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Une affaire symbolique

Actualités
Édition
2024/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1317709890
Bull Med Suisses. 2024;105(07):

Publié le 14.02.2024

Égalité
Le dernier jugement dans l’affaire Natalie Urwyler marque la première condamnation d’un employeur en Suisse pour discrimination à la promotion. Une juriste et les coprésidentes de Medical Women Switzerland analysent le jugement.
Le jugement bernois marque un tournant pour les femmes médecins victimes de discrimination en Suisse.
© UZH
L’affaire fait la une des journaux depuis près de dix ans. En novembre 2014, la médecin anesthésiste Natalie Urwyler portait plainte contre l’Hôpital de l’Île de Berne [1]. Selon ses accusations, ses supérieurs auraient fait preuve de discrimination à son encontre en raison de son sexe alors que la médecin-cheffe travaillait déjà depuis dix ans à l’hôpital et l’auraient licenciée de façon malintentionnée pendant son congé de maternité [1, 2]. Natalie Urwyler affirme que ses supérieurs auraient ensuite également tenté de détruire sa réputation et sa carrière en s’adressant à des services d’anesthésiologie d’autres hôpitaux et en y colportant qu’elle avait «un caractère difficile» [2].
Depuis, plusieurs tribunaux se sont penchés sur la question, et ont très largement donné raison à la plaignante. Tout d’abord, la Cour suprême bernoise a constaté que le licenciement de Natalie Urwyler était abusif et qu’il s’agissait d’un congé de rétorsion envers une collaboratrice peu appréciée [3]. Cela n’a pourtant pas empêché l’Hôpital de l’Île de suspendre immédiatement la médecin après que le tribunal a ordonné sa réintégration [4, 5]. La semaine dernière, le Tribunal régional de Berne-Mittelland lui a donné raison concernant sa seconde plainte et a constaté que Natalie Urwyler avait été victime de plusieurs formes de discrimination à l’Hôpital de l’Île [6]. D’une part, elle s’est vu refuser une promotion parce qu’elle est une femme. Et d’autre part, elle aurait reçu moins d’argent du pool de médecins privés que ses collègues masculins. Le jugement n’est pas encore définitif. Interrogé par le Bulletin des médecins suisses, l’Hôpital de l’Île a déclaré ne pas vouloir s’exprimer sur cette affaire pour le moment.

La loi sur l’égalité porte ses fruits

L’affaire n’est pas close pour autant. «Je pars du principe que des dommages et intérêts vont être réclamés à l’Hôpital de l’Île», déclare Zita Küng, célèbre juriste suisse et militante des droits des femmes. L’affaire montre en outre la voie à d’autres femmes médecins et issues d’autres professions qui sont victimes de discrimination. C’est en effet la première fois qu’un employeur est condamné en Suisse pour discrimination à la promotion. Normalement, dans ce genre de cas, les parties s’entendent sur un accord et l’employeur n’est pas condamné [7].
«Le jugement rendu dans l’affaire Urwyler montre que la loi sur l’égalité n’est plus un tigre de papier inoffensif, mais que les employeurs qui discriminent les femmes peuvent effectivement être poursuivis», explique la juriste Zita Küng. Il est important que les services RH et les médecins occupant des postes de direction se penchent désormais sur la question et apprennent à mettre en œuvre l’égalité dans leur domaine de manière concrète et avérée. Car cela n’a pas été suffisamment fait par le passé – notamment en médecine. En effet, si les femmes représentent 45,7% du corps médical, seuls 15% des postes de direction sont occupés par elles aujourd’hui [8].
Pour les femmes médecins qui se trouvent aujourd’hui dans une situation similaire à celle de Natalie Urwyler il y a dix ans, le jugement de Berne est une bonne nouvelle. La juriste Zita Küng met toutefois en garde: «Cela ne signifie pas que des centaines de femmes médecins discriminées obtiendront gain de cause simplement en portant plainte.» Le problème est qu’une telle action en justice pour discrimination représente un risque financier considérable et la plupart ne peuvent guère s’engager dans cette voie sans soutien. «De mon point de vue, les associations professionnelles ont donc aussi un rôle à jouer. L’asmac et les sociétés de discipline médicale doivent combattre les discriminations comme celles subies par Mme Urwyler par le biais de l’action collective», demande l’ancienne responsable du bureau de l’égalité de la ville de Zurich.

Une plus grande transparence est nécessaire

L’association des femmes médecins suisses, «Medical Women Switzerland», dont Natalie Urwyler est aujourd’hui elle-même assesseure au comité, est du même avis. Les coprésidentes de l’association, Daniela Zeller et Maki Kashiwagi, écrivent: «La mesure principale qui s’impose désormais est d’accroître la transparence: dans les procédures de sélection pour une promotion, dans les salaires, dans l’attribution des subventions, dans la distribution des fonds du pool et bien plus encore.»
Le jugement bernois marque un tournant pour les femmes médecins victimes de discrimination en Suisse. Un coup d’œil sur les directions de nombreux hôpitaux en Suisse montre toutefois qu’il reste encore beaucoup à faire en matière d’égalité.

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