Ni gouverné, ni gouvernable?

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Édition
2023/2932
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21900
Bull Med Suisses. 2023;104(29-32):22

Publié le 02.08.2023

Perspectives Des réformes urgentes s’imposent. Le sujet revient régulièrement sur la table. La gouvernance du système de santé suisse s’avère pourtant difficile.
Les appels à la réforme se multiplient à nouveau. Les uns veulent réglementer, les autres voient un problème de coûts, regrettent le manque d’interconnexion des structures ou souhaitent établir une culture cohérente. Rien de surprenant. On croirait assister à un rituel tribal: de temps à autre, on s’alarme, en constatant que les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Mais le soir venu, tout le monde se retrouve autour du feu en espérant que le délicieux cochon continue à rôtir.
«Arrêtez d’orienter le système de santé», lisait-on récemment [1]. Mais de quel système s’agit-il? Florence Nightingale avait noté un point important lorsqu’elle écrivait, il y a cent cinquante ans déjà: «If medicine ever won control of the hospital, too much would be practiced on the patient; if administration, too little; if nursing, medical progress would be curtailed in the interest of the spiritual and emotional care of the patient.»[2]. Les patients sont tributaires de la confrontation entre ces différentes perspectives. Une bonne prise en charge résulte de la différenciation et de l’intégration des perspectives de traitement, de prise en charge, économiques et politiques [3]. Le cœur du système de santé est justement de fournir cette prestation et rien d’autre. C’est pourtant simple à comprendre: aucune patiente ne peut être traitée (et facturée) sans diagnostic. Et ce dernier est toujours le résultat de considérations médicales, économiques et politiques. Les formes qui constituent une violation de cette prestation de différenciation et d’intégration sont d’autant plus provocantes: les médecins qui veulent avant tout faire de l’argent ou les caisses maladie qui souhaitent donner aux patients un feed-back critique sur les médications de leur médecin. Il faut réagir et se battre.

Le système se gouverne lui-même

Comme nous l’explique la théorie moderne des systèmes, le système de santé n’est gouvernable pour aucun de ses quatre univers partiels, que ce soit d’un point de vue politique, économique ou parfois même médical – au grand dam du corps médical. La sophistication du système réside précisément dans le fait que personne ne peut intervenir. C’est la seule raison pour laquelle le système a autant de succès (et de défauts). C’est également pour cela qu’il est aussi fonctionnel qu’inerte. Personne ne peut le gouverner. Il se gouverne lui-même, non pas comme un état d’équilibre, mais comme une lutte permanente entre différentes perspectives et une neutralisation continue de la constellation de ses quatre univers partiels.
Le système se gouverne lui-même, mais il ne s’agit pas d’un état d’équilibre.
© Marek Uliasz / Dreamstime
C’est là qu’interviennent les appels à la réforme. Personne ne pouvant parler au nom de l’ensemble, les perceptions des problèmes et les appels à la réforme sont forcément des perspectives. La politique considère les coûts, l’économie la régulation, les caisses maladie la qualité et la médecine l’administration comme un problème. En bref, les conditionnements des autres ont tendance à être perçus comme un problème. Il en résulte une grande confusion, dans laquelle se heurtent expertises et intérêts. De ce point de vue, le représentant de l’économie est toujours soupçonné de défendre des intérêts économiques et la proposition d’un paragraphe de facilitation pour les soins en réseau d’intérêts politiques du côté de la Confédération. Les deux sont interprétés (parfois à tort, parfois à raison) et déclenchent des réactions de défense. Tout cela n’a rien d’étonnant et contribue idéalement au maintien du statu quo.

Il est temps de changer de perspective

Le statu quo est en effet la lutte des différents acteurs guidés par leurs intérêts. Les expériences d’intervention faites dans d’autres systèmes nous l’ont appris: tant que les intérêts en jeu sont défendus de manière habituelle, rien de nouveau ne peut émerger. Ce n’est que lorsque les intérêts sont temporairement mis de côté au profit de solutions (ou que cela est imposé par des crises) que du nouveau peut voir le jour. Il faut donc parfois des espaces libres de tout intérêt pour développer de nouvelles solutions. Temporaires. Libres d’intérêts. Mais, en étant informé des perspectives.
Des méthodes existent pour y parvenir. Le CAS interdisciplinaire Managing Medicine in Health Care Organisations de l’Université de Berne, qui s’adresse aux cadres du système de santé, les aborde. La prochaine session se tiendra le 4 décembre 2023. Informations détaillées disponibles sur www.cas-managingmedicine.ch
Christof Schmitz, college M, Berne
Peter Berchtold, college M, Berne
Marcel Zwahlen, ISPM, Université de Berne
2 Victoria Sweet, God’s hotel. Riverhead Books, 2013
3 Dirk Baecker, Polykontexturalität des Krankenhauses. Andreas Brandhorst, Helmut Hildebrandt und Ernst-Wilhem Luthe (Hrsg.), Integration und Kooperation – Das unvollendete Projekt des Gesundheitssystems, Springer 2017, p. 95–120

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