteintes de maladies chroniques, sont tributaires de visites chronophages et sont donc menacés par la pénurie de personnel qualifié et par les modifications tarifaires telles que les forfaits ambulatoires. Dans un système où les ressources humaines sont insuffisantes et les ressources financières limitées, ils seront les premiers touchés par la pénurie de soins qui menace.
Andrea Möhr: Ma plus grande crainte est que les patientes et patients rhumatologiques ne puissent plus être soignés de manière adéquate parce qu’il faut attendre trop longtemps pour un rendez-vous et que la ou le médecin ne peut pas prendre assez de temps. Je crains que cela ne prolonge la durée de mes souffrances et que, dans le pire des cas, j’en garde des séquelles à long terme. En Allemagne, des personnes atteintes de maladies rhumatismales m’ont déjà parlé de délais d’attente de plusieurs mois. Je ne veux pas vivre cela ici.
Michael Gengenbacher: Je n’ai pas de craintes ou d’appréhensions. Je m’appuie sur des études et des retours d’expérience portant sur des modèles déjà établis à l’étranger, ainsi que sur ma propre expérience dans mon activité hospitalière et ambulatoire. J’observe en outre un changement d’attitude à cet égard. Il y a cinq à dix ans, ces sujets suscitaient une forte réticence, le plus souvent de la part du corps médical. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Quelles sont les solutions que vous envisagez à cet égard et quelles sont vos autres propositions?
Michael Gengenbacher: Il existe des groupes professionnels dans le domaine des soins et du traitement qui peuvent suivre une spécialisation en s’appuyant sur leur activité clinique. Outre ces possibilités de formation postgraduée, nous devrions également créer des filières de formation pour d’autres nouveaux groupes professionnels ainsi que pour les titulaires d’une maturité spécialisée. La formation comprend une base générale de connaissances médicales, d’économie de la santé et de recherche, ainsi que des connaissances supplémentaires dans des formations médicales modulaires. La Haute École des Sciences Appliquées de Zurich (ZHAW) et l’Hôpital cantonal de Winterthour sont des précurseurs qui prouvent que cela est possible de manière structurée. Chaque société de discipline médicale doit réfléchir à la manière dont cette interprofessionnalité peut être intégrée de manière optimale dans le processus diagnostique et thérapeutique.
Andrea Möhr: En tant que personnes atteintes de maladies rhumatismales, nous devrions également faire notre part pour soulager les rhumatologues. Nous pouvons par exemple nous informer sur notre maladie, nous faire conseiller par les ligues contre le rhumatisme et les coordinateurs/-trices en médecine ambulatoire spécialement formés ou suivre des cours. Nous apprenons ainsi à mieux comprendre la maladie, à agir de manière plus réfléchie et à avoir notre mot à dire dans les décisions thérapeutiques. Je trouve particulièrement précieuses les informations fournies sur le site internet et dans les brochures de la Ligue suisse contre le rhumatisme, qui sont rédigées dans un langage simple.
Michael Andor: En rhumatologie également, la pénurie de personnel qualifié ne pourra être compensée que par une promotion conséquente de la relève médicale, une augmentation des compétences des professionnels de la santé, notamment des assistantes et assistants médicaux, la numérisation et l’implication des organisations de patients. Citons par exemple la Ligue suisse contre le rhumatisme ou la Société suisse de la spondylarthrite ankylosante.
Quelles répercussions cela aura-t-il sur la qualité de la prise en charge des patientes et patients?
Michael Gengenbacher: La prise en charge globale des patientes et patients, graduée en fonction des compétences, sera à l’avenir interdisciplinaire et interprofessionnelle. La qualité de la prise en charge s’en trouvera améliorée, car toutes les facettes du processus de traitement seront prises en compte et les spécialistes pourront se concentrer sur leurs compétences principales.
Andrea Möhr: Les rhumatologues pourront se concentrer sur les problématiques médicales centrales. Les patientes et patients bien informés pourront compter sur une meilleure qualité de vie malgré leur maladie rhumatismale.
Michael Andor: Correctement mises en œuvre, les mesures susmentionnées devraient conduire à une amélioration de la qualité pour les malades, car chaque intervention sera réalisée avec une utilisation optimale des ressources. Avec l’aide d’outils numériques, certaines visites pourraient être effectuées plus tard ou en premier lieu par des professionnels de la santé et seulement en cas de besoin ou en second lieu par un médecin.
Que souhaitez-vous pour l’avenir?
Michael Andor: J’espère qu’il y aura plus de places de formation pour les futurs rhumatologues dans les cabinets ambulatoires et que les assistantes et assistants médicaux bénéficieront d’une vaste formation postgraduée en «chronic care management».
Andrea Möhr: Je souhaite que les rhumatologues et les médecins de famille attirent activement l’attention de leurs patientes et patients sur les offres des ligues contre le rhumatisme et des organisations de patients ou des coordonnateurs/-trices en médecine ambulatoire formés en rhumatologie et qu’ils les encouragent à être eux-mêmes actifs.
Michael Gengenbacher: Nous avons besoin d’une vision commune des objectifs, de la volonté de nous engager activement dans cette voie et de la confiance mutuelle dans la capacité à organiser ce processus. L’interaction entre les différents spécialistes est la garantie d’un système qui fonctionne à l’avenir.
Andrea Möhr Patiente rhumatologique et membre du Conseil consultatif des patients de la Ligue suisse contre le rhumatisme.
Dr méd. Michael Gengenbacher Directeur médical et médecin-chef des divisions Appareil locomoteur et Médecine interne chez Zurzach Care, et membre de la commission Physician Associates de la FMH.
Dr méd. Michael Andor Rhumatologue chez Rheumatologie im Zürcher Oberland à Uster et membre du Comité de la SSR (tarifs, qualité).
www.markusmeier.com

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