Une étroite coopération entre médecins, équipe soignante, sages-femmes, spécialistes du case management et autres professionnels du secteur de la santé profite à la fois à ces corps de métier et aux patientes et patients. Mais comment fonctionne réellement la collaboration interprofessionnelle? Nous avons mené l’enquête.
«La facturation reste un problème»
Je travaille pour les soins ambulatoires d’un hôpital. Je suis physiothérapeute, spécialisée dans la rééducation du périnée. Grâce à mon travail, je peux contribuer à ce que les personnes atteintes de troubles chroniques aillent mieux. Dans mon domaine, la collaboration interprofessionnelle est essentielle. Beaucoup de patientes et de patients ont besoin d’un soutien psychologique; parfois des conseils diététiques et l’intervention d’une sexologue sont nécessaires. Nous discutons régulièrement des différents cas au sein d’un comité interprofessionnel. Nos échanges se font d’égal à égal et nous prenons des décisions communes qui débouchent sur des actions. Cela fonctionne en général très bien.
Si cette manière de collaborer est très importante pour moi, le remboursement des prestations interprofessionnelles reste un problème. En tant que physiothérapeute, je ne peux facturer que les prestations que je fournis en présence de mes patientes et patients. Le rapport final au médecin n’est jamais rémunéré. Pour mes collègues qui travaillent hors de l’hôpital, cet aspect économique est une grosse pierre d’achoppement à la collaboration interprofessionnelle. Il nous faut de toute urgence un nouveau système tarifaire. D’autres métiers de la santé sont aussi confrontés au problème des négociations tarifaires. Là encore, il faudrait agir à un niveau interprofessionnel pour plus d’efficacité.
J’apprécie que les circuits à l’hôpital soient courts et que dialogue y soit facile. J’aimerais bien à l’avenir impliquer davantage les patientes et les patients dans nos échanges interprofessionnels afin que nous ne parlions pas que d’eux, mais aussi avec eux.
Mirjam Stauffer (52 ans), présidente de l’association Physioswiss et physiothérapeute à l’Hôpital universitaire de Zurich
«Nous devons en permanence rappeler notre existence»
La plupart du temps, c’est le personnel infirmier qui m’informe si je peux parler avec une patiente ou un patient. Mon travail est donc basé sur un contact interprofessionnel. Etant proche des malades, l’équipe soignante remarque quand une personne est anxieuse, se sent seule ou contrariée. Elle propose alors qu’un membre de l’équipe de l’aumônerie passe auprès d’elle. Pour que cela fonctionne, il faut évidemment que le personnel soignant pense à nous, ce qui suppose qu’il nous connaisse et sache qui recommander. Cela demande une relation de confiance entre l’équipe des soins et nous. C’est pourquoi une personne désignée de l’aumônerie est rattachée à un service en particulier.
Avant un entretien, nous prévenons toujours le bureau du service et indiquons qui nous allons voir. Après l’entrevue, nous signalons notre départ à l’équipe soignante. Cela nous permet d’avoir un contact permanent. Nous organisons aussi régulièrement des formations continues dans les différents services pour attirer l’attention sur notre travail. Nous devons sans cesse rappeler notre existence, notamment en raison du tournus du personnel.
Nos entretiens étant soumis au strict secret professionnel, nous en rapportons le contenu aux médecins et à l’équipe soignante uniquement si les patientes et les patients nous le demandent. Mais nous informons sur les personnes que nous avons vues, en indiquant si nous avons effectué un rituel ou donné des conseils éthiques et si l’accompagnement est terminé. Ces renseignements sont importants pour le personnel soignant. A mes yeux, les aumôniers font partie d’une équipe soignante élargie. Certes, nous ne posons pas de diagnostic ni ne prescrivons de traitements, mais nous contribuons au suivi des patientes et des patients. L’équipe soignante est souvent soulagée de pouvoir faire appel à nous, notamment quand les proches en proie à une situation particulièrement lourde ont besoin de parler.
J’apprécie beaucoup que nos locaux soient situés au sein même de l’Inselspital. Ailleurs, les aumôniers sont envoyés par les paroisses et ne rentrent à l’hôpital que si nécessaire. Nous faisons partie intégrante du système: on nous connaît, on nous inclut et on apprécie notre travail.
Hubert Kössler (59 ans), aumônier à l’Inselspital de Berne
«Si une patiente se tourne vers moi, c’est une de moins pour le médecin»
Sage-femme depuis 1979, je constate que la collaboration interprofessionnelle s’est vraiment améliorée ces dernières décennies. Elle est déjà excellente avec les jeunes gynécologues qui ouvrent leur cabinet et ont intégré l’approche interprofessionnelle avec les sages-femmes durant leur formation. Mais cette question se heurte toujours au fait que les sages-femmes et les gynécologues travaillent pratiquement dans le même domaine. Dans le cas d’une grossesse normale, une femme enceinte n’a presque pas besoin de consulter un médecin. Elle le fait pour des raisons économiques. Mais quand elle vient me voir, c’est une patiente en moins pour lui.
Les critères poussant une sage-femme à orienter une patiente vers un médecin sont clairs: par exemple lors d’une grossesse à risques ou présentant des particularités. En tant que sages-femmes, nous ne dérogeons pas à cette règle – et cela a du sens. Toutefois, ce n’est souvent pas dans l’intérêt du médecin d’orienter une patiente vers la sage-femme. La collaboration interprofessionnelle est, à mon avis, sur la bonne voie avec le changement de génération qui s’opère au sein des cabinets médicaux. Et beaucoup de choses sont déjà en train de changer. Si je conseille à une femme de demander à son médecin une ordonnance pour une consultation en nutrition ou en physiothérapie, le message passe en général sans problème. Lorsque je connais les médecins, nous discutons ensemble des cas par téléphone, et cela fonctionne très bien.
Je suis aussi sage-femme agréée à l’Hôpital Bethesda à Bâle, où j’examine fréquemment les cas compliqués avec les médecins agréés. Il m’arrive aussi de m’entretenir avec les pédiatres avant la naissance, quand le bébé présente des particularités. La collaboration prend alors tout son sens, car les sages-femmes et les pédiatres n’ont pas le même champ d’action.
Lucia Mikeler (63 ans), sage-femme exerçant à titre indépendant et sage-femme agréée à l’Hôpital Bethesda de Bâle
«Au départ, nous nous sommes heurtés à des réticences»
Depuis 2017, l’Hôpital cantonal de Lucerne est dotée d’une équipe de spécialistes du case management qui gère la sortie des patientes et des patients. Nous veillons à ce qu’elle soit organisée au mieux après un séjour hospitalier. Dès le premier jour, voire avant, nous discutons avec les patientes et les patients de la période après leur passage à l’hôpital. Cela nous permet d’organiser en temps voulu le traitement après hospitalisation et tout ce qui concerne la sortie. Cette planification est nécessaire car les séjours sont de plus en plus courts. En moyenne, les malades restent 4,5 jours à l’hôpital.
L’équipe soignante se concentre naturellement sur les soins médicaux. Mais si on ne réfléchit à la sortie de la patiente ou du patient qu’une fois son état stabilisé, les choses deviennent compliquées. Il faut souvent anticiper et organiser la suite: une rééducation, des soins à la maison ou une place dans un établissement médico-social. Nous mettons aussi les personnes en lien avec des organismes spécialisés, comme la Ligue contre le cancer ou Pro Senectute. Nos collaborateurs sont des travailleurs sociaux ou des spécialistes du case management, qui ont plusieurs années d’expérience dans les soins et ont suivi des formations complémentaires en case management. A partir de la situation médicale et sociale, ils peuvent rapidement évaluer le soutien dont quelqu’un aura besoin. Nous gérons toujours la sortie en concertation avec l’équipe soignante.
Au début, nous nous sommes heurtés à des réticences. Certaines professions avaient peur que nous nous mêlions de leurs tâches. Or, pour nous, il est essentiel de n’écarter personne. Nous souhaitons au contraire décharger l’équipe soignante et la soutenir pour qu’elle puisse se concentrer sur sa mission principale. Nous apportons soutien et conseil et formulons des recommandations sur le suivi et les aspects sociaux. Ceci est désormais perçu comme une aide et un enrichissement. Grâce à notre travail, les patientes et les patients ne restent pas à l’hôpital de manière inutilement longue et la planification du suivi permet d’éviter dans la plupart des cas des réadmissions liées à la situation sociale. La collaboration fonctionne très bien, notamment avec les médecins et le personnel soignant. Ces dernières années, tous les groupes professionnels se sont ouverts au travail interprofessionnel et il est possible de discuter d’égal à égal de la procédure à suivre, même avec les médecins-chefs.
Madlene Michel (38 ans), responsable de la gestion des sorties à l’Hôpital cantonal de Lucerne
«L’image du demi-dieu en blanc fait partie du passé»
J’exerce comme médecin dans un cabinet d’oncologie dont les locaux se trouvent à l’hôpital. Je suis mes patientes et mes patients à titre de médecin agréé, en ambulatoire et en stationnaire. Dans mon travail quotidien, je ne cesse d’échanger avec des personnes de différentes spécialités médicales et divers métiers de la santé: médecins de famille, pneumologues, aumôniers, psycho-oncologues, personnel soignant, organisations de soins et d’aide à domicile, diététiciens, physiothérapeutes, spécialistes du case management, services sociaux, etc. En pratiquant à l’hôpital, je profite pleinement de ces échanges. Je ne pourrais pas exercer convenablement mon métier sans le dialogue avec le personnel soignant.
Pour moi, la collaboration interprofessionnelle est précieuse, mais je ne crois pas que chaque décision doive toujours être prise avec toutes les parties prenantes. Certaines décisions m’incombent, en tant que médecin, puisque j’en assume ensuite la responsabilité. Mais je connais mes limites. Par exemple, je consulte souvent les diététiciens et suit leurs conseils, m’y connaissant peu dans ce domaine et n’ayant pas assez de temps pour me former à ces questions. J’ai suffisamment à faire dans ma propre discipline. A mon avis, les échanges interprofessionnels sont très utiles et font gagner du temps, à condition que cela reste dans la limite du raisonnable.
La collaboration interprofessionnelle coule de source pour moi qui suis jeune médecin. Les choses ont certainement changé par rapport à avant. Les métiers de la santé ont été beaucoup valorisés et les personnes formées sont aujourd’hui très qualifiées. Les médecins de ma génération font par ailleurs aussi preuve d’une certaine humilité. Je pense que l’on doit s’écarter de l’attitude du demi-dieu en blouse blanche, attitude ce qui n’est heureusement plus actuelle aujourd’hui.
Dr méd. Manuel Schaub (34 ans), en formation de spécialiste oncologue chez Prolindo, au Lindenhofspital de Berne
«Pour une meilleure compréhension mutuelle, il faut prendre le temps d’échanger»
Je suis infirmière clinicienne spécialisée (ICLS) dans un hôpital de Suisse romande, où je travaille dans le département de chirurgie. J’ai obtenu un master qui me permet de développer des modèles de soins. Selon moi, il est essentiel que l’interprofessionnalité fonctionne pour que les défis du secteur de la santé puissent être maîtrisés.
Depuis 13 ans que je travaille dans les soins, les choses ont beaucoup changé. A l’époque, nombre des formations actuelles n’existaient pas encore. Cela m’amène à un point crucial: pour que la collaboration fonctionne, chaque personne impliquée doit connaître précisément les tâches des autres. Pour une plus grande compréhension mutuelle, chacune et chacun doit consciemment prendre le temps d’échanger avec les autres professions. Toutes les parties prenantes doivent y mettre de l’énergie. Si un chirurgien n’a pas le temps de me parler parce qu’il doit opérer, je le comprends. Mais toutes les personnes impliquées doivent être conscientes des conséquences d’une communication insuffisante ou inexistante et compenser ce manque d’une manière ou d’une autre.
L’un des obstacles à surmonter dans la collaboration interprofessionnelle est le fait que chaque profession est convaincue que sa mission est particulièrement importante. Il me tient à cœur de casser cette idée. A mon sens, il est bien plus crucial de répondre à la question suivante plutôt que de se focaliser sur la spécificité des tâches de chacun: pourquoi exerçons-nous ce métier, tous autant que nous sommes? Pour que la patiente ou le patient comprenne quel objectif thérapeutique nous proposons, pour qu’elle ou il puisse exprimer son accord et pour aboutir à un résultat satisfaisant. Pour cela, toutes les parties prenantes doivent savoir ce que les corps de métier ont fait avant et vont faire après. Il est essentiel que nous nous fassions confiance, que nous apprenions à nous connaître et que nous travaillions véritablement ensemble pour la patiente ou le patient. Nous devons nous serrer les coudes, au risque de flancher au moindre coup de vent.
Claudia Lecoultre (41 ans), présidente de swissANP (swiss Advanced Nursing Practice)
Quand Madlene Michel a créé le service de gestion des sorties à l’Hôpital cantonal de Lucerne, elle et les autres spécialistes du case management nouvellement embauchés ont été confrontés aux réticences du personnel de l’hôpital. Leur mission est d’aider l’équipe soignante à organiser au mieux la sortie des patientes et des patients après un séjour à l’hôpital. Le personnel soignant et les médecins craignaient au début que «les nouveaux» s’immiscent dans leurs compétences. Comme le raconte Madlene Michel en page 1672, son rôle et celui de son équipe sont maintenant perçus comme un enrichissement. Preuve que la collaboration fonctionne, les échanges sont intenses et se font sur un pied d’égalité.
Quand les personnes des différents métiers de la santé travaillent main dans la main et prennent le temps de mieux se connaître et de s’apprécier, les avantages sont nombreux: gain de temps précieux et, pour les patientes et patients, une prise en charge optimale. Toutes les personnes interrogées pour cet article s’accordent sur l’importance de la collaboration interprofessionnelle et sur le fait qu’elle est la plupart du temps déjà bien ancrée et vécue. Mais beaucoup font aussi part de difficultés comme la concurrence entre les professionnels de la santé issus de métiers différents et la non-facturation de certaines prestations émanant de la collaboration interprofessionnelle.
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