Tout effet comporte des effets indésirables

Tout effet comporte des effets indésirables

Analyse de la semaine
Édition
2024/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1317686067
Bull Med Suisses. 2024;105(03):24-25

Publié le 17.01.2024

Sécurité des patients
La transformation numérique est assurément porteuse de nombreuses possibilités et opportunités, mais elle comporte également de nouveaux risques. Cette année, la FMH s’engage pour développer, tester et établir des procédures susceptibles d’évaluer la performance des différents systèmes informatiques des hôpitaux et des cabinets en termes de sécurité des patients.
Christoph Bosshard Dr méd., vice-président de la FMH, responsable du département Données, démographie et qualité
«Quand on travaille, on fait des erreurs. Quand on travaille beaucoup, on fait plus d’erreurs. Quand on ne fait pas d’erreurs, c’est la promotion.» C’est une citation qui peut faire sourire. Pourtant, elle met aussi le doigt sur un point sensible : dans une «science non exacte» comme la médecine, nous n’avons d’autre choix que de nous remettre en question, de réfléchir à nos manières d’agir et, éventuellement, de les adapter car notre mission consiste à ne faire, si possible, aucune erreur. Le terme d’«erreur» confine à la notion de tabou car elle suscite, entre autres, la crainte de se voir reprocher une violation du devoir de diligence. Nous voilà déjà au cœur du problème: personne ne veut parler de ses erreurs par peur des sanctions personnelles qui pourraient en découler. Les médecins ont l’habitude d’individualiser les leurs. Souvent, ils n’ont pas présent à l’esprit qu’un problème de système peut être à l’origine d’une erreur ou d’un événement indésirable. Entretemps, la sécurité des patients s’est aussi emparée de ces questions et analyse les environnements susceptibles de rendre une erreur ou un événement indésirable plus ou moins probable. Elle étend son champ d’action sur les interactions avec les nouveaux outils tels que les systèmes informatiques ou sur les pannes récurrentes lors de l’exécution de tâches importantes.

Il faut avoir présent à l’esprit qu’un problème de système peut être à l’origine d’une erreur ou d’un événement indésirable.

L’erreur est humaine

Au début de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir un maître de stage très respecté qui ne demandait jamais le type et le nombre d’interventions que ses «élèves» avaient déjà effectuées mais voulait toujours savoir quelles complications avaient jalonné leur expérience et quelles conclusions elles ou ils en avaient tiré pour leur évolution. Cette approche a été extrêmement fondatrice. Une erreur ou un événement indésirable devrait toujours être un point de départ pour une amélioration ou un changement. Or cette approche exige une culture de l’apprentissage pour exister, et c’est précisément là que commencent les discussions passionnantes et les débats techniques. Si quelqu’un répondait qu’elle ou il n’avait pas encore rencontré de complications, le débat était clos. Soit son expérience n’était tout simplement pas suffisante, soit les faits réels n’avaient pas été pris suffisamment au sérieux. Encore une fois, on ne le répétera jamais assez: rien ne se passe toujours comme prévu sur un lieu de travail.
C’est encore plus vrai lorsque nous évoluons dans un environnement qui n’est pas hautement standardisé, et se démarque par la situation individuelle des patientes et patients que nous traitons, leurs souhaits, leurs attentes ou, malheureusement aussi, par une polymorbidité croissante. Cela ne nous exonère cependant pas de profiter de chaque expérience pour nous améliorer ou pour réduire au maximum les risques qui existeront toujours pour nos patientes et patients. Nul doute que nous en avons parfaitement conscience lorsqu’il s’agit de poser un diagnostic ou de prescrire un traitement. Mais qu’en est-il de la sécurité des patients dans d’autres domaines prétendument moins exposés? Prenons l’exemple frappant de la charge administrative: elle ne cesse de croître depuis des années et étouffe les ressources en personnel spécialisé déjà trop limitées, ce qui, en soi, porte préjudice à la sécurité des patients. Si nous n’avons plus le temps d’écouter, de discuter d’un diagnostic ou d’aborder les attentes, les souhaits et les peurs de nos patientes et patients, c’est que nous sommes face à une situation hautement problématique.

Une erreur ou un événement indésirable devrait toujours être un point de départ pour une amélioration ou un changement.

Les effets de la numérisation

La transformation numérique a et aura à l’avenir une influence croissante sur la sécurité des patients. Au-delà de son apport contre la charge administrative, qui est un objectif sur lequel repose beaucoup d’espoir, les fournisseurs de prestations auront plusieurs défis à relever, notamment en ce qui concerne les systèmes primaires. L’adage selon lequel tout effet comporte des effets indésirables s’applique également à la numérisation et il ne s’agit pas seulement des erreurs perpétuées par des copier-coller irréfléchis. La transformation numérique apporte avec elle son lot de dangers et de nouvelles sources d’erreurs.
Les risques qui en découlent relèvent de la responsabilité des fournisseurs de prestations. Il convient donc de les connaître, mais aussi de faire en sorte de les réduire le plus possible. Les précieux travaux du Prof. Schwappach nous éclairent, par exemple, sur l’impact que peut avoir un changement de système informatique pour un hôpital ou un cabinet en termes de sécurité des patients ou nous montrent aussi qu’intervertir les patients lors de la prescription de médicaments peut être lié au système utilisé (cf. l’article «La sécurité des patients se joue entre la consultation et l’écran»).

Saisissons activement cette opportunité pour cibler l’élaboration d’instruments efficaces en faveur de la sécurité des patients.

Il s’agit maintenant d’énoncer les conclusions tirées de ces informations. À l’instar des disciplines médicales pour lesquelles il existe des spécialisations, il existe aussi une spécialisation pour la sécurité des patients, qui assume un rôle transversal et intervient à tous les niveaux du quotidien clinique. Selon la même logique, la médecine s’alimente de l’expertise accumulée par la sécurité des patients, et celle-ci continue d’en savoir plus grâce à la collaboration avec la médecine. Cette interaction favorable à nos patientes et patients a toujours été une préoccupation centrale de la FMH, qu’elle concrétise par sa collaboration avec le pôle de recherche sur la sécurité des patients dirigé par le Prof. Schwappach. Cette instance universitaire indépendante mène des travaux et des projets axés sur l’avenir.

Formater plutôt qu’être formatés

Cette année, la FMH fait preuve d’un engagement particulier pour développer, tester et établir des procédures permettant d’évaluer les systèmes informatiques des hôpitaux ou des cabinets en termes de sécurité des patients et notamment l’impact de la convivialité des systèmes sur la sécurité des patients. Conjointement avec l’ISFM, elle participe aussi à des cycles de développement visant à inclure ces différentes facettes de la sécurité des patients dans la formation postgraduée et continue des médecins. Enfin, le 24 mai 2024, la FMH / l’ASQM décernera le prix Innovation Qualité dans les catégories Sécurité des patients et Innovation numérique. Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire au symposium de l’ASQM sur la numérisation, l’innovation et la sécurité des patients au cours duquel le prix sera remis (www.asqm.ch). Permettez-moi de conclure en revenant sur la vaste question de la sécurité des patients en lien avec les systèmes informatiques. Ne manquons pas de saisir activement l’opportunité qui se présente pour cibler l’élaboration d’instruments efficaces avant de subir passivement leur formatage faute d’avoir voulu les développer.

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