COVID-19L'Office fédéral de la santé publique a publié de nouvelles recommandations de vaccination. Dans certains cas, elles pourraient signifier une utilisation off-label. Ce à quoi les médecins qui vaccinent doivent faire attention et qui est responsable en cas de dommages consécutifs à une vaccination.
L’Office fédéral de la santé publique vient de publier une nouvelle recommandation de vaccination applicable à partir du 10 octobre 2022: «Le principal objectif de la vaccination de rappel contre le COVID-19 à l’automne 2022 est de protéger les personnes vulnérables, qui sont plus à risque de développer des symptômes sévères, contre une forme grave de la maladie et de ses complications. La vaccination offre, au moins provisoirement, une meilleure protection individuelle contre une forme grave de la maladie, notamment en période de forte propagation du virus.» [1]
Dans ce contexte, la question se pose de savoir s’il s’agit dans le cas particulier d’une vaccination hors étiquette (off-label use) [1], comme c’est le cas par exemple lorsqu’on administre à une personne non vaccinée une vaccination de rappel avec un vaccin bivalent.
À quoi doivent faire attention les médecins lorsqu’ils utilisent un vaccin hors étiquette?
Responsabilité en cas de dommages
Les dommages consécutifs à une vaccination relèvent principalement de la responsabilité du fabricant du produit, d’une part, et du médecin qui inocule le vaccin, d’autre part. La Confédération n’a qu’une responsabilité subsidiaire.
Une indemnisation par la Confédération des personnes ayant subi un préjudice à la suite d’une vaccination entre seulement en considération lorsque la vaccination a été ordonnée ou recommandée par les autorités (art. 64, al. 1, de la loi sur les épidémies, LEp). Une indemnisation n’est alors accordée que si le dommage, en dépit d’efforts raisonnables, ne peut pas être couvert autrement («responsabilité subsidiaire» ou «responsabilité par défaut»).
Aspects juridiques
«L’utilisation hors étiquette de médicaments n’est en soi pas interdite.» [2]
Le médecin doit procéder à la vaccination hors étiquette conformément aux règles de l’art et à l’état actuel de la science médicale. Le devoir de diligence du médecin comprend le traitement médical selon les règles de l’art, l’information médicale et la documentation par le médecin. Ce n’est qu’en cas de manquement au devoir de diligence, et lorsque les autres conditions de la responsabilité sont réunies (à savoir la violation du contrat, le lien de causalité et la faute), que le médecin qui a vacciné peut être tenu pour responsable.
Devoir de diligence
Les devoirs de diligence concernant les produits thérapeutiques sont inscrits à l’art. 3 et à l’art. 26 de la loi sur les produits thérapeutiques (LPTh). L’art. 3 LPTh dispose que pour une opération avec des produits thérapeutiques, toutes les mesures requises par l’état de la science et de la technique doivent être prises afin de ne pas mettre en danger la santé. L’art. 26, al. 1, LPTh concrétise le devoir général de diligence en précisant que les règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales doivent être respectées lors de la prescription et de la remise de médicaments [3].
La jurisprudence a précisé la notion de diligence du médecin dans des arrêts de principe. Dans le diagnostic comme dans le choix d’une thérapie ou d’autres mesures, le médecin dispose souvent − selon l’état de la science considéré objectivement − d’une certaine marge d’appréciation. «Celle-ci autorise un choix entre les différentes possibilités qui entrent en considération. Le choix relève de l’appréciation attentive du médecin. Celui-ci n’engage pas nécessairement sa responsabilité quand il n’a pas trouvé la solution qui était objectivement la meilleure lorsqu’on en juge a posteriori. Il ne manque à son devoir que si un diagnostic, une thérapie ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l’état de la science et sort donc du cadre de l’art médical considéré objectivement.» [4]
Les exigences définies par le Tribunal fédéral pour le devoir de diligence du médecin prévoient certes que «l’art médical a ceci de particulier que le médecin doit s’efforcer d’arriver au résultat escompté en mettant en œuvre ses connaissances et ses capacités mais qu’il n’est pas tenu d’arriver au résultat ou d’en garantir la survenance». Les exigences posées en matière de devoir de diligence du médecin dépendent en outre «des particularités du cas, à savoir la nature de l’intervention ou du traitement et les risques qu’ils comportent, la marge d’appréciation, le temps et les moyens disponibles, la formation et les capacités du médecin» [5]. Dans un cas particulier, le fait de ne pas entreprendre un traitement hors étiquette indiqué pourrait constituer une erreur médicale. Ce qui est déterminant, c’est ce qui est indiqué médicalement et ce qui correspond aux standards médicaux au moment du traitement.
Devoir d’information médicale
La jurisprudence et la doctrine divisent le devoir d’information en trois catégories: le devoir d’information concernant l’intervention, le devoir d’information concernant le comportement thérapeutique à adopter et le devoir d’information en matière économique. Il importe de savoir que les exigences relatives aux devoirs d’information des médecins sont accrues en cas d’utilisation d’un vaccin hors étiquette.
a) Devoir d’information concernant l’intervention ou le droit à l’autodétermi-nation
Lors de l’information concernant l’intervention, il y a lieu d’informer le patient afin qu’il puisse décider, en exerçant son droit à l’autodétermination, s’il consent ou non au processus de traitement avec un médicament ou un vaccin utilisé hors étiquette. Cette information est le fondement d’un consentement juridiquement valable. Il faut faire en sorte que le patient ait compris de quelle intervention il s’agit et quelles en sont les conséquences. D’un point de vue juridique, la vaccination est une atteinte à l’intégrité corporelle. En revanche, le processus de traitement est licite avec le consentement éclairé du patient. L’information médicale constitue la base nécessaire à la prise de décision afin que le patient puisse exercer son droit à l’autodétermination en donnant un consentement dit éclairé.
Le médecin doit informer le patient dans le cadre d’un entretien quand, en raison des circonstances du cas d’espèce, une vaccination hors étiquette est nécessaire. Il doit peser soigneusement le pour et le contre d’une utilisation hors étiquette et en informer le patient, notamment lui indiquer les risques plus élevés liés à l’utilisation hors étiquette.
Lors d’une utilisation hors étiquette d’un vaccin, le médecin doit donner au patient une information détaillée de son cas individuel. Avant le traitement, il doit lui expliquer qu’il s’agit d’une utilisation hors étiquette du médicament ou du vaccin qui comporte peut-être des risques plus élevés. Il est notamment nécessaire de l’informer des raisons médicales qui font qu’une utilisation hors étiquette est indiquée dans son cas. Avant une vaccination hors étiquette, le patient doit ainsi être informé de la vaccination, des circonstances de l’utilisation hors étiquette et des bénéfices et risques significatifs dans son cas individuel.
L’information porte par conséquent aussi bien sur les risques fréquents que sur les risques rares, pour autant qu’ils soient connus et puissent avoir des conséquences importantes. Elle doit attirer l’attention quant aux éventuels risques non connus, leur évolution et leur degré de gravité. En fin de compte, chaque cas fait l’objet d’une pondération individuelle des bénéfices et des risques, car chaque cas est particulier.
L’information comprend toutefois aussi les traitements alternatifs et les risques encourus sans la thérapie ou la vaccination. Il faut en outre communiquer au patient les informations importantes selon le compendium des médicaments. Le patient doit être informé des bénéfices et des risques qui ne figurent pas encore dans l’information destinée aux professionnels, mais qui sont avérés scientifiquement.
La responsabilité civile relative au devoir d’informer les patients incombe au médecin qui vaccine. Si le patient n’a pas été informé en bonne et due forme, le médecin traitant peut encore toujours argumenter que le patient aurait de toute façon consenti au traitement ou à la vaccination hors étiquette s’il en avait été informé de manière appropriée.
b) Devoir d’information concernant le comportement thérapeutique à adopter (Sicherungsaufklärung)
Il s’agit d’informer le patient du comportement correct à adopter après la vaccination hors étiquette, par exemple en ce qui concerne les effets secondaires et les interactions médicamenteuses, l’impact sur l’aptitude à la conduite, ce que le patient doit faire, etc. En cas de non-respect par le médecin de ce devoir d’information, qui équivaut à une erreur médicale, c’est le patient qui porte le fardeau de la preuve et doit démontrer que cette information (Sicherungsaufklärung) n’a pas été donnée en bonne et due forme.
c) Devoir d’information en matière économique
Concernant l’information en matière économique, le Tribunal fédéral a concrétisé les obligations dans l’arrêt de principe ATF 119 II 456 rendu en 1993, qui n’a rien perdu de sa validité. Dans le cadre de l’information en matière économique, qui joue notamment un rôle clé dans une utilisation hors étiquette, le médecin doit informer de la non-prise en charge des coûts par l’assurance-maladie, respectivement par la Confédération ou le canton [6].
Devoir de documentation
Le devoir de documentation du médecin, notamment la reproduction diligente de la teneur de l’entretien, revêt une grande importance en matière de preuves. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut consigner ce qui est nécessaire et usuel du point de vue médical. L’exhaustivité et la traçabilité de ce qui a été noté sont des critères déterminants. En particulier lors de vaccinations hors étiquette, le médecin qui vaccine est bien avisé de documenter l’entretien d’information.
Assurance de responsabilité professionnelle
En ce qui concerne l’administration de traitements hors étiquette, il y a lieu de clarifier avec l’assurance responsabilité professionnelle si ceux-ci sont couverts par la police d’assurance.
Résumé
Une utilisation hors étiquette d’un vaccin est en principe autorisée. Les règles générales de la responsabilité s’appliquent. Le médecin qui vaccine doit respecter son devoir de diligence et également ses devoirs d’information et de documentation médicales. Selon la jurisprudence, le médecin qui vaccine doit tenir compte des circonstances du cas particulier et s’acquitter d’un devoir d’information accru.
Références
1 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral ATF 134 IV 175, il y a emploi non conforme ou «hors étiquette» lorsqu’«un médicament est utilisé pour une autre indication ou avec une autre posologie que celle admise». L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) définit le «off-label use» comme «l’utilisation de médicaments prêts à l’emploi, autorisés en Suisse, qui s’écarte de l’utilisation autorisée et publiée dans le compendium des médicaments (p. ex. utilisation d’un médicament pour une indication non enregistrée, pour un groupe d’âge non autorisé ou administration dans une dose, une forme ou une durée non autorisées)», cf. : Distinction entre thérapie standard et thérapie expérimentale dans le cadre individuel, 2014, p. 17.
2 Oberlandesgericht (OLG) Hamm, arrêt du 31 janvier 2020 (26 U 47/19).
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