Prévenir les abus sur enfants

Organisationen
Édition
2023/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.21139
Bull Med Suisses. 2023;103(04):34-36

Affiliations
a M.Sc., psychologue, clinique de psychiatrie forensique, Clinique psychiatrique universitaire de Zurich, b Dr méd., médecin adjointe, Clinique de forensique, Cliniques psychiatriques universitaires, Bâle. c Dr méd., médecin adjoint, Unité de médecine sexuelle et sexologie, Service des Spécialités Psychiatriques, Département de Psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève, d Prof. Dr méd., directeur, clinique de psychiatrie forensique, Clinique psychiatrique universitaire de Zurich

Publié le 25.01.2023

Prévention Facile d’accès, anonyme et en partie gratuite: l’association «Kein Täter werden Suisse» aide les personnes qui sont attirées sexuellement par des enfants. Une année après l’introduction de cette offre de prévention, le bilan est positif.
L’abus sexuel d’enfants fait partie des délits les plus graves et ayant le plus de conséquences pour les victimes. Des méta-analyses suggèrent qu’environ 13,4% à 19,7% des filles et environ 5,7% à 8,8% des garçons sont victimes d’abus sexuels dans le monde [1, 2]. Selon une enquête menée auprès d’écoliers et écolières suisses (N=7000), 22% des filles et 8% des garçons ont déclaré avoir déjà été victimes d’agression sexuelle avec contact physique (autrement dit, avoir être touchés ou embrassés de manière non consentie dans une intention sexuelle) [3]. 40% des filles et 20% des garçons ont également décrit des agressions sans contact physique (exhibitionnisme, harcèlement via les médias électroniques).
Ces taux de victimisation élevés ne se reflètent guère dans la statistique policière de la criminalité. Ainsi, au cours des dix dernières années, entre environ 1 100 et 1 300 cas d’abus sexuels sur des enfants ont été signalés chaque année en Suisse. [4]. La statistique policière 2020 donne pour la première fois des chiffres sur les cyber-délits sexuels (pornographie interdite, pédopiégeage, live streaming d’actes d’abus); en 2020, 2 612 cyber-délits sexuels ont été enregistrés et 283 victimes ont été identifiées, dont 80% étaient des mineurs, âgés pour la plupart de 10 à 14 ans [5].
Apprendre à accepter un penchant pédophile et l’intégrer dans son image de soi, c’est l’objectif de l’association.
© Alexander Melnikov / Dreamstime

Chiffre noir important

L’écart entre les taux de plainte et la victimisation auto-déclarée est attribué à une faible propension à porter plainte [6]. C’est ce que fait apparaître également l’enquête suisse auprès des écoliers [3] selon laquelle une organisation spécialisée ou la police n’a été impliquée que dans 3 à 5% des cas. En résumé, la faible propension à porter plainte est favorisée entre autres par la proximité entre la victime et l’auteur, le jeune âge et le manque de confiance dans les autorités.
On peut constater qu’un chiffre noir important peut être supposé dans le domaine des abus sexuels sur les enfants ainsi que des cyber-délits sexuels commis au détriment de mineurs. Alors que la poursuite pénale est un élément essentiel et nécessaire pour endiguer la violence sexuelle envers les enfants, elle n’atteint qu’une petite partie des auteurs. Par conséquent, il convient d’adopter, en plus des stratégies restrictives, des stratégies préventives pour empêcher les abus sexuels sur les enfants [3, 7, 8].

Prévention axée sur les auteurs

La prévention secondaire des abus sexuels sur les enfants, axée sur les auteurs, se concentre sur le traitement des personnes ayant une attirance sexuelle pour les jeunes prépubères ou juste pubères. Une telle attirance sexuelle pour les enfants prépubères est définie dans les systèmes de classification courants selon la Classification internationale des maladies CIM-10 [9] ou la classification des troubles psychiques DSM-5 [10] comme pédophilie ou trouble pédophile (cf. tableau 1). L’attirance pédophile concerne des enfants prépubères, autrement dit en général des enfants de moins de 13 ans, sachant que dans le cadre de l’établissement du diagnostic, c’est moins l’âge que le schéma corporel préféré par rapport au développement pubertaire qui importe.
La différenciation entre la pédophilie et le trouble pédophile selon le DSM-5 constitue un autre aspect important lors de l’établissement du diagnostic. Ainsi, il n’y a trouble que si, au-delà de la préférence sexuelle pour des schémas corporels prépubères ou juste pubères, des aspects nuisibles à soi-même ou à autrui sont reconnaissables. Cette distinction entre préférence sexuelle et trouble paraphilique sera également faite à l’avenir dans la CIM-11 [11]. Les données épidémiologiques estiment la prévalence de la pédophilie respectivement des troubles pédophiles dans la population générale à environ 1%, les hommes étant plus souvent touchés que les femmes [12].

Il n’y a pas toujours passage à l’acte

Bien que la perception du public et la représentation médiatique postulent souvent un rapport étroit, parfois même de cause à effet, entre l’attirance sexuelle pour les enfants et les abus sexuels sur les enfants, les résultats empiriques ne permettent pas de le déduire de manière aussi claire. Ainsi, des études sur des populations de délinquants suggèrent que seuls 25 à 50% des auteurs d’abus sexuels présentent des attirances pédosexuelles [13-15]. Toutefois, l’attirance sexuelle pour les enfants et les adolescents est considérée comme un facteur de risque important pour les délits sexuels répétés avec ou sans contact physique [16]. Les auteurs présentant un trouble pédophile ont un risque de récidive plus élevé (50 à 80 %) que les auteurs d’abus sans diagnostic de pédophilie (10 à 25 %) [17]. Il existe peu d’études sur les personnes présentant une attirance pédophile en dehors du système judiciaire [8]. Cependant, on part du principe que l’attirance pédophile peut être contrôlée de la même manière que d’autres préférences sexuelles et qu’il ne faut donc pas assimiler une telle attirance à un comportement pédophile [17]. Cette hypothèse est confirmée par des enquêtes selon lesquelles une proportion substantielle de personnes ayant une attirance sexuelle pour les enfants ont déclaré ne pas avoir commis d’actes illégaux [8, 18].
On peut donc conclure que la pédophilie et l’abus sexuel d’enfants ne doivent pas être considérés comme des synonymes et qu’une approche différenciée est nécessaire. Les personnes présentant une attirance sexuelle pédophile présentent toutefois un risque accru d’actes d’abus, raison pour laquelle elles doivent être traitées comme population cible pertinente dans le cadre de la prévention secondaire.

Réseau d’aide suisse créé en 2021

En Europe, l’origine des offres de traitement préventif individuel ou de groupe pour les personnes présentant une tendance ou un trouble pédophile se situe principalement en Allemagne [19, 20]. En Suisse, les mesures de prévention secondaire visant à empêcher les abus sexuels sur les enfants ont gagné en importance sur le plan politique en 2016, lorsque des voix se sont fait entendre en faveur de l’examen de stratégies préventives efficaces en plus d’un durcissement du droit pénal en matière sexuelle. En se basant sur le rapport de recherche établi à cet effet par Niehaus, Pisoni et Schmidt [8] qui fait apparaître un manque d’offres d’aide et de thérapie pour les personnes concernées, le Conseil fédéral a recommandé en septembre 2020, entre autres, la mise en place d’offres de conseil et de traitement régionales et cantonales [21]. Les auteurs soulignent la nécessité d’une offre anonyme et subventionnée par l’État en raison des ressentiments prévisibles à l’égard de ce groupe de patients, mais aussi de la crainte des personnes concernées d’être stigmatisées. C’est dans ce contexte qu’a été créé en mai 2021, avec le soutien de la direction de la santé du canton de Zurich, le service de prévention de la pédosexualité auprès de la clinique pédiatrique universitaire (PUK) de Zurich. En juin 2021, l’association «Kein Täter Werden Suisse» s’est constituée avec des sites à Bâle, à Frauenfeld, à Genève et à Zurich (www.kein-taeter-werden.ch).

Importance des offres à bas seuil

Les offres spéciales de Kein Täter Werden Suisse s’adressent aux adultes et aux jeunes qui se sentent attirés sexuellement par des enfants prépubères ou juste pubères et/ou qui craignent de commettre des infractions pénales dans ce contexte. Les critères d’exclusion comprennent une procédure pénale en cours ainsi que des obligations juridiques de traitement. Ce sous-groupe, qui se trouve dans la zone dite visible, peut bénéficier d’offres de traitement de psychiatrie judiciaire régulières et payantes.
En vue de faciliter l’accès à l’offre aux personnes concernées en dehors d’un cadre pénal, des possibilités de contact anonymes et à bas seuil sont proposées, par exemple via une hotline aux heures de consultation ou par courrier électronique. Ces modalités d’accès à bas seuil sont considérées comme nécessaires, notamment en raison de la peur de la stigmatisation ou de la divulgation du diagnostic des personnes concernées [8]. Actuellement, l’offre de traitement n’est subventionnée au niveau cantonal que dans le canton de Zurich, où un traitement anonyme et gratuit est possible pour les personnes concernées. C’est également l’objectif poursuivi par les autres sites.

Travailler sur l’image de soi

L’objectif du conseil ou du traitement est que les personnes concernées apprennent à accepter leur penchant pédophile ou hébéphile et à l’intégrer dans leur image de soi. Outre la prise en charge de la responsabilité de la tendance sexuelle, des stratégies en vue de renforcer le contrôle du comportement ainsi que les ressources visent à avoir un effet préventif sur les délits [17, 19, 20]. Le traitement intègre des approches psychothérapeutiques, sexologiques, médicales et psychologiques, ainsi que la possibilité d’un soutien médicamenteux supplémentaire. Outre le traitement des personnes concernées, l’offre comprend aussi des conseils pour les proches ainsi que la possibilité de discussions de cas anonymes avec des spécialistes externes.
Outre la prise en charge des patients, la priorité est de faire connaître l’offre et d’atteindre le groupe cible. Avec le soutien du réseau de prévention «Kein Täter Werden» Allemagne, le site www.kein-taeter-werden.ch a été créé et sert de portail d’information et de contact pour les personnes concernées, leurs proches, les professionnels et les personnes intéressées. D’autres stratégies comprennent l’organisation de conférences et de séances d’information, un suivi médiatique avec la radio et la télévision ainsi que des campagnes publicitaires, telles que des campagnes d’affichage dans le réseau de transport publics de Zurich.

Bilan après une année

Au vu des prises de contact continues de la part de personnes concernées, le bilan de la première année de Kein Täter Werden Suisse est positif. Le site de Zurich a compté en moyenne une prise de contact par semaine de la part d’une personne concernée. Les expériences des sites renforcent la nécessité d’une approche à bas seuil avec anonymat et prise en charge des coûts. Les personnes concernées ont décrit la possibilité d’une prise de contact anonyme et d’un traitement sans intervention de la caisse-maladie comme étant parfois décisive pour la prise de contact spontanée. Le subventionnement de l’offre est donc nécessaire en vue d’atteindre la clientèle et de pouvoir effectuer un travail de prévention. Le fait que dans le canton de Zurich, environ un tiers des prises de contact de la part des personnes concernées proviennent d’autres cantons montre que les offres de conseil et de traitement correspondantes ne devraient pas être liées à un seul canton. Cela ne veut pas dire que chaque canton doive disposer de son propre service spécialisé. Des coopérations supracantonales et régionales avec les services spécialisés existants seraient plus judicieuses. Pour garantir l’anonymat, qui ne peut être pleinement mis en œuvre que dans le cadre d’un traitement gratuit, un financement public est nécessaire. Le rapport de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) précise à ce sujet que la mise en place d’offres de traitement correspondantes est l’affaire des cantons.
1 Sethi D, Bellis M, Hughes K, Gilbert R, Mitis F, Galea G. European report on preventing child maltreatment: World Health Organization. Regional Office for Europe; 2013.
2 Stoltenborgh M, Van Ijzendoorn MH, Euser EM, Bakermans-Kranenburg MJ. A global perspective on child sexual abuse: Meta-analysis of prevalence around the world. Child maltreatment 2011;16(2):79-101.
3 Averdijk M, Müller-Johnson K, Eisner M. Sexuelle Viktimisierung von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz. Schlussbericht für die UBS Optimus Foundation November2011.
4 Statistik Bf. Strafgesetzbuch (StGB): Straftaten und beschuldigte Personen - 2009-2020. 2021 [17.03.2022]; Available from: https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/kriminalitaet-strafrecht/polizei/straftaten.assetdetail.15844440.html.
5 Statistik Bf. Digitale Kriminalität: Modi Operandi der digitalen Kriminalität und geschädigte Personen. 2021 [17.03.2022]; Available from: https://www.bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/kriminalitaet-strafrecht/polizei/digitale-kriminalitaet.assetdetail.16264094.html.
6 Bieneck S, Stadler L, Pfeiffer C, Niedersachsen KF. Erster Forschungsbericht zur Repräsentativbefragung Sexueller Missbrauch 2011: Kriminologisches Forschungsinstitut Niedersachsen Hannover; 2011.
7 Treibel A, Dölling D, Hermann D. Das Anzeigeverhalten Betroffener sexueller Übergriffe. Sexuelle Gewalt in pädagogischen Kontexten: Springer; 2019. p. 125-35.
8 Niehaus S, Pisoni D, Schmidt A. Präventionsangebote für Personen mit sexuellen Interessen an Kindern und ihre Wirkung;[Bern: BSV]. Beiträge zur sozialen Sicherheit 2020.
9 Dilling H, Mombour W, Schmidt M. Weltgesundheitsorganisation, Internationale Klassifikation psychischer Störungen-ICD-10. Kapitel V (F)1993.
10 Falkai P, Wittchen H-U, Döpfner M, Gaebel W, Maier W, Rief W, et al. Diagnostische Kriterien DSM-5®: Hogrefe; 2020.
11 Briken P. Paraphilie und paraphile Störung im DSM-5. Forensische Psychiatrie, Psychologie, Kriminologie2015;9(3):140-6.
12 Beier KM, Schäfer GA, Goecker D, Neutze J, Ahlers CJ. Präventionsprojekt Dunkelfeld: Der Berliner Ansatz zur therapeutischen Primarpravention von sexuellem Kindesmissbrauch. Humboldt-Spektrum2006;13(3):4-10.
13 Seto MC. Pedophilia and sexual offending against children: Theory, assessment, and intervention. 2nd Edition ed2018.
14 Eher R, Rettenberger M, Schilling F. Psychiatrische Diagnosen von Sexualstraftätern. Zeitschrift für Sexualforschung2010;23(01):23-35.
15 Schmidt AF, Mokros A, Banse R. Is pedophilic sexual preference continuous? A taxometric analysis based on direct and indirect measures. Psychological assessment 2013;25(4):1146.
16 Mann RE, Hanson RK, Thornton D. Assessing risk for sexual recidivism: Some proposals on the nature of psychologically meaningful risk factors. Sexual Abuse2010;22(2):191-217.
17 Beier KM. Pädophilie, Hebephilie und sexueller Kindesmissbrauch: Die Berliner Dissexualitätstherapie: Springer-Verlag; 2018.
18 Dombert B, Schmidt AF, Banse R, Briken P, Hoyer J, Neutze J, et al. How common is men’s self-reported sexual interest in prepubescent children? The Journal of Sex Research2016;53(2):214-23.
19 Beier KM, Gieseler H, Ulrich H, Scherner G, Schlinzig E. Das Berliner Präventionsprojekt Dunkelfeld. Pädophilie, Hebephilie und sexueller Kindesmissbrauch: Springer; 2018. p. 45-58.
20 Briken P, Berner W, Flöter A, Jückstock V, von Franqué F. Prävention sexuellen Kindesmissbrauchs im Dunkelfeld–das Hamburger Modell. PSYCH up2date2017;11(03):243-62.
21 Bundesrat. Präventionsangebote für Personen mit sexuellen Interessen an Kindern. 2020. www.bsv.admin.ch/bsv/de/home/sozialpolitische-themen/kinder-und-jugendfragen/kinderschutz/praevention-paedosexuelle.html

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