Nous formons un tout

Article de fond
Édition
2023/46
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.1152615151
Bull Med Suisses. 2023;104(46):20-23

Publié le 17.11.2023

Médecine vivante
Afin de lutter contre des phénomènes sanitaires croissants, la médecine doit devenir plus holistique. Carsten Gründemann et Lucas Buchholz ont lancé un projet s’appuyant sur les modes de vie de peuples indigènes. Son but: montrer comment l’être humain et la planète peuvent «guérir ensemble».
La communauté des Kogis vit depuis plus de 4000 ans au cœur des Andes colombiennes, dans un isolement volontaire et en parfaite harmonie avec la nature. Leur espérance de vie est au moins aussi élevée qu’en Europe [1]. «Ils ne peuvent donc pas se tromper sur toute la ligne», déclare Lucas Buchhoz, chercheur pour la paix. En 2016, les Kogis l’ont invité à les rencontrer et à faire connaître leur cause: selon eux, les êtres humains devraient de toute urgence réapprendre à agir dans le respect de la vie, pour leur propre bien et celui de la planète. Un message entendu par Carsten Gründemann, titulaire de la chaire de médecine complémentaire translationnelle à l’Université de Bâle: «Les développements actuels et les années passées nous ont fait clairement comprendre qu’un grand nombre de nos systèmes ne peuvent plus remplir leur fonction.» Les deux chercheurs voient une approche prometteuse dans les principes de régénération appliqués par les peuples indigènes depuis des millénaires. C’est ainsi qu’est née l’idée de rassembler des pratiques indigènes et holistiques dans le cadre du projet «médecine vivante» et de les rendre accessibles au public. Tout d’abord sous la forme d’un livre en cours de rédaction, mais aussi en ligne [2].
Équilibre entre être humain et nature: les peuples indigènes ont souvent une vision holistique de la médecine.
© Sarayut Thaneerat / Dreamstime
«Nous jouissons aujourd’hui d’une grande prospérité et d’une médecine performante, fruits de l’incroyable développement technologique des siècles derniers, explique Carsten Gründemann, mais nous le payons très cher.» C’est ce que montre l’augmentation des maladies chroniques, psychiques, inflammatoires et auto-immunes. Les coûts augmentent eux aussi de manière exorbitante. Le modèle biopsychosocial de la médecine occidentale le résume de la manière suivante [3]: la santé dépend de nombreux facteurs conjoints – individuels, sociaux et environnementaux. Dans ce contexte, l’appel à la durabilité écologique et sociale dans le domaine de la médecine se fait de plus en plus pressant, écrivent les auteurs dans leur étude pour le lancement de leur projet [4]. Il ne suffit toutefois pas de réduire les symptômes dans une optique de durabilité. Il s’agit davantage de «favoriser nos systèmes (médicaux) de manière à ce qu’ils deviennent régénératifs», c’est-à-dire d’adopter une approche globalement «favorable à la vie».

L’expérience des indigènes peut aider à rappeler les connaissances holistiques en matière de santé, estime Lucas Buchholz.

Durabilité 2.0

Mais pourquoi pouvons-nous apprendre des processus régénératifs des indigènes colombiens plutôt que des médecins européens? «Sous nos latitudes, nous avons perdu une grande partie de notre expérience pratique globale, c’est-à-dire la manière dont fonctionne une relation saine avec soi-même, son environnement et la nature», explique Carsten Gründemann. «Mais ce savoir est vivant depuis des siècles dans d’autres régions du monde.» L’expérience des indigènes peut nous aider à nous remémorer les connaissances holistiques en matière de santé. De plus, on a tendance à être plus ouvert aux personnes venant d’ailleurs: «Nombreux sont ceux qui entrent en contact avec les autochtones lors de voyages et font ainsi l’expérience de communion avec eux-mêmes et la nature.» Ces rencontres contribuent à ce que les méthodes holistiques ne soient pas immédiatement classées dans la catégorie «ésotérico-spirituelle», comme c’est souvent le cas en Europe.
En Suisse, l’intégration des aspects des sciences naturelles et humaines dans la médecine est déjà officiellement reconnue depuis 2017: médecine anthroposophique, phytothérapie, médecine traditionnelle chinoise et homéopathie classique font partie des soins de base. En outre, des initiatives transdisciplinaires telles que One Health, Planetary Health [5] ou Green Chemistry [6] témoignent d’un changement de mentalité en faveur d’un mode de vie et d’une médecine plus responsables et plus respectueux des ressources. Face aux grands défis de notre époque, une prise de conscience radicale s’impose, selon Lucas Buchholz et Carsten Gründemann. Une «médecine vivante» pourrait à cet égard renforcer le lien avec la nature et donc avec l’être humain en tant que tel, ce «retour à la nature» pouvant avoir lieu dans le cadre de la médecine moderne: «Nous souhaitons faire la synthèse du meilleur des deux mondes et surmonter leur séparation», soulignent les deux auteurs.

Une «médecine vivante» pourrait renforcer le lien avec la nature et donc avec l’être humain en soi.

S’ouvrir à la médecine empirique

Les chercheurs voient de nombreuses pistes envisageables pour une médecine plus holistique. Parallèlement à la médecine occidentale qui, à bien des égards, se focalise – certes avec succès – sur les maladies, ils souhaitent plutôt mettre l’accent sur la santé. «Pour la médecine holistique indigène, la santé est à la fois un équilibre entre le corps, l’âme et l’esprit, et un équilibre entre l’être humain et la nature», poursuit Carsten Gründemann. Une condition importante pour pouvoir créer cet équilibre salutaire est d’être ouvert à la médecine empirique. Pour Carlos Quinto, membre du Comité central de la FMH et spécialiste en médecine interne générale, cette approche est intégrée depuis longtemps dans la médecine de famille. «Les connaissances médicales sont en soi largement empiriques», dit-il. Cependant, le savoir empirique est trop peu reconnu, «bien qu’il soit l’un des trois piliers de l’evidence-based medicine.»
Selon Carlos Quinto, le fait que la médecine intégrative ne soit pas davantage appliquée est lié à une surréglementation et à des incitations erronées. Selon lui, une médecine vivante signifierait donc pouvoir mieux répondre aux besoins des patientes et patients au lieu d’être «mortellement réglementée». «Les caisses-maladie remboursent très peu de prestations de prévention, bien que la prévention et la promotion de la santé soient un sujet important de nombreuses consultations médicales», souligne-t-il.

L’individu est la composante la plus importante d’une «médecine vivante», selon Carsten Gründemann et Lucas Buchholz.

Responsabilité et équité

Pour Carsten Gründemann et Lucas Buchholz, la composante la plus importante d’une «médecine vivante» est l’individu, lequel prend la responsabilité de sa propre santé – et donc de l’environnement. Qui souhaite guérir ou rester en bonne santé a probablement envie de se nourrir d’aliments produits en harmonie avec la nature, sans substances nocives, et d’être davantage dans la nature, ajoute Carsten Gründemann pour développer l’argument holistique. «Dans le choix de la thérapie médicamenteuse pour traiter les affections bénignes telles qu’une toux ou un rhume, l’individu peut également prendre plus de responsabilités, être plus audacieux et, si indiqué par le médecin, recourir plus souvent à des produits issus de la nature.» Tous ces comportements sont favorables à la santé et connus dans l’approche Planetary Health comme des co-bénéfices pour l’environnement [5], car ils préservent ou même, dans le meilleur des cas, développent les ressources naturelles.

Le mode de vie, l’environnement et les facteurs biologiques et génétiques déterminent notre santé à plus de 80%.

Expert en santé publique, Carlos Quinto rappelle toutefois que le mode de vie, l’environnement et les facteurs biologiques et génétiques déterminent à plus de 80% la santé d’une personne. En matière de responsabilité personnelle, le médecin de famille souligne donc un point important: «Tout le monde ne dispose pas de ressources suffisantes, comme le temps, l’argent ou un environnement favorable à la santé.» Si ces ressources et les possibilités équitables de les utiliser étaient disponibles, il serait possible d’agir de manière responsable.

Continuer à tisser le réseau

Lucas Buchholz et Carsten Gründemann voient aujourd’hui déjà des progrès vers une approche plus globale au niveau institutionnel, notamment dans le travail des cliniques conçues de manière holistique, les concepts d’espace ménageant les ressources et l’agriculture régénérative. Les deux chercheurs entendent inscrire leur projet dans cette démarche, s’appuyer sur les initiatives existantes pour donner des impulsions supplémentaires et inviter le public intéressé à participer à une vraie évolution vers une médecine et un mode de vie régénératifs.
1 Buchholz, Lucas: «Kogi. Leçons spirituelles d’un peuple premier» Saarbrücken, 2019.
2 partofnature.unibas
3 Gründemann, Carsten und Buchholz Lukas: «Lebendige Medizin. Wie Mensch und Planet gemeinsam gesunden», Université de Bâle, Faculté de philosophie et des sciences naturelles, Department of Pharmaceutical Sciences, Bâle, 2022
4 Egger, JW., «Die Einheit von Körper und Seele. Die bio-psycho-soziale Perspektive auf Krankheit und Gesundheit.» Baden-Baden, 2020
5 «Santé planétaire – Stratégie du corps médical suisse sur les possibilités d’action concernant le changement climatique», FMH, Berne, 2021: https://www.fmh.ch/files/pdf26/20210819-sante-planetaire-strategie-du-corps-medical-suisse-sur-les-possibilites-d-action-concernant-le-changement-climatique.pdf
6 «Green and sustainable Chemistry: Framework Manual. Executive Summary»; UNEP Sustainable Chemistry Initiative, United Nations Environment Programme, 2020 (wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/35312/GSCF_ES.pdf?sequence=1&isAllowed=y, consulté le 04.04.2023)

Avec la fonction commentaires, nous proposons un espace pour un échange professionnel ouvert et critique. Celui-ci est ouvert à tous les abonné-e-s SHW Beta. Nous publions les commentaires tant qu’ils respectent nos lignes directrices.