La recherche clinique financée par des fonds publics ne profite pas assez à la population. Que faut-il faire pour diminuer la fragmentation des activités et renforcer la collaboration multidisciplinaire? L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) a récemment publié un white paper formulant sept objectifs. L’un d’eux est la création d’une plateforme nationale de coordination visant à rassembler les acteurs autour d’une vision commune et renforcer l’impact de la recherche clinique en Suisse.
Longtemps considérée comme un problème en comparaison internationale (Bühler et Burri, SWR, 1992; SWTR Schrift 3, 2002) et par rapport à la qualité de la recherche biomédicale et du système de santé suisses, la recherche clinique a bénéficié de nombreuses initiatives publiques et de programmes ciblés ces vingt dernières années pour améliorer ses conditions cadres. Le résultat de ces efforts se manifeste, entre autres, dans l’impact des publications suisses en recherche clinique par rapport aux pays «leaders» en la matière (fig. 1).
Le Fonds National Suisse (FNS) a contribué de façon décisive au financement de la relève en médecine académique et clinique (programmes spéciaux en médecine, instruments de carrière, Protected Research Time for Clinicians), à la mise en place d’études longitudinales et d’études indépendantes (Investigator Initiated Clinical Trials [IICT] grants) et à la création de Clinical Trial Units (CTUs), de la Swiss Clinical Trial Organisation (SCTO) et de la Swiss Biobanking Platform (SBP). Pour accélérer le développement d’infrastructures et de standards harmonisés pour l’utilisation des données de santé pour la recherche, la Confédération finance le Swiss Personalized Health Network (SPHN) jusqu’à fin 2024.
De leur côté, les universités, les facultés de médecine, les hôpitaux et les institutions de recherche qui leur sont associées ont investi dans la professionnalisation de la recherche et dans le soutien à la relève, en créant par exemple de nouveaux programmes MD-PhD en recherche clinique et en santé publique. Ils ont également développé, grâce à des partenariats public-privé, des centres de recherche translationnelle pour renforcer l’interface entre bio-ingénierie et médecine (citons le sitem-insel à Berne, le Wyss Translation Center à Zurich ou le Wyss Center à Genève). Le domaine des EPF a également défini en 2017 le développement de technologies pour la santé comme une de ses priorités stratégiques et finance, à travers l’initiative Personalized Health and Related Technologies (PHRT), des projets interdisciplinaires et forme la relève.
Projets cliniques: des efforts à faire
Malgré ces efforts, des problèmes persistent. Le taux de succès des projets en recherche clinique reste inférieur à celui des projets non cliniques soumis au FNS (fig. 2); le nombre de chercheurs cliniciens formés pour concevoir et accompagner des études cliniques et équipés des compétences pour la recherche basée sur les données reste insuffisant; les profils divers dont la recherche clinique de demain a besoin et l’interdisciplinarité sont encore peu encouragés. Jusqu’à récemment, les patients ont rarement été impliqués dans la définition des priorités, du design, de l’outcome (Patient Reported Outcome Measures [PROMs]) et du financement des études cliniques. En outre, les conditions réelles du terrain et de la clinique sont insuffisamment prises en compte dans la recherche. Enfin, les partenariats avec l’industrie et le soutien du long processus de translation des résultats de la recherche jusqu’à leur application au bénéfice des patients restent peu développés.
Elaboré sur mandat du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) par un groupe d’experts sous la direction du Prof. Claudio Bassetti, le «White Paper Clinical Research» analyse les principales dynamiques qui transforment la recherche clinique et identifie les points faibles et les redondances du système actuel. Le document présente une vision concertée sur la manière d’utiliser les ressources plus efficacement, d’aligner les efforts sur des priorités communes et, plus généralement, de relever les défis de la recherche clinique dans notre pays.
Nouvelle culture de la recherche clinique
Fondé sur la conviction que la qualité des soins dépend et découle d’une science de qualité, le white paper met en avant la nécessité de transformer la culture de la recherche clinique pour qu’elle devienne plus intégrative à tous les niveaux. Pour surmonter la fragmentation des activités et le travail en silo, des priorités stratégiques communes, une meilleure coordination et concertation des efforts, ainsi que des standards communs (techniques, légaux, éthiques) sont indispensables.
Sur le plan clinique, l’éducation, la formation, le mentorat et le soutien des chercheurs cliniciens avec des profils divers, à toutes les étapes de leur carrière, sont essentiels. Par ailleurs, il faut encourager les équipes interdisciplinaires et interprofessionnelles, impliquer les patients et les citoyens, et intégrer la perspective des experts en santé publique, en technologie, en économie, et issus de l’industrie.
Les méthodes de recherche clinique doivent être élargies pour inclure des types d’essais cliniques innovants, la médecine de précision, les approches numériques (digitalisation, intelligence artificielle, big data) et technologiques. Pour promouvoir la recherche basée sur les données de santé et la santé personnalisée, des efforts substantiels sont nécessaires pour harmoniser, au niveau national, les directives relatives aux données, pour créer des infrastructures facilitant l’interopérabilité entre les acteurs de la recherche et de la clinique, et pour augmenter l’accès aux données de cohortes de population à l’intérieur d’un cadre juridique clairement défini. Les exigences réglementaires croissantes doivent être traitées de manière interinstitutionnelle et intercantonale, dans le respect des normes internationales.
Sept objectifs, un plan d’action
Les buts sont ambitieux. Dans une feuille de route, le white paper définit un plan d’action en sept objectifs, complété par une série de mesures, pour faire de la Suisse un pays leader de la recherche clinique centrée sur les patients au niveau international:
1. Créer une plateforme nationale de coordination des acteurs publics de la recherche clinique.
2. Etablir des partenariats solides avec la société, les citoyens et les patients.
3. Promouvoir un système de soins qui intègre systématiquement la recherche clinique: Good care comes with – and from – good science.
4. Investir dans le développement d’approches, de méthodes et de technologies innovantes en recherche clinique, rendues possibles par le numérique.
5. Renforcer les équipes de recherche clinique translationnelles, multidisciplinaires et intégrées.
6. Assurer un environnement attrayant pour les chercheuses et chercheurs cliniciens et du domaine des soins, qui les soutienne à tous les niveaux de carrière.
7. Réduire la complexité des processus règlementaires et de ceux liés aux données pour augmenter l’efficacité et accélérer la mise en application de la recherche clinique.
Nécessité d’une vision commune
La première recommandation du white paper concerne la création d’une plateforme nationale pour renforcer l’interaction institutionnelle entre les acteurs publics de la recherche clinique, qui intègre la perspective de la santé publique. Une telle structure d’échange, réunissant tous les acteurs autour d’une même table et permettant une concertation des activités et une répartition claire des tâches et des responsabilités, faisait défaut jusqu’à présent.
Le SEFRI a reconnu l’importance d’une telle structure et a confié à l’ASSM, en tant qu’institution indépendante, la mise en place d’une plateforme nationale de coordination de la recherche clinique pour la période FRI 2021–2024 (assm.ch/fr/cpcr). Ni organe de réglementation ni organe de surveillance, la plateforme aura pour mission de définir les domaines d’action prioritaires pour la recherche clinique financée par des fonds publics et de formuler des recommandations à l’attention des organes de décision concernés. Ceci dans le but de rendre le système plus efficace et d’améliorer la qualité et l’impact de la recherche clinique.
Pour faire de la vision ambitieuse présentée dans le white paper une réalité, l’engagement des acteurs étatiques et institutionnels sera certes décisif, mais ne suffira pas. Celui des bénéficiaires de la recherche clinique – les patients et les citoyens – et un clair soutien politique seront également essentiels. La pandémie du Covid-19 a, entre autres, montré comment la recherche clinique pouvait être organisée et réalisée de façon plus efficace, plus collaborative et plus rapide.
L’essentiel en bref
• Grâce à des investissements publics dans diverses initiatives, infrastructures de données et instruments de financement, la recherche clinique orientée vers les patients s’est améliorée en Suisse au cours des vingt dernières années.
• Dans le même temps, ces efforts ont aussi conduit à une fragmentation des activités et à des redondances qui rendent le système difficile à piloter, comme l’a montré notamment la crise du Covid-19.
• Le «White Paper Clinical Research» de l’ASSM présente sept objectifs et un plan d’action pour renforcer la recherche clinique orientée vers les patients en Suisse.
• La première mesure est la création d’une plateforme de coordination nationale pour rassembler les nombreux acteurs, clarifier les priorités et les responsabilités et soutenir les activités communes.
Le «White Paper Clinical Research» a été publié en anglais avec un résumé en français et en allemand. Il peut être téléchargé ou commandé gratuitement en version imprimée sur le site de l’ASSM où se trouvent aussi des informations sur la plateforme nationale de coordination: assm.ch/recherche-clinique
Composition du groupe de travail ayant élaboré le white paper:
Prof. Claudio Bassetti, Berne (président); Prof. Murielle Bochud, Lausanne; Prof. Thierry Calandra, Lausanne; Prof. Urs Frey, Bâle; Prof. Giovanni Frisoni, Genève; Prof. Antoine Geissbühler, Genève; David Haerry, Berne; Prof. Samia Hurst, Genève; PD Dr. Irène Knüsel, Berne; Prof. Christiane Pauli-Magnus, Bâle; Prof. Rahel Naef, Zurich; Dr Nicole Schaad, Berne (invitée); Prof. Daniel Scheidegger, Arlesheim; Dr Kevin Selby, Lausanne; Prof. Roger von Moos, Coire; Prof. Stephan Windecker, Berne; Prof. Bernd Wollscheid, Zurich; Dr Liselotte Selter, ASSM (ex officio); Dr Myriam Tapernoux, ASSM (ex officio); Dr Sarah Vermij, ASSM (ex officio).
Correspondance
Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) Maison des Académies Laupenstrasse 7 CH-3001 Berne m.tapernoux[at]samw.ch
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