Récit de voyage

Zu guter Letzt
Édition
2022/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21169
Bull Med Suisses. 2022;103(45):74

Publié le 09.11.2022

Pour le poète allemand Matthias Claudius, partir en voyage c’est aussi pouvoir raconter. En voyage, les sujets de conversation ne manquent pas, que ce soit la géographie, la météo ou encore la qualité de la nourriture et de l’hébergement. Pour un médecin participant à un voyage organisé, s’ajoutent à cette liste: les maladies, les contacts avec les médecins et le système de santé en général. J’apprécie ce genre de discussions – si elles ne débordent pas – car l’on accède à de nombreuses informations qui arrivent sinon rarement jusqu’à nos oreilles de médecin traitant.
Werner Bauer
Dr méd., ancien président de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM)
J’ai récemment pris part à une excursion au cours de laquelle, dès la pause de dix heures, une participante a commencé à me décrire comment son médecin avait entretenu un dialogue passionné avec son ordinateur pendant la consultation. Il lui posait à un rythme régulier les questions suggérées par l’ordinateur, qui était manifestement très intéressé par ses réponses. Certains aspects qu’elle souhaitait particulièrement approfondir sont en revanche restés sans écho. Le regard fuyant, le médecin lui a ensuite donné une ordonnance et l’a rapidement congédiée en lui souhaitant bon rétablissement. En attendant que le bus redémarre, j’ai tenté d’éveiller chez mon interlocutrice une compréhension pour l’exercice d’équilibre que les médecins doivent faire entre prendre le virage de la numérisation, gérer la pression du temps, conduire efficacement leur cabinet et exprimer de l’empathie envers leurs patientes et patients.
Un autre compagnon de voyage m’a demandé si aujourd’hui les médecins ne devaient, ne voulaient ou ne pouvaient plus toucher leurs patientes et patients. Me rappelant mes cours à la faculté, où l’on nous avait inculqué l’importance de l’examen clinique, je lui ai demandé ce qu’il entendait exactement par là. Il m’a raconté qu’il avait consulté une médecin dans un cabinet bien équipé. Il y avait subi des examens de laboratoire et cardiovasculaires, des tests respiratoires, des mesures du tissu adipeux et des échographies. Mais il n’a jamais été ausculté, palpé ou examiné. Il a émis l’hypothèse que, compte tenu des méthodes d’examen modernes à disposition aujourd’hui, l’examen physique pourrait être devenu inutile ou inapproprié. Mais il ne semblait pas être totalement convaincu. J’ai dû ravaler plusieurs fois ma salive avant de tenter, jusqu’à la prochaine halte du bus, de répondre aux doutes émis par mon interlocuteur, en veillant à ne pas faire porter le chapeau à ma collègue.
Une autre participante a ensuite entrepris de me raconter son opération de la cataracte. Elle s’est adressée à un cabinet ophtalmologique afin de pouvoir discuter de tous les aspects de l’opération avec un spécialiste. Au lieu de cela, elle a eu affaire à toute une équipe du cabinet, qui a procédé à des examens et qui, après de brèves explications, lui a posé rapidement des questions en lien avec l’utilisation de la technique laser et le type de lentilles souhaitées. Entre-deux, elle a certes rencontré une ou un médecin qui lui a serré brièvement la main et exprimé sa joie de la revoir lors de l’opération, mais il n’y a pas eu d’entretien médical à proprement parler.
Ces expériences relatées m’ont fait réfléchir: quels changements sont légitimes au regard des avancées méthodologiques et de l’obligation d’efficacité? Où s’immiscent les problèmes que nous aurions pour tâche de combattre? Quand la numérisation apporte-t-elle un plus à la qualité et aux processus, quand les aspects humains sont-ils mis à mal et quand la fameuse relation médecin-patient est-elle menacée?
Pour finir, j’aimerais souligner qu’au cours de nombreuses autres discussions, mes compagnes et compagnons de voyage ont régulièrement exprimé leur grande satisfaction et gratitude à l’issue de leurs traitements dans des cabinets et hôpitaux et qualifié de bonne la relation entretenue avec leurs médecins.

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