«Nous voulons casser les barrières»

«Nous voulons casser les barrières»

Innovation
Édition
2022/40
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.21092
Bull Med Suisses. 2022;103(40):78-79

Publié le 04.10.2022

HandicapL’ingénieur Luca Randazzo fait participer des personnes en situation de handicap au développement de prothèses et de dispositifs. Cette semaine a lieu le prochain hackathon de sa communauté Hackahealth, au cours duquel de nouvelles solutions sur mesure seront développées. Dans l’interview, il explique sa vision de l’inclusion.
Luca Randazzo, en 2018, vous avez fondé la communauté Hackahealth, qui soutient le développement de solutions personnalisées pour et avec des personnes en situation de handicap. Comment cette idée vous est-elle venue?
Au début, nous étions quatre doctorants à l’EPFL qui travaillaient dans le domaine des neuroprothèses. Durant nos études, nous avions tous fait la même expérience: il y a une différence énorme entre le développement d’un dispositif dans le cadre d’un projet universitaire et l’utilisation effective de celui-ci par les personnes concernées. Souvent, on travaille sur des technologies très complexes pendant des années. Puis, arrivé à l’hôpital, le médecin traitant nous dit qu’un physiothérapeute n’aurait jamais le temps d’installer l’appareil pendant sa séance.
Pour quelle raison?
Je vous donne un exemple: certains systèmes comme des exosquelettes avec des tapis-roulants ont quasiment la taille d’une pièce entière. Il y a donc un vrai décalage entre nos inventions et leur application dans le monde réel, notamment au domicile des utilisateurs. Cette prise de conscience en a déçu plus d’un. En tant qu’ingénieurs, nous développons souvent une solution à des problématiques que l’on croit connaître, mais qui ne sont pas prioritaires pour les utilisateurs. Et nous connaissons mal les contraintes liées à la pathologie. Hackahealth est née de ce constat. Nous voulions créer une communauté où les ingénieurs doivent échanger avec les utilisateurs pour développer des solutions qui soient vraiment utiles.
Vous organisez régulièrement des hackathons. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit?
L’idée est qu’une personne avec une nécessité spécifique, typiquement une personne avec un handicap que nous appelons challenger, pose un défi à un groupe d’ingénieurs. Pendant deux jours, ce groupe collabore pour bien comprendre le problème et tente de le résoudre. De cette interaction naissent, à la fin du weekend, des prothèses ou d’autres dispositifs que le challenger peut idéalement rapporter à la maison. La dynamique qui se développe est très intéressante, car on regroupe des personnes qui ont le savoir technologique avec les utilisateurs finaux.
Pouvez-vous donner des exemples qui illustrent ces challenges?
Une personne atteinte d’une lésion de la moelle épinière avait des difficultés à ramasser des objets, par exemple après avoir laissé tomber ses clefs ou son téléphone. Le challenge était donc de développer un dispositif lui permettant de saisir des objets au sol. Ce genre d’outils existent déjà, mais ils ne sont pas toujours adaptés aux besoins spécifiques des utilisateurs auxquels nous avons affaire. La personne en question ne pouvant pas utiliser son pouce, le défi était de créer ou d’adapter une pince qu’elle puisse contrôler en utilisant les fonctions restantes de sa main. Une autre personne n’arrivait pas à s’habiller parce qu’elle ne pouvait pas complètement lever ses bras. Nous avons développé un système lui permettant d’enfiler son t-shirt toute seule. Souvent, ce sont des solutions très simples mais hyper personnalisées. Le but est à chaque fois de redonner un peu d’autonomie à ces personnes.
L’inclusion vous tient donc particulièrement à cœur?
Absolument. Nous considérons la personne en situation de handicap comme ressource et non comme problème à résoudre. Elle est au centre de toute réflexion. Elle connaît clairement mieux que nous les contraintes liées à sa condition et a sûrement déjà pensé à des solutions pour son quotidien. Elle fait donc vraiment partie intégrante de l’équipe. Il y a aussi un aspect thérapeutique. Nos challengers se sentent utiles, ils gagnent en confiance durant un hackathon. On peut même dire que les dispositifs ne sont parfois qu’un prétexte. L’essentiel, c’est vraiment de casser les barrières et d’apprendre aux ingénieurs à être au contact direct avec les personnes en situation de handicap.
Collaborez-vous avec le corps médical?
Nous sommes souvent en contact avec les médecins traitants et les thérapeutes, que nous nous efforçons d’impliquer dès le début du processus. Le challenger devient ainsi le médiateur entre ingénieurs et professionnels de la santé. Nous montrons aux médecins à quel point il est facile de nos jours de développer des solutions. Ce travail de sensibilisation entraîne de véritables déclics. On a souvent vu des gens qui ne connaissaient rien aux neuroprothèses avoir beaucoup d’idées à la fin d’un weekend et influencer ainsi le développement. Il arrive que des personnes rapportent les appareils chez elles et continuent à travailler dessus. À la fin, le dispositif est vraiment un miroir de ce que l’équipe formée par les ingénieurs, thérapeutes, cliniciens et patients en tant qu’utilisateurs pensent. Je crois que c’est une expérience révélatrice pour pas mal de personnes.
Avez-vous aussi été confrontés à des difficultés?
Les personnes en situation de handicap ont parfois de très grandes attentes. La première chose que nous faisons est donc d’expliquer ce que nous pouvons faire avec nos technologies en deux jours. Comme ça, on évite les déceptions. Nous nous focalisons sur des solutions lowcost, lowprofile. Nous ne pouvons évidemment pas résoudre tous leurs problèmes, comme les refaire marcher. Cependant, nous démarrons un processus et restons en contact avec ces personnes pour continuer à améliorer le dispositif. C’est pour ça que nous proposons des cours et workshops à l’EPFL.
Quel est le moment qui vous a le plus marqué?
C’était lors de mon premier hackathon en 2018, où j’ai emmené ma sœur Chiara, atteinte de paralysie cérébrale. C’est d’ailleurs elle qui m’a donné envie de me lancer dans l’ingénierie. À sa vue, les ingénieurs sont restés figés sur place, ne sachant pas comment se comporter. À la fin du weekend, l’ingénieur qui avait travaillé sur un projet avec elle la prenait par la main pour l’emmener boire un café. C’est là que je me suis rendu compte du but principal de notre communauté: casser la barrière liée au handicap – et c’est magnifique!

Hackahealth

L’association Hackahealth se compose d’étudiants, doctorants, post-doctorants et ingénieurs travaillant à l’EPFL, au Campus Biotech et dans l’industrie suisse des MedTech. Leur vision est de transformer la perception du handicap par le jeu, l’inclusion et la technologie. Depuis 2018, l’association organise des hackathon au cours desquels ingénieurs, fabricants et designers développent avec des personnes en situation d’handicap des solutions personnalisées pour leur quotidien.
Les prochains hackathons auront lieu du 7 au 9 octobre 2022 à Genève et du 4 au 6 novembre 2022 à Zurich. Inscription sur: www.hackahealth.ch/hackathons-fr
Luca Randazzo
L’ingénieur, spécialisé en mécatronique, est cofondateur de Hackahealth et de la startup Emovo care.
La communauté Hackahealth regroupe des développeurs et des personnes en situation de handicap.

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