Comment attirer le personnel soignant

Hintergrund
Édition
2022/41
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21101
Bull Med Suisses. 2022;103(41):12-16

Publié le 11.10.2022

Crise dans les soinsLe manque de main-d’œuvre dans les professions soignantes est aigu, contraignant certains hôpitaux à fermer des services entiers. Face à l’urgence, les institutions de soins prennent des mesures, parfois inédites, pour conserver le personnel et en recruter.
Le personnel soignant en Suisse a réussi se faire entendre grâce à l’initiative sur les soins infirmiers: les conditions de travail, avec des horaires par équipe et le week-end, sont exigeantes et éreintantes. La pandémie n’a fait qu’accentuer cette situation. Si le personnel continue à manquer, ces conditions deviendront insupportables pour beaucoup. «La situation se péjore. Il faut impérativement prendre des mesures urgentes pour résoudre cette crise», affirme Yvonne Ribi, secrétaire générale de l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI). Ses propos s’appuient sur les chiffres de Jobradar Suisse. Alors que le nombre de postes à pourvoir dans les professions soignantes s’élevait à 12 300 à la fin de 2021, il est déjà de 14 517 six mois plus tard. Pour le personnel infirmier diplômé collaborant étroitement avec le corps médical, ce chiffre était de 6300 fin 2021. Six mois plus tard environ, il a déjà progressé à 7453.

Récompenser la flexibilité du personnel

Les conséquences sont importantes. Pas seulement pour les personnes qui continuent à exercer leur métier malgré une charge de travail élevée, mais aussi pour toutes celles qui se trouvent de l’autre côté et qui nécessitent une prise en charge. «Nous en sommes arrivés à un point où il n’est plus possible de garantir aux patientes et aux patients la possibilité de se faire soigner dans leur hôpital régional, parce qu’il n’y a tout simplement pas de lit disponible. Nous l’avons constaté au cours de la pandémie, et cela reste d’actualité», indique Nadine Morgenthaler Beuttenmüller, directrice des soins infirmiers/MTT au Centre hospitalier Bienne (CHB).
Dans certains hôpitaux, le manque de personnel va jusqu’à entraîner la fermeture de services entiers. Des opérations planifiées ont parfois dû être repoussées, une conséquence délétère pour la patientèle. Dans le même temps, le nombre de personnes qui se présentent aux urgences a augmenté. «Quasiment tous les hôpitaux sont au maximum de leur capacité dans ce secteur car la population s’adresse directement aux services d’urgences puisqu’il y a de moins en moins de cabinets médicaux», précise Nadine Morgenthaler Beuttenmüller. Il en résulte, pour le personnel en place, beaucoup d’heures et de tranches horaires par équipe supplémentaire. «Ce qui pèse encore davantage sur le personnel soignant, c’est de devoir souvent venir travailler, alors que ce n’était pas prévu, pour pallier l’absence de collègues », souligne la directrice des soins infirmiers. Beaucoup d’hôpitaux et de cliniques ne disposent pas de l’effectif minimal permettant d’assurer les soins. «Dans ces conditions, ce travail n’est pas du tout attrayant. Exercer sur la durée un métier dans lequel on doit être de facto sans cesse prêt à venir travailler sur appel, et où le temps de repos n’est pas toujours garanti, n’est ni tenable à long terme, ni bénéfique pour la santé.»
Pour faire face à cet état d’urgence, le Centre hospitalier Bienne a doublé en avril 2021 le «Flexi-Bonus»: le personnel est mieux payé en cas de remplacement au pied levé. Les suppléments pour travail par équipes à partir de 20 heures, ainsi que les dimanches et jours fériés, ont été augmentés de six à dix francs par heure. Tout le personnel a également reçu deux jours de congé supplémentaires et profité d’ajustements de salaire significatifs.
Payer davantage n’est qu’une partie de la solution. Il s’agit aussi de faire en sorte que les employées et employés puissent mettre à profit leurs qualités – c’est ce que l’on appelle positive leadership. «C’est une mesure bien accueillie par les collaborateurs et collaboratrices du CHB. Depuis l’an dernier, ils ont la possibilité d’intervenir dans d’autres départements et d’y appliquer leurs idées. Cela les valorise et leur montre qu’ils sont écoutés et pris au sérieux.» En plus de cela, toutes les équipes se sont vu remettre un budget par personne pour l’organisation d’événements de groupe, dans le but de renforcer le sentiment de cohésion. Exerçant sa profession depuis près de 30 ans, Nadine Morgenthaler Beuttenmüller est convaincue que ces mesures devraient durablement améliorer l’attrait des métiers des soins.

Moins d’heures de travail hebdomadaires

Le Lindenhofgruppe envoie un signal fort dans ce sens. En juillet, le groupe hospitalier privé a indiqué qu’en plus de l’augmentation de salaire accordée au 1er avril, chaque membre du personnel des soins recevrait des indemnités «dont le total correspond à une réduction du temps de travail hebdomadaire à moins de 40 heures». Des indemnités qui n’ont pas d’impact sur le salaire.
D’autres améliorations ont été mises en place pour le travail de nuit. Les compensations ont été augmentées de 20 à 30% et les personnes qui travaillent en équipe sur des périodes de 24 heures bénéficient en plus de sept jours de congé supplémentaires. C’est aux collaboratrices et collaborateurs de gérer leur temps, et de choisir entre quelques jours de congé, des vacances, ou un nombre réduit d’heures hebdomadaires. Selon Guido Speck, CEO du Lindenhofgruppe, ces mesures devraient contribuer à améliorer considérablement la situation du personnel en lui permettant de gagner en flexibilité et en qualité de vie.

Rendre le métier plus attrayant

Solothurner Spitäler AG (soH) est aussi concernée par cette problématique. «Nous sommes fortement touchés par la pénurie de personnel qualifié. Il est particulièrement difficile de trouver des professionnels dans les disciplines spécialisées, comme les soins intensifs ou l’anesthésie», indique Oliver Schneider, responsable Marketing et communication. Pour remédier à cette situation, les hôpitaux soleurois ont constitué un groupe de travail réunissant tous les services et tous les sites, placé sous la houlette du CEO. Ce groupe a pour mission de réfléchir à des améliorations pour le personnel soignant. «Nous menons dans toute la région une campagne de promotion de ces professions, créée par les RH, et nous prenons contact avec les personnes qualifiées via les réseaux sociaux. Nous entretenons un vaste réseau de professionnels afin d’être en mesure de réagir rapidement aux postes vacants», précise M. Schneider.
La tâche est d’autant plus complexe que les métiers des soins sont confrontés à des exigences énormes. Néanmoins, Oliver Schneider est convaincu que les efforts ne sont pas vains. «Les retours de la part des candidates et des candidats montrent que notre campagne de recrutement attire l’attention.» Mais le fait est qu’il est de plus en plus difficile d’enthousiasmer des jeunes pour un métier qui implique par définition de travailler la nuit et le week-end.
Quels sont les liens entre les efforts des hôpitaux et l’initiative sur les soins infirmiers? Oliver Schneider explique: «L’initiative sur les soins infirmiers a fait des généralités et mis en avant surtout les aspects peu attrayants de la profession, laissant de côté les points positifs et gratifiants. De notre point de vue, cette initiative a contribué à attiser le sentiment d’insatisfaction qui a notamment émergé en réponse à la charge de travail liée aux vagues de COVID.»

Les médecins soutiennent les soignants

L’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (ASMAC) soutient «sans réserve» les diverses campagnes des hôpitaux en faveur de l’amélioration des conditions de travail du personnel soignant, comme le fait savoir Philipp Thüler, directeur adjoint et responsable Politique et communication. «L’ASMAC collabore régulièrement avec les associations des infirmiers et infirmières et s’est prononcée systématiquement en faveur de l’initiative sur les soins.»
Il répond par la négative à la question de savoir si les médecins se sentent lésés face aux hôpitaux qui font la promotion du personnel infirmier par des campagnes et des incitations salariales, alors que le corps médical souffre aussi d’une pénurie de main d’œuvre: «Une amélioration des conditions de travail du personnel soignant ne se fait pas au détriment de tel ou tel médecin. Les groupes professionnels ne sont pas en concurrence.» Bien au contraire. «Les médecins ressentent de plus en plus dans leur activité quotidienne les effets négatifs des mauvaises conditions de travail des soignantes et des soignants, tout comme leurs absences.»
L’association demande évidemment aussi des incitations pour les médecins, comme le précise Philipp Thüler: «L’ASMAC s’engage depuis longtemps, et à différents niveaux, en faveur de meilleures conditions de travail pour les médecins-assistants et les cheffes de clinique.» Un groupe de travail s’attelle activement à concrétiser l’objectif d’une semaine de 42 heures pour les médecins-assistantes et assistants.
De plus en plus d’institutions se préoccupent de la santé du personnel et mettent en place des offres en ce sens, comme des programmes permettant de mieux gérer le stress.
© Robert Kneschke / Dreamstime

Créer une bonne atmosphère de travail

Manuel Käser, responsable de la gestion du personnel de Reha Rheinfelden, explique que le centre de réhabilitation s’investit entre autres pour la promotion de la santé des collaboratrices et collaborateurs. L’établissement a ainsi créé une offre en matière de résilience, mise au point par les psychologues internes. Il s’agit d’un programme d’exercices qui propose des méthodes pour renforcer la résistance personnelle et parvenir à mieux gérer les situations de stress, ce qui participe au maintien et à la promotion de la santé.
Grâce à la mise en place de diverses offres en faveur de la promotion de la santé des collaboratrices et collaborateurs, le Reha Rheinfelden s’est vu attribuer en décembre 2021 le label «Friendly Work Space» par la fondation Promotion Santé Suisse, qui distingue les organisations se souciant d’une gestion systématique de la santé à l’interne et certifie leur engagement en faveur de la qualité des conditions de travail.
L’application du Lean Management vise à simplifier les processus de travail et à raccourcir les processus décisionnels. Dans les soins, les tâches s’effectuent par exemple idéalement en tandems, les patientes et les patients devant être suivis par deux personnes. Cette répartition des tâches rend les processus de travail plus efficaces. Une infirmière ou un infirmier diplômé(e) ne devrait pas consacrer trop de temps à des tâches que peuvent réaliser des auxiliaires de santé ou des assistantes ou assistants en soins et santé communautaire. «Le concept Lean a laissé son empreinte à Reha Rheinfelden, mais aussi dans l’ensemble du système de santé», souligne Manuel Käser.

«Il faut stopper l’exode»

Du côté du corps infirmier, on considère comme bonnes et justes toutes ces mesures visant à rendre plus attrayants les métiers des soins. «C’est fantastique que le Lindenhofgruppe et d’autres grandes institutions aillent de l’avant et s’efforcent de conserver leur personnel grâce à des offres attractives. Ils émettent ainsi un signal et exercent une certaine pression politique», déclare Yvonne Ribi. Toutefois, ces mesures restent insuffisantes selon elle, car le manque de personnel est palpable partout en Suisse.
«Il est urgent de stopper l’exode du personnel qualifié pour garantir des soins de qualité professionnelle et humains. Tous les cantons doivent aborder la question financière pour que d’autres cliniques rejoignent le mouvement. Nous constatons depuis des années que la charge de travail assumée par le personnel soignant est trop importante, et leur temps de repos trop court. Il devient de plus en plus difficile de recruter des personnes dans les métiers des soins, les plus beaux au monde. Sans oublier que beaucoup d’infirmières et d’infirmiers quittent le métier très tôt», ajoute-t-elle. Il faut selon elle prendre des mesures urgentes à l’échelle nationale pour résoudre la crise des soins et les difficultés de prise en charge qui y sont liées. «Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas investir.»

Les professionnels étrangers: la solution?

Divers hôpitaux se tournent vers le personnel soignant formé à l’étranger, à l’image de l’Hôpital universitaire de Bâle (HUB). «Comme nous sommes au confluent de trois pays, nous allons aussi recruter dans les régions voisines de France et d’Allemagne, qui font partie de notre territoire naturel», expose Caroline Johnson, porte-parole. À l’heure actuelle, recruter du personnel qualifié est complexe tant le marché du travail est asséché. S’il est important de mener des campagnes de recrutement, il est rare qu’elles fassent bondir le nombre de candidatures. Le HUB a lancé un programme de réinsertion et de reconversion professionnelles: il s’agit de proposer un emploi dans le domaine des soins aux jeunes ainsi qu’à de nouveaux groupes cibles. Les compensations accordées pour le travail de nuit ont été par ailleurs considérablement augmentées. «Les soignantes et les soignants ont ainsi plus de temps de repos. Nous prévoyons aussi un vaste projet pilote lié à la création de nouveaux modèles d’horaires pour le rythme trois-huit», précise Caroline Johnson.
Pour Yvonne Ribi, recruter à l’étranger ne résout pas le problème de fond: «Sans nos collègues possédant des diplômes étrangers, nous ne pourrions pas assurer les soins de santé. Leur part varie entre 30 et 40%. Pour autant, la crise dans le secteur des soins est un problème international et les spécialistes que nous allons chercher à l’étranger font ensuite défaut ailleurs. Cette situation est éthiquement inacceptable. La Suisse doit tout mettre en œuvre pour couvrir elle-même ses besoins en personnel soignant.»
Faute de personnel, tous les patients en Suisse ne peuvent pas être pris en charge dans l’hôpital le plus proche.
© Sudok1 / Dreamstime

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