Le Tribunal fédéral précise la jurisprudence sur le secret médical

FMH
Édition
2022/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2022.20443
Bull Med Suisses. 2022;103(03):49-51

Affiliations
MLaw, Service juridique de la FMH

Publié le 18.01.2022

Un arrêt intéressant du Tribunal fédéral [1] met en lumière l’importance, le but et les objectifs du secret médical. Le présent article vise à réunir ici les contenus pertinents qui ressortent de ce qui a été énoncé par le Tribunal fédéral.

Situation initiale

Le canton du Tessin avait mis en œuvre une révision de loi qui risquait d’élargir considérablement l’étendue de l’obligation de déclarer des médecins et simultanément d’aggraver leur punissabilité en cas d’omission de déclaration. Ainsi, l’art. 68, al. 2, de la legge sulla promozione della salute e il coordinamento sanitario ­(legge sanitaria, LSan, à savoir la loi cantonale tessinoise sur la santé) a été modifié afin d’obliger les personnes exerçant une profession médicale à déclarer dans un délai de 30 jours, soit directement au Ministère public, soit en s’adressant au médecin cantonal, toute maladie ou lésion corporelle ou tout décès qui est clairement, ou de manière présumée, en lien avec un délit officiel.
En outre, l’art. 68, al. 3, LSan a été complété dans le sens que les personnes exerçant une profession médicale sont obligées de déclarer dans un délai de 30 jours aux autorités sanitaires et au Ministère public tout délit ­officiel commis par un confrère ou une consœur dans le cadre de son activité médicale.
Quatre médecins tessinois ont recouru contre ces modifications de la loi auprès du Tribunal fédéral et ont notamment exigé la suppression des alinéas 2 et 3 de l’art. 68 LSan.
Le Tribunal fédéral leur a partiellement donné raison.

Le secret médical

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a une nouvelle fois déclaré clairement que le secret médical constitue une institution juridique capitale. Le secret médical sert à concrétiser le droit constitutionnel à la protection de la sphère privée, et il protège l’intimité du patient. Par ailleurs, il a un impact sur la santé publique dès lors qu’il permet au patient de pouvoir se confier sans réserve à son médecin dans le but de se faire soigner de manière appropriée. Faute de confiance et de protection de celle-ci, les personnes qui nécessitent des soins médicaux pourraient préférer ne pas communiquer à leur médecin des informations personnelles et intimes pourtant requises pour un traitement médical approprié. Ou elles pourraient s’abstenir de consulter un médecin, ce qui pourrait mettre en péril leur propre santé ou – p. ex. dans le cas de maladies transmissibles – elles pourraient mettre en danger la population dans son ensemble.
Le secret médical ne s’applique toutefois pas de manière absolue. La Confédération et les cantons sont autorisés à limiter son étendue en introduisant des obligations légales de déclarer ou d’informer (art. 321, al. 3, du Code pénal suisse, CPS). Mais le Tribunal fédéral rappelle que le secret médical est un principe fondamental et qu’il serait préférable, lorsqu’il s’agit de sa levée, de faire appel à des solutions dont la portée est moindre, p. ex. lorsque le patient et, en deuxième lieu, les autorités délient le médecin de son obligation de garder le secret médical. De la sorte, restreindre l’étendue du secret médical par l’introduction d’obligations de déclarer resterait une exception.
Le Tribunal fédéral soulève toutefois qu’une pesée des intérêts nécessaire à l’introduction de ces obligations a fait défaut lors de l’introduction de l’art. 68, al. 2, LSan. L’obligation de déclarer dont il est question ne serait pas limitée à certaines situations déterminées où l’intérêt de divulguer prime, dans tous les cas, sur l’obligation de garder le secret professionnel. Sur ce point, le recours a été approuvé par le Tribunal fédéral, qui a invité le canton du Tessin à formuler, resp. à restreindre cette norme de sorte que «seuls» les cas de décès imputés à des actes délictueux clairs ou présumés puissent être soumis à l’obligation de déclarer. Pour le Tribunal fédéral, l’extension de l’obligation aux cas de lésions corporelles et de maladies va trop loin.
Cette précision du Tribunal fédéral est d’autant plus importante si l’on tient compte du fait que le non-respect du secret médical peut être sanctionné par des poursuites pénales. Les situations de fait problématiques doivent donc être délimitées aussi clairement que possible dans la loi afin que les personnes concernées puissent adopter le comportement adéquat. L’introduction d’une obligation de déclarer applicable à tout acte délictueux susceptible d’être commis par une personne exerçant une profession médicale et poursuivi d’office (p. ex. la soustraction fiscale), telle que le canton du Tessin voulait l’introduire avec l’art. 68, al. 3, LSan, est trop large, ne permet pas de procéder aux pesées d’intérêts nécessaires et, du point de vue du droit pénal, est trop peu précise.
Pour cette raison, le Tribunal fédéral a aussi donné raison aux médecins plaignants sur ce point et a abrogé l’art. 68, al. 3, LSan.

Obligation de clarification

Le recours visait également une autre nouvelle norme. En introduisant l’art. 20, al. 4, LSan, le canton du Tessin voulait empêcher les personnes exerçant une profession médicale d’invoquer le secret médical si l’autorité de surveillance exigeait des informations dans le cadre de l’exercice de sa fonction de surveillance. Bien que le Tribunal fédéral ait rejeté le recours sur ce point, les explications qu’il fournit sont pertinentes pour la pratique [2].
Le Tribunal fédéral a déclaré clairement qu’en règle générale, l’autorité de surveillance est habilitée à exiger des médecins les informations nécessaires dans les trois situations suivantes:
1. dans le cadre de sa fonction de contrôle périodique prescrite par la loi (contrôle de la qualité des prestations tous les 3 ou 4 ans);
2. dans le cadre d’un contrôle réactif (après dénonciation d’un patient) ou
3. après un signalement du Ministère public.
Dans le deuxième cas, le Tribunal fédéral présume que le consentement du patient à la consultation du dossier existe automatiquement. Dès lors, le médecin traitant n’est pas autorisé à invoquer le secret médical.
En revanche, dans les deux autres cas de figure, l’autorité de surveillance doit avoir accès aux documents requis même sans le consentement du patient et, par conséquent, lorsque cela s’avère nécessaire dans un cas concret, au dossier médical du patient afin qu’elle puisse s’acquitter de son obligation de surveillance prescrite par la loi. En règle générale, cette tâche de contrôle est déléguée aux médecins cantonaux qui sont, d’une part, eux-mêmes liés au secret de fonction et, d’autre part, habilités à libérer les médecins concernés de leur obligation de garder le secret médical. Le Tribunal fédéral déclare ainsi clairement que, dans de tels cas, les médecins concernés ne peuvent pas invoquer le secret médical pour refuser à l’autorité de surveillance le droit de consulter le dossier.

Conséquences pour la pratique

Cet arrêt est important pour le corps médical non seulement parce qu’il répète et précise les principes fondamentaux du secret médical pour la pratique médicale, mais aussi parce qu’il donne des instructions claires aux législateurs en indiquant quelles exigences doivent remplir les dérogations au secret médical formulées sous la forme d’obligations de déclarer.
Le Tribunal fédéral rappelle l’importance du secret médical qui fait partie intégrante de la relation médecin-patient et l’idée selon laquelle il est en principe interdit de divulguer toute information concernant un traitement médical. Ce principe est inscrit à l’art. 321 CPS.
Le consentement du patient est la première exception à ce principe. Si le patient n’est pas en mesure ou ne veut pas donner son consentement, c’est au médecin cantonal de libérer le médecin du secret médical (art. 321, al. 3, CPS). Pour ce faire, il est déterminant de procéder à une pesée des intérêts, d’une part du médecin à divulguer une information protégée par le secret médical et d’autre part du patient à protéger ladite information.
En revanche, lorsque l’introduction d’obligations légales de déclarer permet de lever le secret médical, cette levée doit toujours se rapporter à des situations de fait très spécifiques et clairement délimitables et ­simultanément constituer une exception (art. 321, al. 3, CPS). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral retient qu’à la lumière des principes susmentionnés et compte tenu de l’importance du secret médical lors de l’introduction d’une obligation de déclarer, le législateur est tenu de soupeser l’intérêt de divulguer une information sensible pour la population et celui de protéger la relation de confiance entre le médecin et son patient.
Ciro Papini, MLaw, Service juridique de la FMH
031 359 11 11
ciro.papini[at]fmh.ch
1 Arrêt du Tribunal fédéral 2C_658/2018 du 18.3.2021.
2 Voir l’article «Demandes d’information de l’autorité cantonale de surveillance. Comment y répondre?». Bull Med Suisses. 2021;102(24):799–800.

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