Le courage du franc-parler

Cabinet malin
Édition
2023/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.1323061097
Bull Med Suisses. 2023;104(51–52):72-73

Publié le 20.12.2023

Bien-être
Un compliment, ça fait du bien. C’est particulièrement vrai à l’hôpital, où nous prenons chaque jour des décisions lourdes de conséquences. Mais il est tout aussi important de laisser place au feed-back négatif et d’en tirer des leçons, estime notre auteure.
Fraîchement sortie des études, j’étais abonnée aux horaires de garde, à tel point que je ne savais plus ce que c’était de travailler de jour. Les trois bips dans ma poche étaient les plus fidèles compagnons de mes courses entre étage et urgences, à régler des situations toujours nouvelles et hors des guidelines. J’apprenais de façon exponentielle, mais le doute subsistait souvent: avais-je pris la bonne décision? Que penseraient mes collègues? Le lendemain, j’allais voir dans le dossier ce qui était advenu du patient ou si un superviseur avait modifié la prise en charge. J’avais en effet avidement besoin de feed-back, négatif ou positif. Un an plus tard arrivait l’évaluation: «Oh mais bien sûr que tu travailles très bien, tu l’aurais entendu si ce n’était pas le cas!». Gros soulagement, mais pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt? Le feed-back aurait été un compagnon bienvenu de ma solitude nocturne.

Profiter du feed-back, même négatif

À mes débuts à l’étage, un chef de clinique m’a dit: «Tes lettres de sortie ne vont pas.» En dix minutes, il m’a expliqué comment écrire une lettre, et jusqu’à ce jour, je lui suis reconnaissante de ce feed-back négatif.
Contrairement à ce que je pensais comme assistante, avoir plus d’expérience et de responsabilités n’empêche pas la remise en question. En tant que cheffe de clinique, j’ai quelquefois reçu des félicitations du cadre après des semaines ou week-ends particulièrement éprouvants. Bien qu’épuisée à la sortie de telles périodes, j’aurais pu tout de suite repartir pour des semaines non-stop, tant ce feed-back inattendu me rassurait et me redonnait énergie et motivation.
D’excellents cours comme le Teach the Teachers de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM) mettent l’accent sur le besoin de feed-back dans le milieu médical, d’autant que l’on doit maintenant former des assistants à une médecine toujours plus complexe, et ce en moins de temps qu’auparavant. Personne n’osera en nier l’importance, mais on l’oublie bien trop souvent dans nos milieux régis par la course contre la montre, où l’on part du principe que chacun se débrouille. Cela mène à des situations où des superviseurs font une évaluation satisfaisante à un assistant même s’ils ne le jugent pas comme tel. Leurs raisons: trop de résistance au feed-back négatif de la part de l’apprenant, trop chronophage, trop de risque pour leur propre cote et finalement, la focalisation sur les conséquences actuelles et non sur le long terme, selon la devise: «De toute façon, je ne travaillerai plus avec lui.» Espérons que la nouvelle méthode d’évaluation de la formation soutenue par l’ISFM, les Entrustable Professional Activities, permettra d’instaurer un mode de feed-back plus direct et accepté car se basant sur le degré d’indépendance de l’apprenant, avec des retours quotidiens sur des activités, plutôt que sur un jugement général et flou en fin de semestre.

Donner un retour adapté

Nos réactions au feed-back varient. Certains nécessitent un retour très sévère pour se motiver à travailler et s’améliorer, alors que cela pourrait paralyser et démotiver d’autres, dont le monde s’écroulerait si l’on omettait le positif. Certains apprécient des feed-back réguliers alors que d’autres désirent uniquement être informés quand quelque chose ne va pas. Il est donc fondamental de déterminer comment chaque individu fonctionne, quels sont ses facteurs de motivation, et de s’y adapter, même si cela diffère de notre propre logique.
Finalement, il n’y a pas que l’apprenant officiel qui bénéficierait de feed-back. Combien de fois n’ai-je pas entendu des médecins qui auraient aimé que leurs suggestions d’amélioration puissent être écoutées, au moins lorsqu’ils quittent le service et ne craignent plus de possibles retombées négatives? Or souvent, aucune place n’est prévue pour cela car on n’y pense même pas. Plus on gravit la colline, plus on est seul. Pourtant, savoir où l’on se situe aide à s’orienter dans la bonne direction. Quant aux feed-back surprises reçus, les vôtres comme ceux de mes superviseurs, ils constituent mon dossier Outlook préféré.
Dre méd. Vanessa Kraege Médecin associée en médecine interne, elle est aussi adjointe à la direction médicale du CHUV, responsable de la formation postgraduée et de la relève.

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