Entretien avec la Docteure Christine Cohidon, Département de Médecine de Famille, Unisanté, Lausanne

«Quand j’ai commencé médecine, je pensais être un vrai médecin qui soigne les gens»

Forschung
Ausgabe
2023/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-d.2023.10632
Prim Hosp Care Allg Inn Med. 2023;23(07):206-207

Affiliations
Département de Médecine de Famille, Unisanté, Lausanne

Publiziert am 05.07.2023

Entretien avec la Docteure Christine Cohidon, Département de Médecine de Famille, Unisanté, Lausanne

Cet article est le premier d’une série visant à mettre en lumière nos chercheur·e·s et mieux connaître la nature de leurs activités professionnelles, ainsi que leurs liens avec les médecins du terrain.
Quel est votre parcours de formation?
Mes études de médecine se sont déroulées sur 3 facultés: le prégrade à Paris (Bichat) et Nice, puis le postgrade en santé publique à Nancy. A l’époque, la formation post-graduée pouvait se faire dans une spécialité ou en médecine générale (qui comprenait seulement deux années de formation et n’était pas considérée comme une spécialité). Dans mon cas, il s’agit d’un titre de spécialiste en santé publique et médecine sociale. Mon internat de santé publique a duré cinq années, durant lesquelles j’ai aussi mené en parallèle un cursus en épidémiologie (bachelor, master et finalement PhD) pendant mes dernières années d’internat. A cette période j’ai consacré une bonne partie de mes soirées et week-ends pour parvenir à ce double titre! Cette spécialisation n’était pas programmée initialement. Quand j’ai commencé médecine, je pensais être «un vrai médecin qui soigne les gens»!
Mais alors, à quel moment est né votre intérêt pour une médecine «qui ne soigne pas les gens»?
En cours d’études, j’ai remarqué un grand intérêt pour l’épidémiologie, comment se distribuaient les maladies dans la population. Je me disais que connaissant les déterminants de santé, on pouvait agir en fonction, et que c’était encore plus valorisant d’améliorer la santé de populations plutôt que d’individus considérés un à un. Je n’ai aucun souvenir de la matière «santé publique» enseignée en cours d’études. La biostatistique, les statistiques et les probabilités, je me souviens que je n’étais pas très intéressée. Dans la spécialisation en santé publique, on faisait surtout de l’épidémiologie, on voyait moins l’organisation des systèmes de santé et l’économie de la santé par exemple.
J’ai choisi l’université de Nancy, car elle est réputée en France pour la santé publique, dotée à l’époque d’au moins quatre professeurs qui enseignaient des sous-spécialités différentes en santé publique.
A la fin de ma formation prégraduée, j’avais hésité avec la neurologie et la réanimation. Mais faire des nuits à l’hôpital jusqu’à ma retraite était impensable, et la neurologie semblait moins intéressante en dehors de l’hospitalier. J’ai décidé de faire la santé publique en 5e–6e année de formation prégraduée.
Je n’ai pas fait de stage clinique durant mon internat (notre cursus en France ne l’oblige pas), j’en ai fait le deuil en choisissant ma voie post-graduée. En France, il existe néanmoins le «droit au remords», qui permet de changer de spécialité en cours de formation, si jamais…
Le hasard a voulu qu’en première année d’internat, j’ai été obligée de faire des gardes aux urgences du CHU de Nancy. Ce n’était certainement pas très «safe» pour les patients, il n’y avait pas de senior sur place, et tous les types d’urgences étaient amenées, sauf les situations de réanimation. Mais cela m’aura permis une expérience clinique intéressante.
Une rencontre/une personne qui vous a particulièrement marquée ou influencée dans votre parcours professionnel?
Il n’y a pas qu’une seule personne qui sort du lot. Il y a plusieurs personnes qui ont vraiment compté dans ma carrière: le Professeur Jean-Pierre Deschamps m’a fait découvrir ce qu’était la santé publique communautaire. Mon directeur de PhD, Pascal Wild, m’a appris la manière de fonctionner comme chercheure. Je les ai tous les deux invités à mes 40 ans! Le Professeur Nicolas Senn m’a beaucoup appris également: pas seulement de manière formelle, mais simplement à son contact. Ce sont des personnes dont les qualités humaines m’ont séduite aussi, avant les compétences intellectuelles techniques. Ces personnes m’ont aussi offert un partage de valeurs, ce qui est fondamental pour moi.
Quel est votre cahier des charges et quel temps consacrez-vous à chacune de vos activités?
Un faible pourcentage est dédié à l’enseignement collectif (cours ex cathedra et en petits groupes). Je ne pense pas être une enseignante née, mais c’est un excellent moyen de se donner un coup de pied aux fesses: on doit beaucoup travailler pour préparer les cours. L’encadrement des masters et des MD prend plus de place dans l’enseignement; comme je suis exigeante, cette activité occupe une part importante de mon temps, environ 30%.
La recherche compte pour 40% de mon temps, avec l’écriture de protocoles et le travail pour faire avancer les projets. Les réunions des cadres, l’activité liée au fonctionnement du service compte pour 10% et le 20% restant est consacré aux réunions en lien avec les projets de recherche en cours, la part opérationnelle des projets de recherche.
Je manque cruellement de temps pour réfléchir à des projets futurs et anticiper, pour la stratégie… Je n’en ai presque pas la possibilité.
Quel est votre domaine de recherche spécifique?
Mon travail se décline principalement autour de deux grandes thématiques en recherche sur les systèmes de santé:
la recherche sur les nouveaux modèles d’organisation en soins primaires (MOCCA, intégration d’infirmières dans les cabinets de médecine de famille);
la mesure du fonctionnement d’un système de soins primaire, trouver les indicateurs pour le décrire et l’analyser, c’est quelque chose qui me tient à cœur.
Et une partie de mon travail qui me tient également à cœur, c’est ce que j’ai fait dans la première partie de ma carrière: l’épidémiologie de santé mentale au travail. Je commence à réutiliser ce background en soins primaires, mais j’aimerais pouvoir encore plus développer cette thématique.
Le travail sur la médecine personnalisée est plus déconnecté du reste, la question est de savoir comment cette technologie peut impacter l’activité du médecin généraliste.
Une recherche déjà publiée dont vous êtes particulièrement fière?
J’ai reçu un prix surprise pour un travail qui n’était, selon moi, pas abouti (Family Practice at NAPCRG)… Mais ça fait toujours plaisir!
Le fait d’avoir participé à une expertise collective de l’Inserm, qui édite des ouvrages sur l’état des lieux d’une thématique. C’était une marque de reconnaissance importante d’avoir été sollicitée pour écrire un chapitre dans l’ouvrage sur le stress au travail des indépendants.
J’ai aussi publié dans les deux plus importantes revues en médecine de famille, les Annals of Family medicine et le British Journal of Family Medicine. Cela donne une certaine visibilité…
Quel est votre grand projet de recherche actuel (s’il est permis de le dévoiler)?
Il s’agit du projet MOCCA et la nécessaire transformation des cabinets de médecine de famille, ce qui implique aussi des changements en profondeur du système de soins primaires qui doit évoluer. On se bat dans un contexte qui n’y est pas adapté. Faire changer les choses, c’est le plus grand challenge. Je voulais faire de la recherche appliquée et, avec ce projet, on y est, à tous les niveaux: micro, méso et macro! A chacun de ces niveaux, il y a des composantes spécifiques, des barrières et des facilitateurs.
Quel sera votre prochain grand projet (s’il est permis de le dévoiler)?
Développer ma thématique de recherche sur le bien-être des équipes en médecine de famille et surtout, étudier comment les modifications organisationnelles, les nouveaux modèles de soins, peuvent l’impacter. J’ai déjà commencé côté médecins, mais j’aimerais élargir ces recherches aux autres professionnels concernés comme les assistantes médicales, par exemple.
Est-ce que vous axez vos recherches selon les besoins des médecins de famille du terrain? Le cas échéant, comment faites-vous pour vous assurer de la pertinence de vos sujets de recherches?
C’est très important d’être réunis, chercheurs et médecins de famille, comme on l’est au DMF (Département de médecine de famille). Cela favorise les échanges entre médecins du terrain et chercheurs. La proximité avec les médecins du terrain, la possibilité de recevoir leurs inputs, c’est précieux; après il faut en tenir compte... Je n’ai pas souvenir d’un projet qui aurait été abandonné suite au sondage des médecins du terrain, mais ces échanges permettent toujours d’améliorer les projets afin qu’ils aient des répercussions concrètes sur le terrain. Les idées peuvent naître de la littérature qui n’est pas déconnectée du terrain, mais ce n’est pas suffisant.
Auparavant je travaillais à un autre étage que les médecins du terrain, on était déconnectés, et je réalise à quel point notre réunion dans les mêmes locaux apporte une réelle plus-value (le déménagement du Département au Pré-du-Marché 23, à Lausanne, a eu lieu l’été 2020). C’est également grâce au fait que l’équipe du DMF a des valeurs communes; les interactions sont de qualité, on ne se tire pas dans les jambes. Par ailleurs, si j’étais une chercheuse non-médecin, je serais plus loin du terrain et pour moi ce serait plus difficile, je pense.
Au final, peut-on dire que vous êtes satisfaite au travail?
Satisfaite du contenu de mon travail, oui, clairement! Et comme je dis à mes enfants: vous ne pouvez pas savoir comme c’est hyper important de faire ce qu’on a envie au travail!
Portrait
PD Dre méd. Christine Cohidon, MD, PhD, médecin associée responsable du secteur recherche sur l’organisation des services de santé en médecine de famille au Département de médecine de famille à Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne).
christine.cohidon[at]unisante.ch
Dr méd. Alexandre Ronga
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
alexandre.ronga[at]unisante.ch

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