Les questions éthiques se complexifient

Zu guter Letzt
Édition
2022/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20507
Bull Med Suisses. 2022;103(07):234

Affiliations
Prof., Dr en théol., membre de la rédaction Ethique

Publié le 15.02.2022

Un Américain vit à présent avec un cœur de porc. Une prouesse scientifique, un premier jalon, une lueur ­d’espoir pour les milliers de personnes en attente d’une greffe selon les manchettes de journaux! Sous le feu des projecteurs, les médecins, mais aussi le patient, David Bennet, un chauffeur de bus de 57 ans atteint de graves troubles du rythme cardiaque. Il était si malade qu’il n’avait aucune chance de pouvoir intégrer une liste d’attente en vue d’une transplantation. Sa ­première question aux médecins: «Après l’opération, vais-je grogner comme un cochon?»
David Bennet n’a toutefois rien d’un héros. Il y a plus de trente ans, il a été condamné à plusieurs années de ­prison pour avoir poignardé un homme, le laissant ­paralysé. Après l’opération, la sœur de la victime a exprimé publiquement qu’elle aurait préféré un receveur plus méritant, alors que son frère était décédé après dix-neuf années de souffrances et que son agresseur obtenait une seconde chance.
Des scientifiques et des spécialistes en éthique ont argumenté que seules les considérations médicales comptaient. «Nous n’avons pas pour mission de trier les pécheurs des saints», a affirmé le professeur américain de bioéthique Arthur Caplan dans un article paru dans le Daily Mail et Libération [1]. Il convient de séparer les affaires légales des affaires médicales. Or, «pécheurs et saints» n’appartiennent-ils pas à une autre catégorie? Ne vaudrait-il pas mieux séparer éthique et médecine?
Oh que non! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’éthique médicale est bien implantée dans la plupart des facultés de médecine et des institutions médicales. Elle traite des questions relatives à la vie et à la mort, mais aussi des possibilités thérapeutiques actuelles qui devraient s’accompagner d’une réflexion sur leur nécessité. En éthique, les réponses sont plutôt complexes au premier abord.
Je comprends très bien l’effarement de la sœur de la victime et les arguments éthiques. Il doit en effet lui sembler particulièrement injuste que l’homme qui a fait tant de mal à sa famille soit célébré comme un ­héros. A cela s’ajoute que l’argent investi pour les neuf heures d’opération et l’étroit suivi postopératoire ­auraient permis de prodiguer d’autres soins à leur fils ou frère alité à la fin de sa vie.
Mais les médecins seraient dans de beaux draps si, avant chaque traitement, ils devaient évaluer l’intégrité morale de leurs patients, sans compter qu’aux ­côtés de cet homme, des milliers d’autres patients de par le monde attendent désespérément un organe. Pour eux, cette opération représente une lueur d’espoir. Quelqu’un s’est-il demandé si le petit James Phipps, qui a reçu le premier vaccin contre la variole en 1796, était devenu un citoyen respectable? Pour ma part, je suis heureuse de savoir que cela a permis de poser le premier jalon en vue de l’éradication de maladies telles que la variole ou la polio. Peut-être que ce cœur de porc qui bat désormais dans une poitrine humaine marquera le début d’une ère où plus personne ne devra mourir parce qu’il ou elle figure en bas d’une liste d’attente. A ce moment-là, la question du consentement explicite ou présumé ne se poserait peut-être même plus.
En revanche, la question de l’expérimentation animale et humaine gagnera en importance, car ce cœur n’a pas été prélevé sur un cochon normal. Son génome avait été modifié et adapté à l’humain avant la transplantation faisant ainsi suite à de nombreux essais antérieurs entre cochons et babouins. La survie de ces derniers ­allait de quelques jours à quelques mois selon leur état immunosuppresseur. Dans les années 1980, un cœur de babouin a même été greffé à un bébé. Cette petite fille n’était pas la première à en bénéficier, mais elle a survécu trois semaines, donc plus que les autres. Cela valait-il pour autant tant d’espoirs et de souffrances?
Aujourd’hui, on peut – peut-être – faire beaucoup. Mais le faut-il vraiment? Qui y aurait droit? Qui en a besoin? Qu’adviendra-t-il? Prendre en compte les progrès de la recherche ne simplifie pas les questions éthiques, c’est pourquoi il faut poursuivre le débat.

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