Médecine et hygiène

Le mot de la fin
Édition
2023/46
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.1196536060
Bull Med Suisses. 2023;104(46):82

Publié le 17.11.2023

Eberhard Wolff Prof. Dr rer. soc., rédacteur culture, histoire, société
Prague, 1968: «Méphisto», un porcelet domestiqué se balade dans une clinique. Bien que la présence d’animaux y soit défendue, son propriétaire en convalescence, Pawel, l’emporte partout avec lui, allant jusqu’à soudoyer le médecin-chef avec du saucisson ou de l’alcool pour braver l’interdit. Cette scène est extraite de l’adaptation cinématographique de 1988 du roman «L’insoutenable légèreté de l’être» de Milan-Kundera.
Le lien entre bactéries et infections a été découvert à la fin du XIXe siècle, bouleversant la médecine sur le plan sanitaire. Dès lors, la présence d’animaux est devenue impensable. Ce que l’on ne pouvait stériliser devait disparaître. Les instruments, autrefois en bois, cuir, ivoire ou écaille de tortue, ont fait place à des lits d’hôpitaux en métal, à des surfaces médicales lisses et brillantes au nettoyage facile. Ainsi est né au XXe siècle le cliché de l’hôpital austère, glacial et aseptisé.
Une médecine tout de blanc et de métal a pris racine: la tenue du médecin est passée de la redingote noire à une blouse blanche bien propre et le stéthoscope, du bois au chrome brillant. Dans l’inconscient collectif, ces couleurs étaient celles du médecin, qui inspirait «pureté» et «respectabilité». «L’hygiène», classiquement définie comme l’ensemble des mesures propres à conserver la santé, se résume désormais à la propreté, à l’asepsie.
L’ère «blanche» de la médecine touche à sa fin. Elle n’est pas pour autant antihygiénique, mais de moins en moins hygiéniste. Autrement dit, la préoccupation première n’est plus la pureté clinique, en dépit du risque infectieux.
La blouse blanche a été détrônée depuis longtemps. Les blocs opératoires ont troqué le blanc pour du vert, ne remettant pas seulement en question la valeur hygiénique de la blouse mais aussi son impact sur l’environnement. Elle est passée de garant de la propreté à nuisance environnementale. Les psychiatres, pédiatres et médecins de famille l’abandonnent, mettant l’idée de respectabilité et de propreté au placard, au profit d’une relation chaleureuse et bienveillante.
De même, les hôpitaux ne revêtent plus cette «pureté clinique» tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, arborant plantes, tableaux au mur, aquarium et tapis au sol, au moins dans les zones publiques. Les tapis n’incarnent-ils pourtant pas l’idée-même de piège à germes? La construction bois de centres hospitaliers récents, à l’instar de l’Hôpital pédiatrique de Zurich, apportent une touche «chaleureuse» à l’intérieur comme à l’extérieur.
Et qu’en est-il des animaux? Leur présence est-elle toujours interdite dans l’enceinte des hôpitaux? Ils n’ont en fait jamais vraiment été exclus. L’historienne de la médecine Monika Ankele a récemment exposé les différents rôles qu’ont joués les animaux dans les traitements psychiatriques, même à «l’époque hygiéniste» [1].
Ces dernières années, la présence d’animaux en milieux de soins est passée de «problème d’hygiène» à «outil thérapeutique». À l’hôpital, le périmètre dédié aux animaux s’agrandit. Comme souvent, le changement vient des spécialités aux «confins» de la médecine: la psychiatrie, la pédiatrie ou la médecine palliative.
On peut voir le goret d’hôpital Méphisto à la fois comme le vestige d’une médecine ancienne pas encore totalement aseptisée, comme le signe précurseur d’une nouvelle médecine qui ne se veut qu’en partie hygiénisée, ou encore comme le signe «méphistophélique» que même un principe jadis absolu, telle l’hygiène en médecine, peut varier en fonction des dynamiques et objectifs en jeu.
1 Ankele M. Entschuldigen Sie bitte, wo erhält man hier in der Nähe Spratt’s Hundekuchen? Sondierungen zu Mensch-Tier-Beziehungen in psychiatrischen Einrichtungen um 1900. Erscheint 2024 in Virus. Beiträge zur Sozialgeschichte der Medizin

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