La collaboration interprofessionnelle dans la médecine ambulatoire

Garante d’un accès aux soins dans les régions périphériques?

Tribüne
Édition
2021/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20294
Bull Med Suisses. 2021;102(47):1583-1586

Affiliations
Président de la Plateforme Interprofessionnalité dans les soins de santé primaire, vice-président de mfe, Médecins de famille et de l’enfance Suisse

Publié le 23.11.2021

Les communes jouent un rôle important dans la lutte contre la pénurie de soins, en particulier dans les régions périphériques et alpines. C’est le constat du récent symposium organisé par la Plateforme Interprofessionnalité, intitulé «La colla­boration interprofessionnelle comme garantie pour un accès aux soins de santé primaires dans les régions périphériques?».
Lorsque l’on parle d’interprofessionnalité, on pense tout d’abord à un échange de points de vue au sein d’une équipe soignante, autour et avec un patient, pour élargir et compléter la compréhension de son problème de santé. Nous savons en effet que se représenter au mieux le problème de santé d’une patiente ou d’un patient est essentiel pour pouvoir le résoudre.
L’interprofessionnalité amène aussi des avantages quantitatifs. En effet, un manque important de pro­fessionnels de santé se profile dans les soins de santé primaires, en particulier un manque de médecin de ­famille. D’après une étude du Prof. Andreas Zeller de l’Université de Bâle, ce n’est qu’après 2030 que l’on pourra mesurer l’effet de l’augmentation du nombre d’étudiantes et étudiants en médecine sur la relève, après le départ des baby-boomers. Il s’agit, dès à présent, de réfléchir ensemble à comment une nouvelle répartition des rôles entre actrices et acteurs des soins de santé primaire pourrait pallier ce manque.
Le Center da sandà dans le Val Müstair, canton des Grisons.

Série sur l’interprofessionnalité

La collaboration entre les spécialistes de différentes professions de la santé est considérée comme un levier important afin de relever les défis du système de santé. Où en est la Suisse dans ce domaine? Quels avantages apporte l’interprofessionnalité et quelles en sont les limites? Nous éclairons le sujet sous divers angles dans une série d’articles.
Bien que notre Constitution stipule que c’est aux cantons et à la Confédération de garantir un accès aux soins médicaux de base, nous nous sommes aperçus que les communes avaient elles aussi un rôle important à jouer dans la lutte contre la pénurie de soins, en particulier dans les régions périphériques et de montagne.

Hôpital régional sauvé

Le plus bel exemple en Suisse est sûrement celui du Val Müstair, dans les Grisons. Une vallée à l’accès difficile, fermée en cas de mauvais temps, avec 1500 habitants, soit à peine de quoi justifier la présence d’un médecin. Et pourtant, grâce à une mobilisation régionale des ­autorités et des actrices et acteurs du terrain dans le domaine de la santé, il a été permis non seulement de sauver l’hôpital régional ainsi que les services médicaux et paramédicaux qui y sont liés, mais aussi de créer un centre médical avec un établissement pour personnes âgées, s’accompagnant d’un service de soins à domicile. Il fallait écouter ceux et celles y travaillant depuis plus d’un quart de siècle pour entendre leur plaisir et la satisfaction qu’ils ressentent d’avoir pu ainsi assurer la continuité des soins pour les habitants de leur région.
Comme la demande varie suivant les saisons, une régulation s’est mise en place entre le service hospitalier et les soins ambulatoires du centre médical. En cas de crise, les ressources humaines se redistribuent selon le principe des vases communicants. Les périodes de surcharge de travail sont les mêmes que nous vivons dans notre quotidien au cabinet et qui nous obligent à mettre en place une répartition différente des tâches: cela passe par la valorisation des compétences de nos assistantes et assistants médicaux et coordinateurs en médecine ambulatoire, la sollicitation des équipes de soins à domicile pour faire les premières évaluations, ou le réglage d’un traitement par téléphone avec la ­collaboration de la pharmacie de quartier.

Réorganiser les tâches

Cette nouvelle répartition des tâches, n’est-ce pas ce que nous avons vécu pendant la crise du COVID-19, y compris dans nos régions centralisée et urbaine? Ainsi, dans ma région d’Aubonne, des gériatres affectés aux centres mémoires fermés sont allés prêter main forte aux équipes des services dédiés au COVID-19 à Morges, dans notre hôpital de soins aigus. Les collègues des centres médicaux en villes sont allés travailler dans les services de réhabilitation, lorsqu’un cluster avait contraint la moitié d’une équipe soignante à rester à la maison. Ainsi, les forces vont là où le besoin se trouve. C’est le même procédé lorsqu’un ou une patiente présente des besoins multiples, à cause d’une polymorbidité, d’une situation de vulnérabilité sociale, psychique ou médicale. Il s’agit alors pour nous toutes et tous, professionnels de la santé et proches aidants, d’œuvrer ensemble pour aider le patient ou la patiente à maintenir ou acquérir les compétences dont il ou elle a besoin pour vivre avec sa ou ses maladies.

Plateforme Interprofessionnalité

La Plateforme Interprofessionnalité a été fondée en 2018. Elle est l’accomplissement d’un long travail mené depuis 2013, à l’initiative de mfe – Médecins de famille et de l’enfance Suisse, qui est parvenu à réunir toutes les principales associations professionnelles travaillant dans les soins de santé primaires en Suisse. Le premier engagement de la plateforme a été en faveur de la qualité de la collaboration interprofessionnelle, en particulier à travers l’élaboration de critères de qualité. Il s’agit aussi de poursuivre de manière plus ciblée le travail mené ces dernières années et de s’engager davantage dans les discussions politi­ques.

Exemples «Best Practice»

Center da sandà, Val Müstair

Pour maintenir les soins de santé dans une région de montagne, et les organiser le plus efficacement possible, une étroite collabo­ration entre les divers intervenants est nécessaire. Le Val Müstair y est parvenu. Les domaines cabinet médical, hôpital, établissement médico-social, soins à domicile et service de secours se sont regroupés, auxquels d’autres fournisseurs de prestations se sont joints. Cette association a permis de simplifier et d’approfondir la collaboration interprofessionnelle. Toutes les disciplines s’efforcent ensemble d’offrir les meilleurs soins de base et d’urgence, mais aussi d’assurer une vie confortable pour les patientes et les patients au domicile ou en EMS. Notre objectif est une prise en charge optimale et rapide dans les domaines ambulatoire et stationnaire, de la petite enfance à la fin de vie.

Qu’obtient-on ainsi?

L’attention se concentre sur les patientes et les patients, leur santé, mais aussi leurs besoins. Avec le Center da sandà, la patientèle ­dispose d’un interlocuteur prioritaire pour toutes les questions médicales. Un avantage particulier de ce système réside dans la continuité médicale en tant que médecin de famille, médecin hospitalier et médecin dans un EMS ainsi que dans la documentation dans un même système. Autre atout: des voies d’information rapides. Notre gestion uniforme de la qualité dans tous les domaines est essentielle pour un traitement sans interruption. Nous pouvons assumer rapidement et simplement les fluctuations d’effectifs et de travail. Certains collaborateurs, surtout les médecins, mais aussi le service d’urgence et certains soignants travaillent dans deux domaines ou plus. Ils servent de fil rouge pour la continuité et le flux d’informations.

De premiers résultats

La gestion des sorties de l’hôpital s’effectue dans le cadre de la ­visite interdisciplinaire. Des tâches de Case Management sont confiées au domaine de soins le plus compétent pour clarification et mise en place des soins ultérieurs. Cela illustre bien l’importance de la relation et de la continuité. Il est par ailleurs possible de fournir des soins palliatifs à domicile. En plus du médecin de famille, des soins infirmiers et des bénévoles assurant un accompagnement en situation de crise, il est fait appel à des spécialistes disposant d’une formation complémentaire en soins palliatifs. Le lit électrique et les repas peuvent être ­livrés, le service de transport de la Croix-Rouge peut être organisé et la lessive peut être faite au Center da sandà. Le but est de garantir une prise en charge complète de haute qualité des personnes concernées.
Judith Fasser, directrice / CEO Center da sandà, Val Müstair
judith.fasser[at]csvm.ch

Projet PRiMA de la Haute Ecole spécialisée bernoise

L’augmentation des maladies chroniques, les polymorbidités et le manque de personnel spécialisé rendent indispensable une adaptation des soins primaires. De nouveaux modèles de soins s’orientant vers les besoins des patients sont nécessaires afin de garantir une prise en charge complète des personnes atteintes de maladies chroniques. Dans ce contexte, le recours aux infirmières de pratique avancée (APN) présente un important potentiel. Le projet PRiMA sous la direction de la professeur Maya Zumstein-Shaha a pour but d’examiner le potentiel des APN pour les soins aux personnes atteintes de maladies chroniques, de préparer la collaboration interprofessionnelle et d’identifier les interfaces. Il s’agit aussi de tenir compte des réalités financières afin de mieux organiser la collaboration interprofessionnelle. Le projet a débuté en janvier 2020 et dure jusqu’en mars 2022.
Un modèle d’étude de cas a permis d’examiner deux rôles d’APN rattachées à des cabinets de médecins de famille dans le canton de Berne (région du Plateau central et des montagnes). Des méthodes qualitatives et quantitatives ont été utilisées. Une analyse de cas dans le cas a permis de réunir les données de manière inductive en histoires de cas.

Premiers résultats

Les APN apportent une valeur ajoutée dans les domaines de l’aide à l’autogestion, la prévention et la promotion de la santé dans des situations de patients complexes, stables et instables. Ces domaines étaient jusqu’à présent insuffisamment couverts par d’autres professions de la santé dans les cabinets des médecins de famille.
En particulier pour les visites à domicile, les APN renforcent le lien entre les patientes et les patients, les familles, le cabinet du médecin de famille, Spitex ou d’autres prestataires. Grâce à elles, la communication est transparente et la coordination meilleure. Plus les APN ont de l’expérience, plus elles gagnent en confiance et plus le corps médical se repose sur elles. Leur niveau d’autonomie évolue donc positivement au cours d’une relation de travail, relation qui influence aussi la rémunération. Les APN n’étant pas considérées comme des prestataires par le système actuel, elles n’ont pas de ­tarifs propres. Des possibilités de décompte partiel existent pour certaines prestations au sein du cabinet via des tarifs existants du TARMED (spécialistes non médicaux).
Afin de renforcer le recours aux APN dans les cabinets médicaux, il s’agira de clarifier leurs compétences et d’élaborer une description de poste spécifique.
Margarithe Charlotte Schlunegger, collaboratrice scientifique à l’Ecole spécialisée bernoise, Département Santé, Haute Ecole spécialisée bernoise, candidate au doctorat, Departement für Pflegewissenschaft, Université de Witten/Herdecke
margarithe.schlunegger[at]bfh.ch

Projet INSPIRE de l’Université de Bâle

Le projet de recherche INSPIRE sous la direction de la professeur Prof. Dr. ­Sabina M. De Geest a été invité à collaborer avec le canton de Bâle-Campagne (BL) au développement d’un modèle de soins basé sur l’évidence et conforme au cadre légal actuel. En 2018, avec la Loi sur la prise en charge de la retraite et les soins [Alters­betreuungs- und Pflegegesetz (SGS 941)], Bâle-Campagne a créé un cadre légal pour favoriser la pratique du «Vieillir chez soi». Cette loi prescrit la réorganisation du canton en régions de prise en charge ainsi que la mise en place d’un service d’information et de conseil dans les nouvelles régions de prise en charge [1].

Développement d’un modèle de soins

Dans ce contexte, INSPIRE a développé un modèle de soins intégrés pour les personnes âgées vivant à domicile, qui doit être mis en œuvre et évalué dans deux régions de prise en charge du canton: la région ABS (Allschwil, Binningen, Schönenbuch) et le Leimental (Biel-Benken, Bottmingen, Burg im Leimental, Ettingen, Oberwil et Therwil). Une nouveauté d’INSPIRE est d’utiliser une approche scientifique d’implémentation pour soutenir la mise en œuvre dans la pratique. Cette approche repose sur les méthodes de la recherche clinique en y ajoutant toutefois les éléments méthodo­logiques suivants: évidence scientifique [2], implication des parties prenantes, analyse contextuelle [3], stratégies de mise en œuvre, double focalisation sur les résultats de la mise en œuvre et en termes d’efficacité ainsi qu’utilisation de designs hybrides. Les parties prenantes sont le département cantonal de la santé et des ­représentantes et représentants d’organisations de soins (p. ex. Spitex), des médecins de famille, des infirmiers et infirmières diplômés ainsi que des travailleuses et travailleurs sociaux. En résultat, un modèle de soins avec quatre composantes a été élaboré:
1. Dépistage de la fragilité
2. Réalisation d’une évaluation gériatrique complète pour établir les besoins, les préférences et les objectifs de soins
3. Développement d’un plan de soins individuel coordonné avec tous les fournisseurs de prestations intervenant dans les soins et la prise en charge de la personne
4. Elaboration de soins de suite répondant aux besoins

Mise en œuvre accompagnée dans la pratique

Le modèle de soin est mis en œuvre par une infirmière ou un infirmier diplômé, avec une travailleuse ou un travailleur social dans les services d’information et de conseil des régions de prise en charge participantes. Une étude de faisabilité est menée pour l’évaluation. S’y ajoute une étude hybride de l’efficacité de la mise en œuvre de type 1 afin d’évaluer le modèle de prise en charge en ce qui concerne le niveau de soins concentrés sur la personne et coordonnés ainsi que les résultats en termes d’efficacité (p. ex. statut fonctionnel, qualité de vie liée à la santé et directives d’EMS). De plus, en conformité avec l’évidence et les apports des parties prenantes, des processus sont conçus et évalués afin d’identifier les ­allègements et les obstacles présentés par le modèle mis en œuvre. La collaboration avec les parties prenantes doit assurer l’acceptation et le succès du projet.
Dr méd. Maria José Mendieta, candidate au doctorat, Institut für ­Pflegewissenschaft, Université de Bâle pour le consortium INSPIRE
mariajose.mendietajara[at]unibas.ch
Plateforme
Interprofessionnalité
Effingerstrasse 2
CH-3011 Berne
Tél. +41 31 508 36 07
info[at]interprofessionnalite.ch
1 Zeller A. workforce studie 4. Prim Hosp Care Allg Inn Med. 2020;20(11):325–8.
1 Kanton Basel-Landschaft. 941 Altersbetreuungs- und Pflegegesetz (APG). 2018. http://bl.clex.ch/app/de/texts_of_law/941/versions/2126
2 Deschodt M, Laurent G, Cornelissen L, Yip O, Zúñiga F, Denhaerynck K, et al. Core components and impact of nurse-led integrated care models for home-dwelling older people: A systematic review and meta-analysis. Int J Nurs Stud. 2020;105: 103552.
3 Yip O, Huber E, Stenz S, Zullig LL, Zeller A, De Geest SM, et al. A Contextual Analysis and Logic Model for Integrated Care for Frail Older Adults Living at Home: The INSPIRE Project. Int J Integr Care. 2021;21:9.

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